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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 18:14

        * Toile de Dominique Baillieux.100_0191.JPG          

 

 

     SUR LA POESIE

 

Il ne suffit sans doute plus de s’extasier comme Vigny, dans Les Destinées : « Poésie, ô trésor ! perle de la pensée ! »

Il ne s’agit plus de se limiter à une utilité de la poésie : elle est, certes, une technique pour communiquer, conserver et transmettre les textes, contes, fables, épopées (Iliade, Odyssée), les livres fondateurs ou religieux  Elle est mémoire des hommes, mais plus : elle est mythe.

            Ainsi, l’imagination de Hugo retrouve la fonction mythologique de la poésie : La fin de Satan est un vaste poème, écrit en 1854, expression de l’utopie romantique ; cette poésie traite de philosophie de l’histoire, de réflexion politique et sociale, de liberté, de la révolte de l’homme : le mythe du progrès parcourt toute l’œuvre de Hugo.

En outre, la poésie s’est voulue, à certaines périodes difficiles des hommes, engagement. Voici encore l’exemple de Hugo et l’exil du poète durant la dictature de Napoléon III. On trouve une attitude identique chez les poètes du XX° siècle durant la guerre et  la Résistance face au nazisme. Quand la liberté physique n’existe pas, la poésie exprime le mythe de la liberté imaginée, ressuscitée : c’est le cas des poètes résistants comme Eluard, Desnos, Aragon, ou René Char, « Capitaine Alexandre » dans les maquis de Provence…

De même les poètes du Tiers-monde ont exprimé leur sentiment de révolte contre l’occupant : Pablo Neruda au Chili ou les écrivains de la Négritude, contre le colonialisme : exaltation des valeurs négro-africaines. C’est l’exemple d’un mythe qui a réussi avec la poésie d’Aimé Césaire et de Léopold-Sédar Senghor : leur poésie a été reçue par les jeunes lecteurs antillais ou africains comme un appel à la reconquête de leur identité volée.

La poésie est aussi magie, incantation ; la parole poétique est un langage qui dépasse le rôle purement utilitaire, de communication, d’information; ce langage manifeste sa puissance, sa force d’envoûtement. Baudelaire définit son art poétique comme « une sorcellerie évocatoire » et la poésie constitue, pour lui, une réponse à la faillite des religions : elle est le dernier espace du sacré; Paul Valéry, au XX° siècle, retrouve le sens étymologique du mot « charmes », du latin carmina signifiant des chants au pouvoir magique.

 

            Le poète devient mage, voyant : le recours au rêve, la puissance de l’imaginaire vont permettre d’explorer de nouveaux espaces. Cependant, va vite s’opérer une dégradation de l’utopie romantique. A la contemplation de la Nature va se substituer le décor urbain : la ville va devenir le lieu privilégié de toutes les contradictions. Et la poésie, comme la ville, est l’espace où les oppositions de toutes sortes (sociales, politiques, religieuses…) vont se manifester ; relire encore Baudelaire et Rimbaud…

Alors la poésie est synonyme de connaissance : elle peut devenir un moyen d’élucidation, d’explication : le romantisme européen a fait du poète un « mage », un prophète, un voyant (Rimbaud : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. » , ou Novalis, poète allemand : « L’homme entièrement conscient s’appelle le voyant » Cette conception est idéaliste : le poète serait celui qui a accès à un monde autre, à un ailleurs ; exilé dans le monde matériel ; il conserve rait le souvenir du ciel antérieur ; le thème de « la voyance poétique «  se retrouve tout au long du XIX° siècle. Ainsi, Hugo : « Le domaine de la poésie est illimité. Sous le monde réel, il existe un monde idéal…Préface des Odes, 1822. Ou Gérard de Nerval : « Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire et de corne qui nous séparent du monde invisible. », note-t-il dans Aurélia, publié en 1855

Pour Baudelaire, la poésie est symbolique : « Tout est hiéroglyphique et les symboles ne sont obscurs que d’une manière relative…or, qu’est-ce qu’un poète, si ce n’est un traducteur, un déchiffreur.. ? », dans son essai Sur Victor Hugo, 1861.

            Mais, au-delà du symbolisme, l’auteur des Fleurs du mal annonce la modernité, une écriture inédite qui travaille le matériau de la langue, qui déconstruit, avec Mallarmé, l’ordonnancement classique de la syntaxe et désarticule la phrase. « La poésie est une écriture qui brûle son alphabet », écrit Baudelaire, célèbre aussi pour cette affirmation, en apparence contradictoire : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes. » Baudelaire, le premier, affirme surtout la relativité du Beau, annonçant par là les « ready made » à la Marcel Duchamp ou les « installations » artistiques d’aujourd’hui : « La beauté absolue et éternelle n’existe pas ; l’élément particulier de chaque beauté vient des passions et comme nous en avons de particulières, nous avons notre beauté. » (salon de 1846)

 

La vision idéaliste du poète prophète et sauveur de l’humanité :

« Le poète est l’homme des utopies,

Les pieds ici, les yeux ailleurs.

C’est lui qui sur toutes les têtes,

En tout temps, pareil aux prophètes,

…Fait flamboyer l’avenir ! », (Victor Hugo, dans le recueil Les rayons et les ombres) est désormais, à la fin du XIX° siècle et, surtout, au début du XX°, avec Apollinaire et la boucherie de 14-18, dépassée ! La poésie, privée de ponctuation, d’ordre grammatical, devient un dessin, un calligramme, puis un jeu surréaliste, un fruit du hasard ou de l’agilité ludique des troubadours modernes…Cependant la présence de la magie, chez les surréalistes et André Breton, surtout, et aussi celle de l’émerveillement («J’émerveille ! », clame Guillaume Apollinaire, ou « Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté. ») traverse toujours le texte poétique, en dépit de toutes les métamorphoses et de tous les avatars insolites de la forme. 

 

A Hugo se décrivant comme un nouveau Moïse, à l’ambition démesurée qui apparaît dans un poème écrit en août 1823 : « Un formidable esprit descend dans sa pensée…sa parole luit comme un feu…Et son front porte tout un Dieu ! », s’oppose, avec la modernité du siècle nouveau, une conception plus simple et « matérialiste » : le poète est un « parolier » pour Jean Paulhan, un « fabricateur » pour Paul Valéry, rappelant le « faiseur » décrit par Diderot, deux siècles plus tôt. Et aussi Théophile Gautier, orfèvre des mots, adepte de l’art pour l’art (« Tout ce qui est utile est laid », préface au roman Mademoiselle de Maupin) écrivant :

« Le mot « poète » veut dire littéralement faiseur : tout ce qui n’est pas fait n’existe pas. » A l’inspiration, don des dieux ou des Muses, s’oppose donc le travail sur les mots, la langue, conception moderne de la poésie, le poème devenant une « chose » ou, mieux, un objet d’art. Conception plus modeste, avant tout, s’opposant à celle du créateur : le poète était une sorte de dieu. Et pour Rimbaud, le poète disposait du pouvoir du langage, mais il est surtout à la recherche d’un nouveau langage : « Le poète est un voleur de feu. », écrivait l’auteur d’Une saison en enfer.

Loin de cette exaltation de ce rôle primordial, la poésie, qu’on prétendait impossible après les horreurs de la Shoah ; du génocide, des camps…est à lire et à entendre dans la publicité, dans le rythme du rap ou dans la chanson.

Cependant tous les poètes n’ont pas renoncé à affirmer une exigence plus haute. Mais qui lit, à présent, Char, Guillevic ou Bonnefoy.. ? A qui la faute ? La poésie serait-elle devenue une langue étrangère, un continent étrange, trop éloigné des préoccupations de nos contemporains.. ?

 

 

 

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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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