G.Didi-UBERMAN -
Je viens de lire le livre du philosophe français sur le danseur Israël Galvàn. On ne peut pas dire que cette réflexion soit facile, l'auteur mêlant culture philosophique (Nietzsche et les arts dionysiaques, Jean Baudrillard et les simulacres...), culture tauromachique (J.Durand, J.Bergamin), la psychanalyse (Freud) et la littérature (Bataille, Leiris, Blanchot...)...
Ddi...Veut montrer la solitude, physique et spirituelle, du torero et son travail dans le silence absolu, sorte de musique tue (ou "musica callada) alors qu'il est dans le cirque, l'arène remplis des cris de la foule désirant davantage d'art, d'adresse et de mort artistique.
Le lutteur se trouve dans une "solitude sonore", comme l'écrivit Bergamin, substance même, substance musicale de l'art tauromachique.
Comparaisons entre danse et tauromachie structurent le texte; la définition de la danse est à trouver à la page 49 : "la danse est un savoir de l'inconscient en ce sens qu'elle "engendre ce qui est sans volonté par la volonté et de façon instinctive", façon pour Nietzsche de se situer dans la perspective de Schopenhauer..."
Fusion absolue entre danse, chant et tauromachie; moi qui déteste la "corrida", je suis servi, mais j'aime les auteurs qui "magnifient" ce combat prosaïque en mythe solaire éternel et tragique; écoutons Bergamin, encore : "La danse et le chant andalous semblent s'unir dans la figure lumineuse et obscure du torero et du taureau, pour, en définitive, jouer le tout à pile ou face, le tout pour le tout..."(p.61)
JPB
Il ne s'agit, dans ce livre, que de regarder et de décrire philosophiquement, autant que faire se peut, un grand danseur de baile jondo, Israel Galván. Il s'agit de reconnaître dans son art contemporain un art de " naissance de la tragédie ". Il s'agit d'écouter son rythme et de reconnaître dans ses mots - au moins trois d'entre eux : la jondura ou " profondeur ", le rematar ou l'art de " mettre fin " et le templar, intraduisible - de grands concepts esthétiques que notre esthétique ignore encore.
Le Danseur des solitudes 2006 15,20 €
" J'ai vu, un jour, dans les Alpujarras, un oiseau immobile dans le ciel. C'était un petit rapace. Son corps, à mieux y regarder, esquissait bien quelques gestes infimes : juste ce qu'il fallait pour demeurer dans le ciel en un point aussi précis qu'intangible. Sans doute était-ce le sitio convenable pour bien guetter sa proie. Mais il lui avait fallu, pour cela même, renoncer à voler vers un but, ne surtout pas " fendre l'air ", tout annuler pour un temps indéfini. C'est parce qu'il s'était placé contre le vent - parce que le milieu, l'air, était lui-même en mouvement - que le corps de l'oiseau pouvait ainsi jouer à suspendre l'ordre normal des choses et à déployer cette immobilité de funambule, cette immobilité virtuose. Voilà exactement, me suis-je dit alors, ce que c'est que danser : faire de son corps une forme déduite, fût-elle immobile, de forces multiples. " |