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24 octobre 2024 4 24 /10 /octobre /2024 09:06
Eloge de la virgule
Eloge de la virgule

 

Eloge de la virgule

 

Je faisais récemment remarquer à un ami sa tendance à placer une virgule entre le sujet et le verbe ou entre le verbe et le complément. Ce qui est incohérent car le sens est altéré par cette coupure, cette pause, alors que le groupe nominal doit s'exprimer dans son intégrité.


Je ne lui ai pas dit que sa manie était à soigner, que son geste était prohibé par la morale grammaticale et que son écriture, oh mon Dieu, était, bien que vénielle, une sorte de péché...Oui, replaçons la morale au cœur de nos écritures, banales ou littéraires...

 

Pour causer de façon plus sérieuse, il se peut que cet ami, obsédé par la virgule, ait pu être traumatisé dans sa jeunesse par les pubs d'une célèbre marque d'articles sportifs, qui utilise une sorte de virgule comme icône (ou logo), inventée par une étudiante américaine qui, hélas, ne toucha qu'une poignée de dollars pour sa géniale création...

 

Pour en finir, et sans jouer les Jacques Drillon, fameux correcteur au journal Le Monde (voir ci-dessous) et pour parler plus sérieusement, disons, chers lecteurs (et là, j'abuse de la petite virgule, admirable mouvement typographique, plein d'énergie) que la virgule organise la syntaxe, id est, crée le mouvement de la phrase, sa musique et surtout vient aider à la compréhension, l'esprit s'arrêtant après chaque groupe de mots, pour réfléchir, tenter de comprendre. Si la virgule (et donc la ponctuation) est omise, on lit vite, et mal : on saisit moins, il faut réorganiser la phrase à sa façon, retrouver le rythme initial voulu par l'auteur : c'est ainsi que dans la poésie moderne, dite "libre", l'absence de ponctuation confère au lecteur le statut de recruteur du texte. Si, en peintre, le regard du public recrée l'œuvre ou la prolonge, avec une phrase sans ponctuation, comme les interminables romans de Sollers, qui vous font perdre l’haleine, le lecteur prend le relais de l'écrivain.

 

Voilà pour la virgule ; il serait passionnant de s'appesantir grâce à Céline (Louis-Ferdinand), sur l'utilisation, obsessionnelle, chez lui, des points d'exclamations qui émeuvent et fatiguent vite le lecteur..!

 

Au fait, j’ai utilisé combien de virgules, pour ce texticule.. ?

 

J.P.Bonnel

 

 

 

Ce texte expose le rôle de la virgule, qui est un outil au service du lecteur, à qui elle indique l'organisation des mots au sein de la phrase.

Quand le lecteur opère lui-même facilement les groupements de mots faisant sens, il enchaîne des suites de mots formant des unités que les virgules viennent rompre ou interrompre quand les groupements ne sont pas clairs, comme on le voit dans la présente phrase.

En examinant d'abord des phrases qui ne demandent pas de virgules, nous comprenons par l'absurde à quoi elles servent.

Puis nous étudions les cas les plus fréquents où une virgule est utile, facultative, obligatoire, interdite. Ce faisant, nous initions le lecteur au maniement de la virgule, qui est en fait très simple.

Une part est consacrée aux quelques situations un peu délicates.

En regardant chez nos voisins, nous constatons le même rôle de la virgule en anglais et en espagnol.

En passant, nous tordons le cou à une idée reçue, le lien entre oral et écrit, qui est sans doute à l'origine de toutes les hésitations.

Puis nous examinons de nombreuses phrases privées de virgules pour voir exactement où le bât blesse.

Enfin, nous invitons le lecteur à placer des virgules dans des phrases et textes où elles ont été enlevées, ce qu'il fera assurément avec aisance.

 

 

*La virgule qui manquait

 

J’ai profité du premier confinement pour lire in extenso le Traité de la ponctuation française, de Jacques Drillon (Gallimard, 1991) – un vieux projet. Un ouvrage évidemment passionnant et instructif.

 

Dans la première partie, outre l’histoire de la ponctuation, on apprend notamment que, même dans les éditions critiques (Pléiade), la ponctuation des auteurs classiques (avant le xixe s.) est modifiée, ce qui n’est pas sans poser problème.

 

Dans la seconde partie, j’ai constaté avec plaisir que la plupart des nombreuses règles m’étaient acquises par la pratique de la correction et la fréquentation des écrivains.

Une règle, cependant, a retenu mon attention, car je la cherchais inconsciemment. Jamais de virgule entre le sujet et le verbe, dit le code typographique1. Il y a tout de même des exceptions, que j’ai souvent rencontrées au cours de mes lectures.

 

« On met une virgule pour séparer les divers sujets d’un verbe (s’ils ne sont pas reliés, répétons-le, par une conjonction). Le dernier sujet est lui-même séparé du verbe par une virgule […] on peut considérer que la dernière virgule, immédiatement avant le verbe, confère à tous les sujets une valeur égale. »

 

« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps » — Baudelaire

« Les arbres, les eaux, les revers des fossés, les champs mûrissants, flamboient sous le resplendissement mystérieux de l’heure de Saturne » — Claudel

 

Cela fonctionne aussi après la dernière épithète d’un complément ou d’un sujet :

« Tout un monde lointain, absent, presque défunt, vit dans tes profondeurs, forêt aromatique » — Baudelaire

… ou après plusieurs adverbes :

« L’infirmier leur massait longuement, puissamment, les muscles des jambes […]» — Michel Mouton

Inversement, « dans une laisse de sujets dont les deux derniers sont liés par “et”, on ne met pas de virgule entre le dernier et le verbe » :

« Trop de diamants, d’or et de bonheur rayonnent aujourd’hui sur les verres de ce miroir où Monte-Cristo regarde Dantès » – Dumas 

Grevisse donne la même règle au § 128, avec des exemples pris chez Mauriac et Saint-Exupéry. Parmi les autres cas où il admet la virgule « interdite », il donne celui-ci :

 

Lorsque le sujet a une certaine longueur, la pause nécessaire dans l’oral est parfois rendue par une virgule dans l’écrit (mais on préfère aujourd’hui une ponctuation plus logique, qui ne sépare pas le sujet et le verbe) : La foudre que le ciel eût lancée contre moi, m’aurait causé moins d’épouvante (Chat., Mém., I, ii, 8). — Quand la personne dont nous sommes accompagnés, nous est supérieure par le rang et la qualité (Littré, art. accompagné). — Les soins à donner aux deux nourrissons qui lui sont confiés par l’Assistance, l’empêchent de garder le lit (Gide, Journal, 27 janv. 1931). — Le passé simple et la troisième personne du Roman, ne sont rien d’autre que ce geste fatal par lequel l’écrivain montre du doigt le masque qu’il porte (Barthes, Degré zéro de l’écriture, I, 3). — La réponse que je donnai à l’enquête par Voyage en Grèce (revue touristique de propagande) et que l’on trouvera en tête de la seconde partie de ce recueil, sert donc […] de charnière entre les deux parties (Queneau, Voyage en Grèce, p. 11).

 

Je n’entre pas plus dans les détails – la virgule occupe chez Drillon plus de cent pages – et vous renvoie aux pages 165 à 176 pour ce point précis. Drillon précise que « le Code typographique » (celui de la Fédération CGC de la communication, 1989) et « certains grammairiens » désapprouvent ces exceptions. Pour ma part, je trouve là la confirmation qui me manquait. Je n’ajouterai que cette citation :

« Il arrive à la virgule d’être “facultative”. C’est alors que l’auteur se montre, et par quoi il se distingue d’un autre » (p. 150).

 

Article mis à jour le 16 septembre 2024.


  1. Sur l’histoire de ce « tabou », voir Jacques Dürrenmatt, « La virgule entre sujet et verbe : petite histoire d’un emploi oublié », L’Information grammaticale, n° 102, juin 2004, p. 31-34. ↩︎
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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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