Salon du livre de Banyuls (C) Yves Andrieu - David Foenkinos à Canet, mercredi 14 août
Le touriste à CADAQUES
La balade à Cadaqués, si on veut se comporter en touriste, en étranger à toute l'Histoire du village, à toutes les histoires, réelles ou légendaires, on ira…Dans un port qui se croyait isolé au creux des collines, entre montagne sauvage et Méditerranée. Un territoire de vignes, puis, après le désastre du philoxera, un pays d'oliviers. Les paysans étaient tranquilles, loin de la civilisation, de la ville, Figueres, et de la baie immense et napolitaine de Roses où les pêcheurs, eux aussi, peut-être, se croyaient uniques… C'était sans compter sur la marche de l'Histoire, la naissance du tourisme, la mode des bains de mer, puis l'essor industriel de l'exploitation de la Costa Brava…
Ce fut un port antique abrité, indifférent aux vents dominants, beau car vierge, à proximité des dentelles rocheuses du Cap de Creus, oublieux de la grande plaine voisine de l'Ampurdan : Cadaqués, dans la comarque de l'Alt Emprodà !
Dans la ville blanche aux ruelles fleuries, on tombe, l'été, sur les bars bondés, les restaurants bruyants, les plages aux torses nus; viici les centaines de bateaux venus mouiller pour avoir une autre perspective du lieu : pour un théâtre côté mer, pour une illusion d'être seul dans sa barque quand la foule bat le pavé et le sable…
Tout en haut du promontoire, ont poussé des maisons blanchies à la chaux; tout en haut de la colline se découvre le style gothique de l'église Santa Maria, reconstruite au XVI ° siècle, sur les ruines de l'ancien édifice mis à bas par le pirate turc Barbe Rouge. Ces croyants de pêcheurs ont financé le lieu saint grâce à leur dur labeur, à l'argent gagné durant les jours fériés…
On a tendance à être attiré par le magnétisme de l'église, bien que la montée soit abrupte, mais l'effort est accepté car l'on pense déjà au bonheur de redescendre, d'un pas lent et soulagé, par les venelles esthétiques, pour déboucher sur la me, les yeux éblouis, le cour conquis…
Là-haut, dans l'église à la fois humble et altière, niche le plus vieil orgue de Catalogne, daté de 1689, ainsi qu’un autel de style baroque, remarquable par sa taille et son originalité, dont les pieds sont soutenus par quatre géants.
Dans le centre, les anciens pavés du village -el rastell»- ajoutent du charme à la cité. Retirés de la mer, ces sorte de créations naturelles ont été modelées, érodées par le va-et-vient des vagues; les Catalans les ont disposés en épis afin d’absorber l’eau et d’éviter que les promeneurs ne glissent.
Le touriste amateur de soleil, de farniente, d'alcool, de sangria et de gastronomie marine, ignore le plus souvent que ces ruelles qui montent et descendent ont été hantées par des personnages mystiques, haut en couleur, pauvres mais bien réels, vivant la pleine réalité de de pays sec et altier, humide et humble à la fois…
Village de pêcheurs aux maisons blanches et ruelles fleuries, Cadaqués est isolée par les montagnes et blottie dans une baie profonde, encore un arc, des plus admirables, de la Méditerrannée : il s'agit du plus grand port naturel de la Catalogne. Et le dépliant touristique aura beau tenter d'inventer des styles imagés, il ne pourra pas dire toutes les criques, les hasards de la géographie, toutes les créations étonnantes de la géologie du lieu. Pensons surtout à ces admirables figures fantastiques fabriquées par l'érosion et chantées par Dali et reconstituées dans ses toiles…
De la route qui vient de Roses, on plonge dans l'entonnoir marin. Ou depuis la Selva traversée des méandres d'un étroit bitume, ou encore, à pied, depuis le sauvage Cap Creus, vous pouvez aborder le village des pêcheurs. Sans oublier la possible venue par la mer : un lent abordage et il faut dire que la perspective de la côte et des habitations depuis une embarcation, propose une vue féérique insoupçonnée…
Cadaqués des années 1950, comme une fin de monde, le déclin d'une vie paysanne et maritime, ne devinant pas l'accélération de la technique, du progrès de la consommation à outrance, du tourisme, du viol d'une civilisation par la puissance de l'argent, l'orgueil des promoteurs, la dictature des plaisirs, l'obsédante quête des aspirations épicuriennes…
Il y a soixante-dix ans, un désert près de l'eau, des masures, des barques catalanes frustres, et une plénitude humaniste, artistique, poétique, avec Lorca, Dali, d'Ors et tous ceux qui découvriront ce paradis, d'Eluard à René Char, de Picasso à Man Ray et Marcel Duchamp…
Le bitume est venu jusqu'à la mer, pour eux, qui ne connaissaient que les roues de la mer, et l'électricité, puis le téléphone, la télévision, l'internet…apportèrent le confort et son cortège de méfaits… Demeure le vent salé, l'horizon énigmatique, les contorsions de la côte rocheuse, un mystère, entretenu par l'isolement géographique et qui se livre avec patience et amour, un esprit de liberté. Et la beauté !
J.P.Bonnel (La LIDIA de Cadaqués)