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15 septembre 2014 1 15 /09 /septembre /2014 11:02
jacques Gautrand
jacques Gautrand

Invité du blog, l'ami Jacques GAUTRAND, journaliste, économiste, originaire d'Elbe et vivant depuis de nombreuses années à Paris - cet article extrait du site CONSULENDO :

http://www.consulendo.com/La-democratie-d-opinion-et-le.html

Léditorial de Jacques Gautrand - Septembre 2014

La démocratie dopinion et le poison insidieux de la "transparence"

Nous sommes définitivement entrés dans la démocratie dopinion.

La démocratie dopinion est le stade actuel de la démocratie repsentative dont les bases avaient été jetées au 18ème siècle dans les pays industrialisés.

Rappelons le principe de la démocratie repsentative : la « souveraineté nationale » appartient au peuple qui en fait délégation à des repsentants élus pour exercer le pouvoir législatif et exécutif en son nom.

Ce système qualifié par Winston Churchill de « pire système à lexception de tous les autres » a fonctionné pendant deux siècles.

Lexpansion planétaire des médias de masse, leur pouvoir grandissant dans la formation des opinions publiques, et surtout, depuis une vingtaine dannées, lessor fulgurant des médias électroniques et le sacre de lInternet, ont bouleversé le fonctionnement de la démocratie repsentative : au motif que les citoyens réclament plus de "démocratie directe" et plus de "transparence"...

Parallèlement, la multiplication des sondages dopinion - utilisant des techniques de psychologie sociale développées aux Etats-Unis - a donné naissance à une nouvelle source de légitimation politique : lOpinion publique.

La combinaison de ces différents facteurs conduit à lavènement de la démocratie dopinion.

LOpinion publique : une souveraine toute-puissante, capricieuse et versatile ...

De même que les révolutionnaires de 1789 avaient remplacé le Roi par le Peuple souverain, les démocraties modernes ont remplacé le Peuple par lOpinion publique...

LOpinion publique peut paraître une entité abstraite, mais elle nest pas une chimère : tous les acteurs publics s’y réfèrent, soit pour s’en réclamer, soit pour tenter de la séduire et de s’en servir.

LOpinion publique, par la place centrale quelle occupe dans notre société des écrans et des médias, a une existence propre et peut être qualifiée de fait social.

Omnipsente, envahissante, toute-puissante, cette Opinion publique est la cristallisation dune opinion dominante, formatée et diffusée par le système des médias et des écrans.

Et cette opinion dominante devient la norme qui s’impose à tous…

Cette nouvelle souveraine, versatile et capricieuse, qui régente notre quotidien, le politologue Jacques Julliard la surnommée « La Reine du monde » dans un petit livre percutant, sous-titré : « essai sur la démocratie dopinion » (1)

La caractéristique de cette Opinion publique ? Elle varie, fluctue, change et brûle souvent dès le lendemain ce quelle a adoré la veille ...

LOpinion publique :
une "souv
eraine" inconstante et capricieuse

LInternet et la multiplication des médias d’information en continu - qui se nourrissent mutuellement - dune part, et, dautre part, lexplosion desseaux sociaux (plus justement appelés en anglais social medias) ont libéré, au delà de tout ce que lon pouvait imaginer, un déchaînement dexpressions qui s’agrègent dans ce flux perpétuel de lOpinion publique, mouvant, changeant, capricieux et versatile.

Or le problème, c’est que le fonctionnement de nos Etatspend toujours des "rouages" de la traditionnelle démocratie repsentative : des dirigeants élus pour un mandat de plusieurs années. Un fonctionnement qui entre directement en conflit frontal avec les codes de la démocratie dopinion, laquelle exige instantanéité, réactivité et aussi "transparence" ...

Conflits de légitimi

Cette contradiction insurmontable conduit aujourdhui à des conflits de légitimi dont on peut observer chaque jour les dégâts. Car

Le temps médiatique nest pas le temps de la décision politique ;

Le temps médiatique nest pas le temps de la Justice ;

Le temps médiatique nest pas le temps de léconomie, de lentreprise, de l’investissement….

Quelles en sont les conséquences pour les dirigeants politiques et pour les chefs dentreprise ?

Les dirigeants politiques ne peuvent plus prendre de décisions difficiles pour le long terme : prisonniers de leur courbe de popularité, ils agissent en fonction des fluctuations erratiques de l’opinion publique, et cherchent davantage à « plaire » à cette opinion quà agir pour ce qui est l’intérêt général du pays.

La production de lois et de règlements s’emballe dans une vaine tentative de « coller » aux attentes de l’opinion publique. On dit que les dirigeants "courent" derrière l’opinion ...

Laction publique obéit de plus en plus à des considérations démagogiques ou populistes. Doù des décisions absurdes ou lourdes deffets pervers. Ainsi le "principe de précaution" inscrit dans la Constitution ; lobsession de légalitarisme qui conduit à des décisions purement quantitatives, à l’imposition de quotas dans différents domaines ou à l’adoption de mesures fiscales anti-économiques ; ou encore lexigence de "transparence" à tout bout de champ - un point sur lequel nous reviendrons.

Des élites "suspectées"

Dans la démocratie dopinion, la vie publique donne cette impression d’impulsivité, de décousu, de chaos, sans ligne directrice, sans vision davenir ... face à ce déferlement désordonné d’images, de déclarations, d’événements que déverse, à jet continu, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le système des médias et des écrans, les dirigeants politiques semblent davantage emportés par ce torrent impétueux que capables den dominer le cours. Doù ce sentiment d’impuissance qu’ils donnent face au désordre du monde et cette défiance à l’égard des élites dirigeantes que les sondeurs recueillent dans les profondeurs de la population (à moins que cela ne soit encore un des nombreux effets pervers de la démocratie d’opinion) ...

Pour les dirigeants dentreprise, le sacre de lOpinion publique a aussi des conséquences . En cas de crise, daccident, de restructurations, de conflits, de plans sociaux le nom de lentreprise est instantanément mis sous les projecteurs de lactualité, ses dirigeants deviennent suspects, soupçonnés de vouloir "cacher" la vérité à l’Opinion, et il s’ensuit souvent des dégâts irrémédiables pour l’image de marque (on se souvient des affaires Buffalo Grill ou Spanghero) ...

L’image est devenue plus importante que la réali : cela vaut autant pour les hommes politiques que pour les entreprises ... Ces dernières ont pris conscience que l’image de marque est désormais un capital immatériel essentiel. Mais cest un actif ambivalent : il peut être vite valorisé et tout aussi rapidement dévalué, au moindre incident, dans le tohu-bohu médiatique et le cancan perpétuel des médias sociaux...

La tyrannie de la "transparence"

Une des dérives pernicieuses de la démocratie dopinion est lexigence systématique de "transparence" : tout doit être montré, avoué, "dévoilé", "révélé", exposé en public...

Autant il est légitime de demander de tout dirigeant qu’il fasse preuve de franchise, de loyauté, et de cohérence entre ses paroles et ses actes, autant exiger de tout connaître de lui - y compris les détails de sa vie personnelle voire intime - et que toutes les informations le concernant soient accessibles au public (cest à dire online !) devient inquisitorial : un travers très dangereux qui ppare un totalitarisme soft...

La société des écrans et des médias produisant des images sur tout en permanence, flatte la pulsion trop humaine du voyeurisme. L’exigence de "transparence" brandie à l’égard de certains ne flirte -t-elle pas avec une curiosité malsaine ?

Le fait que la société des écrans et des médias soit une société dexhibition personnelle ou chacun "affiche" les images de lui même et de ses proches sur les murs du cybermonde - avec les effets pervers que l’on sait (cf. l’affaire récente de détournement par un hacker de photos intimes de stars américaines), explique aussi cet engouement actuel pour la "transparence".
Mais il ne peut le justifier.

Il nous faut réaffirmer haut et fort le droit imprescriptible de chacun au secret, au respect de sa vie privée et intime. Cétait une grande conquête des démocraties face aux régimes totalitaires qui visaient à nier la vie individuelle et à refuser la liberté de conscience ou de culte, au nom d’une idéologie collective s’imposant à tous.

Le diktat de la "transparence" absolue conduit à une société de robots.

Non, dans la Cité comme dans lEntreprise, tout ne peut pas être dit à tout le monde, du moins à un moment donné : il ne peut pas y avoir de décisions ou dactions pertinentes et pérennes sans des espaces de confidentialité, sans une part de secret. On ne peut pas demander à un dirigeant dagir de façon responsable si, dans le même temps, on le prive de "son âme et conscience" ; si on lui dénie son intériorité et son quant à soi.

Jacques Gautrand

jgautrand [ @ ] consulendo.com

(1) Éditions Flammarion, coll. "Café Voltaire" - janvier 2008

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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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