-La bonne chanson catalane au Paladium de Playa de Aro : Joan Manuel Serrat
Le public qui, jeudi soir, s'était déplacé en masse pour aller voir le chantre catalan, commençait à s'impatienter et une vague rumeur parcourait déjà la vaste salle du Paladium de Playa de Aro.
Les douze coups de minuit furent frappés et il est enfin arrivé, le doux torero de Catalogne, dans l'arène veloutée de rouge de l'immense salle du Palladium.
Vêtu de noir, des pieds aux cheveux, il avait pour toute banderille, sa guitare sèche, souvent plus tranchante qu'un coup d'épée.
Au premier arpège, au premier mot, le silence fut presque religieux. Serrat enchaîna alors ses chansons-messages et ses poèmes-chansons faisant alterner le catalan et le castillan, pour ménager peut-être son public et faire ainsi plaisir à tout le monde.
Mais Serrat n'est pas l'homme des concessions : il a le verbe cru et de longues incisives. Il semble calme, détendu.
Il chante tantôt sur son tabouret invitant les spectateurs à la communion, tantôt debout en s'accompagnant à la guitare.
Sa voix est chaude, virile en harmonie complète avec une musique distillée par cinq excellents musiciens endimanchés : un pianiste, deux guitaristes, un flûtiste et un batteur.
Des rythmes lents et rapides se succèdent entrecoupés simplement par le crépitement des mains. Puis, Serrat fait une halte dans son récital et s'adresse à ses spectateurs.
Il raconte alors des anecdotes concernant ses chansons, explique quelles raisons l'ont poussé à les écrire. Il se révèle conteur et engendre le rire.
Bien vite, trop vite peut-être, (on était sous le charme de ses paroles) la ronde des notes reprend et les mots font l'amour.
Il chante principalement des airs inédits, extraits de son dernier 33 tours, dédié au folklore ibérique et à des chansons traditionnelles (tentation d'immortalité ?).
Une des qualités qui prédomine chez Serrat c'est sa volonté de ne pas rester figé. Il évolue (en bien) et son tour de chant se modifie au fil des étés.
L'année dernière, il célébrait les grands poètes espagnols comme Miguel Hernandez, Antonio Machado et lui-même, car ses propres chansons lui confèrent aisément le titre de poète.
Les spectateurs commençaient à réclamer des chansons connues et à se remuer sur leurs tabourets ; il est en effet difficile d'imposer en direct des chansons nouvelles et on aime retrouver les "tubes". Quelqu'un réclame la chanson intitulée "La Tante" en vain, car Serrat répond qu'elle est restée à la maison.
Elle déferla enfin, la vague tant attendue de la "Méditerranée" qu'on aime à retrouver sur la plage du disque. Mais malheureusement, ce fut là le point final du récital et le reflux fut le départ définitif de Serrat malgré les applaudissements.
Certains furent déçus par ce départ précipité mais Serrat n'est pas le chanteur-machine-à-trois pesetas et quand il en a assez, il s'arrête.
Ensuite, le troubadour catalan nous reçut sans difficultés dans sa loge.
Il s'affirma encore comme un garçon très sympathique qui s'adresse simplement et de façon directe à ses admirateurs.
Il nous confia qu'il réapparaîtrait très bientôt sur la Costa Brava : un rendez-vous à ne pas manquer.
J.P.Bonnel
(publié dans l'Indépendant édition Costa Brava, été 1973)
Joan Manuel Serrat i Teresa, né le à Barcelone, est un auteur-compositeur-interprète espagnol. Il est surnommé El noi del Poble-sec (le gars de Poble Sec, le quartier de Barcelone où il est né et a vécu jusqu'à son adolescence) ou El Nano en Argentine.
Il fait partie, avec d'autres intellectuels espagnols des années 1960, de la Gauche divine.
Il est le fils d'un Catalan et d'une Aragonaise, étant donc un xarnego. Il s'est inscrit en 1964 à la faculté de Biologie, mais participa durant la même année à un programme de Radio Barcelone en interprétant à la guitare ses premières compositions. Miquel Porter l'entendit et lui proposa d'intégrer Els Setze Jutges, un groupe de chanteurs catalans dont le but était de promouvoir l'utilisation du catalan par leurs œuvres (mouvement de la nouvelle chanson catalane). Joan Manuel Serrat enregistre alors son premier disque, qui contient la chanson Una guitarra qui lui apporta rapidement la notoriété. Son second disque, Ara que tinc vint anys, sorti en 1966, contenait quant à lui les thèmes Me’n vaig a peu et Cançó de matinada qui furent également de grands succès.
Étant donné qu'il chantait en catalan, le gouvernement de Francisco Franco a écarté sa candidature à l'Eurovision lui préférant la chanteuse Massiel.
En 1975 à la suite de pressions du régime, il dut partir pour le Mexique et il revint en Espagne, l'année suivante, après la mort de Franco.
Il est considéré comme l'un des fondateurs de la Nova Cançó. Il est l'auteur de plus de 300 chansons, écrites soit en catalan (Pare, Plany al mar,Ara que tinc vint anys, etc), soit en espagnol (Mediterráneo, Tu nombre me sabe a yerba, Hoy puede ser un gran día, A Usted, El carrusel del Furo,Toca madera, Vagabundear, Pueblo blanco etc), et bon nombre d'entre elles sont devenues des "classiques". Il est très connu dans le monde hispanophone, en plus de la catalanophonie, parce que les textes de ses chansons sont très novateurs, touchant des sujets qui étaient interdits à l'époque : sexe, politique, corruption, répression.
En 1969, il a un fils, nommé Queco, avec la modèle Mercedes Doménech. L'existence de cet enfant sera tenue secrète durant 4 ans.
En 1971 il a sorti son album Mediterráneo, un de ses disques les plus importants. Il devient alors un des principaux symboles de la liberté en Espagne et en Amérique Latine. Dans ce disque, on trouve une chanson portant le même titre, et qui exprime de façon très émouvante et inspirée l'amour de Joan Manuel Serrat pour la mer Méditerranée près de laquelle il est né.
En 1975, à la suite de certaines déclarations il dut partir en exil à Mexique durant un an, à la suite d'un mandat d'arrêt lancé contre lui par le gouvernement de Franco. Plusieurs de ses chansons sont alors censurées et interdites.
À la fin des années 1970, il s'est enfermé au monastère de Montserrat, à Barcelone, avec d'autres intellectuels et artistes, pour protester contre le procès de Burgos et contre la peine de mort.
En 1978, il épouse Candela Tiffón, et a, un an plus tard, une fille nommée María. Ils auront par la suite une autre fille nommée Candela.
En 1983 il réalise une grande tournée en Amérique du Sud, sauf au Chili, encore gouverné par Pinochet, et où ses œuvres sont interdites.
Il se rendra plusieurs fois au Chili après que Pinochet aura quitté le pouvoir. Ainsi, en 2006, il rendra visite à Michelle Bachelet, présidente chilienne socialiste nouvellement élue, et lui offrira quelques bouteilles de son vignoble personnel, qu'il exploite depuis plusieurs années....(suite sur wikipedia)