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25 janvier 2015 7 25 /01 /janvier /2015 12:02
L'affaire Calas -  Iran : La lettre de Reyhaneh Jabbari à sa mère
Cédric Debarbieux sera Voltaire
Cédric Debarbieux sera Voltaire

* INVITATION :

Dimanche 1er février 2015,

à 17h,

à la Maison de la Catalanité,

11, rue du Bastion saint Dominique,

à Perpignan,

dans le cadre des

Cartes blanches du Conseil général des Pyrénées Orientales

L'Affaire Calas,

une lecture théâtralisée

composée et interprétée par Cédric Debarbieux

avec le soutien de la compagnie Un noir Une blanche

1761, Toulouse. Un vieillard accusé à tort de l'assassinat de son propre fils, une enquête bâclée, un procès inique, une exécution sauvage, l'Affaire Calas aboutit à la plus atroce erreur judiciaire du XVIIIe siècle. Elle attire l'attention de Voltaire, qui reprend l'enquête, rencontre les témoins, croise les vérités, et parvient à faire casser le jugement et réhabiliter toute une famille victime de la rumeur et du fanatisme. Pour l'occasion, il écrit son Traité sur la Tolérance, bref ouvrage bientôt interdit, mais qui viendra quelques décennies plus tard peser sur les consciences révolutionnaires, et pour longtemps.

L'intolérance n'est pas morte pour autant.

Aujourd'hui, à la lumière de l'actualité, la lecture de L'Affaire Calas vient nous rappeler que même si les mots changent, le fléau demeure...

Dans une langue moderne, actuelle et simple à entendre, voici un auteur qui nous parle d'intelligence, de raison, de réflexion, voire de philosophie. Et voici un écrivain dont on comprend très vite qu'il tient des propos universels sur les crises et les tares du monde moderne, comme sont la rumeur, l'intolérance, le dogmatisme, le fanatisme.

.

Le texte de L'Affaire Calas a été adapté à partir

des Procès-Verbaux d'interrogatoires du Capitoul David de Beaudrigue (1761),

du Mémoire à consulter pour la Dame Anne-Rose Cabibel, de Maître Élie de Beaumont (1762)

et du Traité sur la Tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas, de Voltaire (1763).

Cette lecture a été créée en 2012 au Théâtre de La Rencontre, puis jouée au festival Perpignan sur Scène, au Lycée Maillol avec le soutien de la Ligue des Droits de l'Homme, etc.

C'est une nouvelle version recomposée qui sera présentée à la Maison de la Catalanité.

Entrée libre. Durée approximative 1 heure 15.

- - -

Lettre à sa mère:

Un Samedi matin d'octobre 2014, Reyhaneh Jabbari a été pendue en Iran. Cinq ans plus tôt, la jeune femme avait été condamnée à mort pour le meurtre d'un homme qu'elle accusait de l'avoir agressée sexuellement en 2007. Malgré les nombreuses protestations de la communauté internationale, la justice iranienne a suivi son cours et amené Reyhaneh à subir la loi du talion.

Deux jours après sa mort, une lettre écrite par la jeune décoratrice d'intérieur en avril dernier et adressée à sa mère - qui avait demandé d'être pendue à la place de sa fille - a été dévoilée par des militants pacifistes iraniens.

Les journalistes du Huffington Post ont traduit cet ultime courrier de la condamnée, dans lequel elle demande à sa mère de vérifier que tous ses organes soient donnés après sa mort.

La lettre de Reyhaneh Jabbari à sa mère

Chère Sholeh,

Aujourd’hui j’ai appris que c’est à mon tour de faire face à Qisas (la loi du talion dans le système judiciaire iranien,). Je suis blessée d’apprendre que tu ne m’as pas laissé savoir que j’avais atteint la dernière page du livre de ma vie. Ne penses-tu pas que j’aurais dû savoir? Tu sais que ta tristesse me rend honteuse. Pourquoi ne m’as tu pas laissé la chance d’embrasser ta main et celle de papa?

Le monde m’a permis de vivre pendant 19 ans. Durant cette nuit inquiétante, j’aurais dû être tuée. Mon corps aurait été jeté dans un coin de la ville, et après quelques jours, la police t’aurait conduite dans le bureau du médecin légiste afin d’identifier mon corps et tu aurais appris que j’avais également été violée.

Le meurtrier n’aurait jamais été retrouvé puisque nous n’avons ni leur richesse ni leur pouvoir. Tu aurais alors continué ta vie dans la douleur et dans la honte, et quelques années plus tard tu serais morte de cette douleur, voilà tout.

Néanmoins, avec ce maudit coup, l’histoire a changé. Mon corps n’a pas été jeté au loin, mais dans la tombe de la prison d’Evin et ses cellules d’isolement, et à présent la prison de Shahr-e Ray, qui ressemble aussi à une tombe. Mais tu dois céder au destin. Ne te plains pas. Tu sais mieux que moi que la mort n’est pas la fin de la vie.

Tu m’as appris que l’on vient au monde pour profiter d’une expérience et apprendre une leçon, et qu’avec chaque naissance, une responsabilité est placée sur notre épaule.

J’ai appris que parfois l’on doit se battre. Je me souviens quand tu m’as raconté que l’homme s’est opposé à l’homme qui me flagellait, mais que ce dernier lui a fouetté la tête et le visage jusqu’à ce qu’il meure. Tu m’as dit que pour créer de la valeur, l’on devait persévérer même si un autre mourait.

Tu m’as appris que, puisque nous allons à l’école, nous devons nous comporter en dame face aux querelles et aux plaintes. Te souviens-tu à quel point tu insistais sur la façon dont on se comportait? Ton expérience était incorrecte. Quand cet incident s’est produit, mes enseignements ne m’ont pas aidé. Etre présentée à la barre m’a fait passer pour une meurtrière de sang-froid et une criminelle sans pitié.

Je n’ai pas versé une larme. Je n’ai pas supplié. Je n’ai pas pleuré toutes les larmes de mon corps car je faisais confiance à la loi.

Mais j’été accusée d’être indifférente au crime.

Tu vois, je ne tuais même pas les moustiques et je prenais les cafards par les antennes pour les jeter un peu plus loin. Désormais je suis devenue une meurtrière préméditée.

Mon traitement des animaux a été interprété comme ayant un penchant masculin et le juge n’a même pas pris la peine de regarder les faits et de voir qu’au moment de l’incident j’avais de longs ongles vernis.

Ce pays que tu m’as fait chérir n’a jamais voulu de moi et personne ne m’a soutenu quand, sous les coups des interrogateurs, je criais et j’entendais les mots les plus vulgaires.

Quand j’ai perdu mon dernier signe de beauté en me rasant les cheveux, j’ai été récompensée : 11 jours en cellule d’isolement.

Chère Sholeh, ne pleure pas pour ce que tu entends. Le premier jour, au poste de police, quand un vieil agent non marié m’a brutalisé à cause de mes ongles, j’ai compris que l’on ne recherche pas la beauté dans cette ère. La beauté des apparences, la beauté des pensées et des souhaits, une belle écriture, la beauté des yeux et de la vision, et même la beauté d’une douce voix.

Ma chère mère, mon idéologie a changé et tu n’en es pas responsable.

Ma lettre est interminable et je l’ai donné à quelqu’un pour que, lorsque je serai exécutée sans ta présence et sans ton savoir, elle te sera donnée.

Je te laisse ce matériel écrit en héritage.
Cependant, avant ma mort, je veux quelque chose de toi, que tu dois me fournir avec toute ta force, quelle que soit la manière dont tu l’obtiens.

En fait, c’est la seule chose que je veux de ce monde, de ce pays et de toi. Je sais que tu as besoin de temps pour cela.

Je vais donc te raconter une partie de mon vœu dès maintenant. S’il te plaît, ne pleure pas et écoute. Je veux que tu ailles au tribunal et que tu leur fasses part de ma requête. Je ne peux pas écrire une telle lettre qui serait approuvée par le chef de la prison ; alors une fois de plus, tu dois souffrir à cause de moi.

Pour cette chose seulement, je t’autorise à supplier, bien que je t’ai dit à maintes reprises de ne pas supplier de me sauver de l’exécution.

Ma tendre mère, chère Sholeh, qui m’est plus chère que ma propre vie, je ne veux pas pourrir sous terre. Je ne veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur deviennent poussière.

Tu dois les supplier pour que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit retiré de mon corps et donné à quelqu’un qui en a besoin.

Je ne veux pas que le receveur connaisse mon nom, ni qu’il m’achète des fleurs ou même qu’il prie pour moi.

Je te le dis depuis le plus profond de mon cœur : je ne veux pas d’une tombe où tu viendrais pleurer et souffrir.

Je ne veux pas que tu portes du noir pour moi. Fais de ton mieux pour oublier mes jours difficiles. Donne-moi au vent, afin qu’il m’emporte.

Le monde ne nous a pas aimés.

Il n’a pas voulu mon destin. Et à présent, je lui cède et j’embrasse la mort.

Car dans la cour de Dieu, j’accuserai les inspecteurs, j’accuserai l’inspecteur Shamlou, j’accuserai le juge, et les juges de la Cour Suprême du pays qui m’ont tabassé quand j’étais éveillée et n’ont eu cesse de me harceler.

Dans la cour du Créateur, j’accuserai le Docteur Farvandi, j’accuserai Qassem Shabani et tous ceux qui, par ignorance ou avec leurs mensonges, m’ont fait du mal et ont piétiné mes droits et n’ont pas tenu compte du fait que parfois, ce qui semble être la réalité ne l’est en fait pas du tout.

Ma chère et tendre Sholeh, dans l’autre monde c’est toi et moi qui sommes les accusatrices et les autres qui sont les accusés. Nous verrons ce que Dieu désire.

Je voudrais t’embrasser jusqu’à ce que je meure.

Je t’aime.

Reyhaneh

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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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