Le peintre Catalan s’est éteint cet été à l'âge de 93 ans. Discrètement, comme il avait choisi de vivre. Durant plus de 60 ans, il a déroulé « son affaire » comme il aimait à le dire. Sans que rien ne vienne le dévier de sa route : ni les feux de Paris ni les ors des galeries. Parmi les rencontres d’artiste qu’il est donné de faire, celle de Jean Capdeville fut essentielle. Il y a trois ans, il recevait encore. Impossible d’oublier cet intérieur impeccablement simple et austère. Il n’y avait rien de trop chez lui, sauf peut-être des dizaines de pots de peinture noire. Sa favorite, dont il s’inquiétait sans cesse de manquer. Pour se rendre à l’atelier, il lui fallait grimper plusieurs étages, qu’il gravissait lentement mais fermement, une main posée sur la rampe d’escalier. Là-haut, la même sobriété attendait le visiteur. Arrivé dans l’espace dévolu à la peinture, il observait sans rien dire. Lui, l’artiste au dos vouté de s’être inlassablement courbé sur la toile travaillée au sol, nous laissait en paix effleurer ses secrets. Avait-il peint depuis longtemps ? « Oh ! Oui ! Depuis au moins deux ou trois jours ! » Il aimait plaisanter. Quand au bout du chemin, le corps peu à peu s’efface, l’âme légère et souriante investit la place. Une dernière question avant de s’éclipser : « Pourquoi ? » « Parce que la dernière pourrait être la meilleure », avait-il répondu. En souvenir de ce bel après-midi d’été et pour que résonnent encore la parole du peintre,ArtsHebdo médias met en ligne le portrait de Jean Capdeville écrit pour Cimaise en 2008.

 

 

 

 Jean Capdeville @dans son jardin à Céret JC6.jpg Portraits Peinture Hommage à Jean Capdeville

 

L’heure de la sieste a sonné. Les venelles de Céret se sont vidées, les échoppes aussi. Dans la rue principale, une grande bâtisse blanche aux volets clos semble sommeiller elle aussi. La porte poussée, un long couloir mène au jardin, et de l’ombre à la lumière. Assis dans un fauteuil en osier, sous les arbres, sa canne posée sur la table devant lui, il observe, immobile. L’homme, la peau tannée par le soleil, surveille un jeune chat à l’affût du premier oisillon qui s’aventurerait à portée de griffes. Son profil est d’aigle comme son regard. L’espace d’un instant le tableau se fige, l’œil fixe à jamais cette image dans la mémoire aux confins du cœur. Jean Capdeville, 91 ans, continue de peindre. « Je vais essayer de mettre un dernier coup de collier, confie-t-il d’emblée,pour rejoindre les balbutiements de la fin. Je ne sais pas comment ils seront, mais la plupart du temps, c’est à ce moment-là que les peintres atteignent le meilleur. Ils touchent cette chose impalpable, eux-mêmes. »

Jean Capdeville est né le 13 septembre 1917 à Saint-Jean-de-l’Albère. Son père meurt l’année suivante au front. A partir de ce jour, l’enfant ne verra plus jamais sa mère habillée autrement qu’en noir. Un noir mat qui envahira ses toiles des années plus tard. De son enfance, il ne dit rien. De sa vie d’adulte non plus. Il balaie d’une phrase les trente premières années de son existence. « Je n’ai rien fait jusqu’à 30 ans. Je ne savais pas quoi foutre, je m’ennuyais et j’ennuyais les gens qui étaient autour de moi. » En réalité, à 18 ans, Jean Capdeville fait son service militaire, puis s’engage en 1937. Prisonnier de guerre de 1940 à 1945, en Allemagne, le jeune homme, qui revient à Céret, traîne sa vacuité, son mal-être, se sent inutile. Ses pas le ramènent régulièrement vers l’atelier d’un peintre, père de l’un de ses amis. « Je passais souvent chez Brune. Il avait l’air content de son affaire. On parlait, mais sa peinture ne m’intéressait pas. »

Pourtant, Capdeville se convainc peu à peu que cette « affaire » pourrait devenir la sienne. Il s’inscrit à un cours de dessin par correspondance, mais Brune lui conseille d’oublier les conventions. « J’étais heureux de faire enfin quelque chose, mais je n’imaginais pas que cela allait durer le reste de ma vie. La catastrophe aurait été que je subisse un échec ou que je me tourne vers autre chose. Mon frère, lui travaillait normalement, selon les règles établies, il était médecin. » Le jeune peintre souffre de la comparaison. Son frère aîné a choisi une voie classique, lui ne sait pas encore s’il pourra tenir la sienne.

 

 

 

 

Crédits photos : © Jean Capdeville Photo MLD - © Photo MLD