Castillet illuminé (Jean-Pierre Bonnel, déc 2014)
Merci aux sites qui ont publié ces textes sur la Catalogne.
*Expliquer la Catalogne aux Français
(par Francesc Bitlloch et Patrick Roca, membres de l’Assemblea Nacional Catalana)
Lorsqu’ils sont informés de l’existence de mouvements revendiquant l’indépendance d’un territoire, les Français, les Anglais ou les Japonais ne réagissent pas forcément de la même manière. Dans chaque cas entrent en jeu des éléments liés à la mentalité, voire à certains a priori liés à l’Histoire et au système politique propres à chaque pays.
Lorsqu’on analyse la réaction immédiate et générale de la classe politique française, des médias et des citoyens face aux informations concernant une possible indépendance de la Catalogne, on observe des réactions qui, dans l’ensemble, ne sont pas très différentes les unes des autres. En effet, une certaine idéologie jacobine imprègne encore assez fortement une partie de la société française, ses institutions, ses manuels d’Histoire, sa classe politique, ses médias et même la langue de tous les jours.
Un Etat – une nation – une langue
La confusion entre l’Etat et la nation, propre à l’idéologie jacobine, en est un exemple flagrant et dans de nombreux cas aucune différence n’est faite entre les deux termes. L’Espagne étant un Etat, elle doit donc forcément être une nation, se dit-on. L’identification de l’Etat à la nation va même plus loin et inclut la langue : si l’Espagne est une nation, elle ne peut avoir qu’une langue. Tout ce qui n’est pas de l’espagnol ne peut être que dialecte ou patois sans guère d’intérêt. Sans Etat, point de nation ou de langue.
Cette perception est pour le moins paradoxale si l’on garde à l’esprit que de nombreux francophones vivent dans des Etats composites, « plurinationaux », tels que la Belgique, la Suisse, ou le Canada, et qu’il existe au Québec un puissant mouvement indépendantiste comptant bien des sympathies en France.
Modèle français / modèle espagnol
Outre ces éléments idéologiques, il faut peut-être aussi rappeler une certaine fascination française pour l’exotisme culturel de l’Espagne, ce qui conduit donc souvent à ne pas vouloir entendre les arguments avancés par les Catalans pour expliquer leur désir d’indépendance. Ces arguments sont souvent perçus comme injustes, comme des éléments de division et de confrontation qui remettent en question l’idée préconçue que beaucoup ont de ce qu’est un Etat, et en particulier l’Etat espagnol. L’Espagne est globalement perçue comme un Etat unifié, sur le modèle français. L’erreur est peut-être compréhensible, dans la mesure où l’Etat unitaire espagnol s’est construit sur le modèle de la France, qui était parvenue à créer une nation sur la base d’un Etat préexistant. Il est donc particulièrement difficile pour certains de comprendre ces Catalans qui veulent justement faire le contraire : créer (ou plutôt recréer) un Etat sur la base d’une nation catalane préexistante.
Les épouvantails du jacobinisme
Dès lors, il est intéressant d’analyser, dans le langage quotidien, les lieux communs qui surgissent souvent comme des épouvantails lorsque le mot Catalogne apparaît dans une conversation, des réactions calquées sur celles que peuvent susciter chez certains les revendications culturelles bretonnes, corses, basques, alsaciennes ou occitanes. On pourrait en faire un dictionnaire. Voici les termes les plus importants:
- Repli identitaire. Se replier, c’est retourner aux temps précédant l’existence de la nation, retourner aux identités perçues comme tribales ou féodales.
- Protectionnisme ethnique. Les identités infra-étatiques sont archaïques, exotiques, inférieures… Protéger les langues non « nationales », c’est sympathique en Afrique, mais dangereux en France, et donc aussi en Espagne.
- Communautarisme. « Le » terme péjoratif, utilisé pour désigner aussi bien les immigrés qui se ferment sur leur culture d’origine et les défenseurs des langues minoritaires.
- Passéisme, langue régionale. La langue « régionale », c’est la langue du passé, des grands-parents.
- Egoïsme territorial. Le concept qui, au nom de la solidarité, justifie le traitement fiscal discriminatoire de l’Etat espagnol envers la Catalogne depuis 300 ans. Toute revendication propre à un territoire est un égoïsme territorial.
N’oublions pas, bien entendu, l’utilisation généralisée du terme «populisme» pour tout ce qui semble un peu excessif. Mais l’épouvantail jacobin par excellence, la barrière sémantique infranchissable, c’est l’utilisation systématique de deux mots, « nationaliste » et « séparatiste », qui disqualifient d’office ces processus et leurs partisans.
Dans les médias français le terme « nationaliste » désigne souvent des mouvements radicaux, voire violents. C’est un mot avec une forte connotation historique, qui évoque l’extrémisme, l’extrême-droite, l’exaltation des symboles patriotiques, l’idéologie ethniciste voire raciste.
Toute personne connaissant le mouvement catalan doit portant bien convenir que les idées que véhiculent ces mots-épouvantails sont fort éloignées des revendications catalanes. Comment, dès lors, faire connaître aux Français la nature du processus actuellement à l’œuvre en Catalogne ?
Les médias français
Les médias français, contrairement aux médias anglo-saxons, ont somme toute assez peu parlé du processus d’indépendance de la Catalogne. C’est le paradoxe : les voisins méridionaux de la France sont en plein processus d’indépendance et les Français n’en sont qu’assez peu informés. Il nous faut saluer les efforts encourageants de certains médias, régionaux et nationaux, avec quelques infléchissements récents et remarqués. Mais ici ou là pointent encore trop d’amalgames et d’à-peu-près, dus à une lecture idéologique des événements, qui sont décodés, parfois inconsciemment, au travers d’une vision jacobine de l’Etat espagnol.
Il demeure sans doute une certaine ignorance de la situation et aussi une grande difficulté à comprendre ce qui se passe, tant ce processus est éloigné des schémas mentaux et socio-politiques français. Certains articles, et certains commentaires des lecteurs dans la presse numérique, sont illustratifs de cette incompréhension.
Des explications argumentées et rationnelles
Pour expliquer en France la nature du mouvement d’indépendance catalan tout en évitant de recevoir pour toute réponse les lieux communs du jacobinisme, il nous semble indispensable d’expliquer le mouvement de façon rationnelle et argumentée en trois temps : le passé, le présent et le futur de la Catalogne.
1. LE PASSÉ. Une nation avec 1000 ans d’histoire, dont 700 ans d’indépendance et 300 ans de soumission à l’Etat espagnol suite à une guerre de conquête brutale. Un des premiers Parlements en Europe, dès le XIIIe siècle, dans le cadre d’un Etat souverain, où l’exercice du pouvoir s’exerce par la négociation et le pacte entre le roi et les représentants du peuple et où des libertés remarquables pour l’époque sont garanties. Une langue millénaire, née en même temps que toutes les autres langues latines. Une littérature comme celle des autres nations européennes, avec des auteurs tels que Ramon Llull (Raymond Lulle), Ausiàs March, Jacint Verdaguer, Joan Maragall, pour ne citer que quelques grands classiques. Des contributions à la peinture et à l’architecture qui ont souvent mis la Catalogne à l’avant-garde de l’Europe, avec des artistes telles que Gaudí, Miró ou Dalí. Et dans un autre registre, une cuisine, des fêtes, des traditions, un folklore, vivants et originaux, expression d’une identité très ancienne en tant que peuple distinct. Un peuple qui demande tout simplement la restitution de sa liberté et de son Etat, qui lui furent arrachées par la force il y a 300 ans. Non pas pour s’isoler, pour se « replier », mais pour se réintégrer en tant que partenaire de plein droit dans la communauté internationale.
LE PASSÉ RÉCENT. Pourquoi la cohabitation harmonieuse au sein de l’Etat espagnol s’est-elle avérée impossible ? Ce n’est pas faute d’avoir essayé, en tout cas pour ce qui est des Catalans. Mais quelle a été la politique de l’Etat espagnol au travers des siècles ? Une spoliation économique de la Catalogne, avec une pratique fiscale et économique discriminatoire, bien documentée par des historiens et des économistes de renom, et qui commence dès la conquête de 1714. Une répression continue pour étouffer et mettre fin à l’existence de cette nation : bombardements (tous les 50 ans, comme le recommandait le général Espartero), diverses dictatures brutales, des guerres sanglantes, des exils massifs, une répression extrêmement dure, l’interdiction de la langue catalane. Des tentatives renouvelées d’accord pour trouver des formes de cohabitation harmonieuse au sein de l’Etat espagnol, qui n’ont jamais été respectées, l’exemple le plus spectaculaire et un des détonateurs de la crise actuelle étant le sabotage par le Parti Populaire et par ses relais dans la Cour constitutionnelle espagnole du nouveau Statut d’autonomie voté en référendum par les Catalans. Des tentatives renouvelées, là aussi, de « changer l’Espagne », de la faire évoluer vers plus de modernité et de démocratie, qui ont été reçues avec dédain par les pouvoirs en place, par les grands partis espagnols et par les restes d’une oligarchie franquiste encore en place après trente ans, au nom d’une conception ancienne et immuable de l’Etat espagnol comme un tout uniforme et monolingue.
2. LE PRÉSENT (volet économique). L’indépendantisme catalan, ce n’est pas un « égoïsme territorial » ou un refus des riches d’être solidaires avec les pauvres. Il s’agit d’un déséquilibre territorial structurel, historique, discriminatoire, unique au monde.
La crise n’a fait qu’aggraver une injustice historique, remontant à la conquête de 1714, un déséquilibre entre territoires vainqueurs et vaincus, entre dominants et dominés. La revendication économique n’est pas au cœur du mouvement indépendantiste, mais elle constitue une manifestation évidente et chiffrée d’une colonisation culturelle, linguistique et institutionnelle. La Catalogne représente 16 % de la population, génère 20 % de la richesse, paye 22 % des impôts et ne reçoit que 9% des investissements de l’Etat. 8 % du PIB catalan s’évapore chaque année en transferts fiscaux vers Madrid qui ne sont pas réinvestis par l’Etat en Catalogne, ce qu’on appelle le « déficit fiscal » (le plus élevé au monde, bien au-dessus de celui du Land de Bavière, le plus riche d’Allemagne, avec un déficit fiscal de 4%). La Catalogne, asphyxiée économiquement par Madrid de façon délibérée, se trouve en outre être la région souffrant le plus des coupes budgétaires (30% du total espagnol).
Et si cet immense déficit fiscal était utilisé pour assurer le progrès de l’Espagne et le bien-être des Espagnols, on pourrait sans doute discuter. Mais l’essentiel du déficit fiscal est destiné aux dépenses somptuaires et inutiles : TGV et aéroports vides et non rentables, clientélisme généralisé, corruption, grandes dépenses d’armement pour les amis de l’oligarchie madrilène, et autres œuvres pharaoniques.
LE PRÉSENT (volet politique). Toute la stratégie de Madrid vise à nier l’existence d’un peuple. Les chiffres du déficit fiscal, et la nécessité de continuer à l’exploiter la Catalogne pour assurer le pouvoir d’une oligarchie, expliquent pourquoi il est essentiel pour Madrid de nier l’existence de la Catalogne en tant que nation et que sujet politique qui aurait son mot à dire dans sa destinée politique. Ils expliquent pourquoi Madrid menace de détruire la langue catalane en essayant de mettre fin à l’école en catalan, qui fonctionne depuis trente ans, a le soutien d’une partie écrasante de la population et a permis que, malgré les origines très variées des Catalans d’aujourd’hui, 95 % comprennent le catalan et 75 % le parlent. Ces chiffres expliquent aussi pourquoi l’Espagne a fait annuler les dispositions essentielles d’un Statut d’autonomie négocié, voté et ratifié par référendum par le peuple de Catalogne. La spoliation n’est pas seulement fiscale, elle est aussi culturelle, linguistique et politique.
3. LE FUTUR. L’indépendantisme catalan est une aspiration collective et largement partagée : 80% des Catalans favorables à un référendum ; immenses manifestations ; deux millions de personnes pour la chaîne humaine en septembre 2013 ; une majorité parlementaire favorable à l’indépendance ; enquêtes très favorables au « oui » en cas de référendum ; une déclaration de souveraineté votée en janvier 2013 par le Parlement… Face à cette aspiration populaire, la camisole de force que constituent une monarchie et d’une Constitution faites pour perpétuer un certain héritage du franquisme (les historiens ont établis que les militaires franquistes ont pesé sur le processus de rédaction de la Constitution, en particulier sur l’article qui décrit l’armée comme le garant de l’unité espagnole) ; bruits de bottes lorsque l’indépendance de la Catalogne est évoquée ; un Etat qui, incapable de séduire une majorité de Catalans, joue la carte du discours de la peur. Mais la majorité parlementaire pour l’indépendance est là. Ce que les Catalans veulent, c’est un pays normal. Construire un pays normal. Et non pas demeurer des citoyens de second rang dans cet Etat espagnol qui les traite comme des étrangers. Les Catalans veulent donc voter comme les Ecossais, comme les Québécois… Mais l’Espagne résiste, une autre preuve que cet Etat n’est pas totalement démocratique.
POUR CONCLURE : L’indépendantisme catalan est démocratique, pacifique et surtout INTÉGRATEUR, loin de l’ethnicisme, du racisme et de l’exclusion. Un indépendantisme fait de personnes venues de partout, un indépendantisme bilingue et multilingue, un indépendantisme enthousiaste qui veut construire un Etat plus juste, plus moderne, plus prospère, plus solidaire. Comment le veulent aussi tous les peuples du monde. La plupart des peuples y arrivent par la force, les Catalans y arriveront grâce à la persévérance et à la démocratie. Posted on 10 desembre 20
**En sang et or, le peuple de la Catalogne veut l'indépendance
01 JUILLET 2013 | PAR STEPHANE RIAND
Ici, en Catalogne, le peuple catalan veut son indépendance. Une majorité politique, qui traverse la gauche, la droite, le centre, qui réunit les jeunes et les vieux, les intellectuels et les ouvriers, les femmes et les hommes, s’est créée aux couleurs sang et or. Le pays catalan est traversé de signes qui ne trompent pas l’étranger et le curieux.
Le Barça, emblème de la Catalogne, a choisi pour la saison 2013-2014 des maillots aux traits et aux couleurs de la senyera, le drapeau catalan. En sang et or. Comme s’il était certain que le référendum d’autodétermination aurait immanquablement lieu en 2014.
Ce dernier samedi, le Camp Nou du Barça était bondé. 90’000 personnes réunies pour y chanter leur désir d’indépendance. Un peuple uni dans ce stade mythique pour y vibrer non aux exploits de Messi et de Xavi, mais pour y revendiquer haut et fort sa volonté de liberté politique. Un concert pour la liberté (Concert per la Llibertat) – Freedom 2014 Catalonia pouvions-nous lire en anglais dans les rangées du Nou Camp -.
En 1924, Gaudi, l’âme architecturale de Barcelone, se faisait arrêter au milieu de la cité, simplement parce qu’en marchant il parlait catalan. Aujourd’hui une physiothérapeute de Platja d’Aro devant une patiente ose : « les gens sont prêts à l’indépendance. Ils en ont marre. Ils ne veulent plus suivre les directives de Madrid qui veut réduire l’enseignement en langue catalane. Les gens ne le supportent plus. Et surtout les jeunes ». Dans certaines classes, prévoit Madrid, il suffit d’un élève exigeant un enseignement en castillan pour imposer l’abandon du catalan. Or cette langue catalane, à nulle autre pareille, est si intimement inscrite dans la chair des hommes et des femmes d’ici qu’y toucher est un acte au-delà du sacrilège.
Le gouvernement conservateur de Marian Rajoy, comme l’écrit Le Figaro du 1er juillet 2013, « freine des quatre fers une initiative qu’il juge contraire à la Constitution ». Mais les deux grands partis nationalistes de la Catalogne se sont engagés devant leurs électeurs à organiser ce scrutin portant sur l’autodétermination, à terme sur l’indépendance.
Les Catalans sont convaincus aussi d’être les vaches à lait du pays. Ils avancent notamment le coût de l’utilisation des autoroutes, par exemple entre Girone et Barcelone, qu’ils comparent à la gratuité de parcours à travers toute l’Espagne. On pressent, sans que personne ne veuille trop s’étendre sur les chiffres réels de la chose, que l’argument fiscal, financier et économique guide aussi les pas de la majorité de la Catalogne.
Lorsque, en 2010, l’Espagne devint championne du monde de football en Afrique du Sud, au pays de Mandela, Xavi Hernandez a revêtu pour son tour d’honneur aux côtés d’Andres Iniesta un drapeau aux couleurs de la Catalogne et non de l’Espagne. Autour d’une paella marinière ou d’une dorade grillée, les supporters catalans, sirotant leur bière, ne sont pas peu fiers de faire savoir que sept joueurs du Barça sur onze figuraient dans la composition de cette fabuleuse équipe de football qui domina ce sport ces dernières années.
Les hommes de la culture, emmenés par Luis Llach, soutiennent cette ferveur. Certains se sont engagés derrière la formation politique Esquerra Republicana de Catalunya.
Le mouvement est irréversible.
« In, in-de, In-de-pen-den-cia ! », voilà le cri de rassemblement de tous les Catalans.
Le point final du concert a été donné avec la chanson « Tossudament alçats » (obstinément rebelles) et des cris en faveur de l’indépendance. Une immense clameur en forme de message politique adressé vers Madrid.
***Espagne. La Catalogne prend le large
GRAND ANGLE A Sant Vicenç dels Horts, près de Barcelone, on vit déjà bien loin de Madrid. Dans toute la région, à la faveur de la crise, l’indépendantisme gagne du terrain.
La flamme a une allure olympique. L’urne métallique qui lui sert de support a été placée en surplomb des regards, comme si elle trônait, devant les balcons de la mairie pavoisés d’une longue senyera, le drapeau catalan sang et or. Tôt ce samedi-là, les membres du club des cyclistes et des excursionnistes l’avaient recueillie des mains de leurs compères de la ville voisine pour l’apporter ici, sur la place de Sant Vicenç dels Horts.
C’est jour de fête dans cette bourgade-dortoir de 28 500 habitants, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Barcelone. La correllengua, littéralement «la langue qui court», est une initiative annuelle du collectif citoyen CAL, qui promène de ville en ville cette flamme, symbole de la «résistance culturelle» catalane. Vers 11 heures, sous un doux soleil d’automne, un chœur s’est formé face à la flamme pour entonner à pleins poumons Els Segadors («les faucheurs»), l’hymne national catalan inspiré d’une vieille chanson populaire faisant référence aux injustes taxes imposées par Madrid au XVIIe siècle.L’hymne sert de coup d’envoi à une série de réjouissances qui durera jusque dans la soirée : on danse la sardane, on déguste les produits du terroir, on édifie les célèbres castelers, ces tours humaines auxquelles contribuent les plus petits et, selon la tradition des diables e angels diabolics, on actionne un mammouth articulé couvert de laine d’où explosent des pétards et sous lequel les plus jeunes s’en donnent à cœur joie et se trémoussent en poussant des cris. Dans une ambiance champêtre à la Jacques Tati, on découvre un condensé de la culture populaire de Catalogne. Mais malgré les accents de kermesse, les activités sont vécues avec intensité et discipline.
«L’Espagne, le reste de l’Espagne, semble bien loin, n’est-ce pas ?» remarque Imma Prats, élue chargée de la culture. Il y a, dans la voix de cette jeune femme brune, la satisfaction d’avoir réussi la gageure de «catalaniser» la bourgade. Rien à voir avec les provinces de Lleida ou de Gérone, où cette culture millénaire est très enracinée : avec ses bâtiments laids et défraîchis des années 60, sans patrimoine historique ou si peu, coincé entre une autoroute, une nationale et une voie de chemin de fer, Sant Vicenç dels Horts est caractéristique du cinturón, cette grande agglomération barcelonaise peuplée majoritairement de gens ayant émigré il y a trois ou quatre décennies du sud de l’Espagne. De sorte que 70% des Vicentinos parlent le castillan et, au mieux, bredouillent le catalan.
«A la mairie, on propose des cours de langue, poursuit Imma Prats. Ce bain culturel prend du temps, on a longtemps ramé, mais cela porte ses fruits.» Pour preuve, après trente ans de domination socialiste (parti espagnoliste), la municipalité est tombée en 2011 dans le giron d’Esquerra Republicana (Gauche Républicaine, ERC), formation qui prône l’indépendance et qui, en coalition avec les démocrates-chrétiens de CiU, au pouvoir régional, a annoncé un référendum d’autodétermination pour 2014, malgré les cris d’orfraie de Madrid.
«MAÎTRISER SON DESTIN»
Cette perspective enflamme Montse Siñol et Ivan Barquero. Au départ, ils ont peu en commun. Elle, 54 ans, formée dans l’administration, de famille catalanophone, un père passé pendant la guerre par le camp de concentration d’Argelès. Lui, 36 ans, technicien chez Canon, d’origine castellano-andalouse, une mère ultra-espagnoliste. Montse et Ivan partagent un même rêve : l’indépendance. Tous les deux vivent «en catalan» : la radio (la Rac 1 ou Cat Radio), la télé (TV3), les lectures, les activités culturelles… Tous les deux se réjouissent que les arènes municipales ne servent plus depuis l’interdiction de la corrida – symbole de «l’Espagne rance», disent-ils -, décrétée par le Parlement catalan en 2010. Mais cela ne leur suffit plus, ils veulent pleinement s’émanciper du reste du pays, «vivre dans une Catalogne souveraine» (Ivan), «dans un pays qui maîtrise son destin» (Montse). Au chômage depuis peu, ils pensent qu’alors, leur situation s’améliorera. «En Catalogne, les choses se font mieux, plus sérieusement, insiste Ivan. J’ai découvert cela dès l’école. Et puis, notre culture est différente, plus flexible, moins bornée, moins agressive. Vraiment, le mieux est de divorcer, et de devenir de bons voisins.»
Ce sont eux qui, à Sant Vicenç dels Horts, animent la branche locale de l’Assemblée nationale de Catalogne, l’ANC, séparatiste, qui compte 40 membres et 200 sympathisants. Ce n’est pas mal pour une organisation née en mars 2012. A l’échelle de la Catalogne, c’est déjà un collectif conséquent avec 50 000 socios (adhérents), dont 20 000 avec droit de vote, et 600 assemblées territoriales – soit deux tiers des municipalités catalanes. A l’ANC, aucun des adhérents ne peut exercer une fonction dans un parti, et l’indépendance financière – dons des membres et merchandising – est totale. L’ANC se veut un mouvement citoyen, transversal (presque toutes les professions y sont représentées), sans affiliation politique. Une sorte d’avant-garde de la lutte indépendantiste au sein d’une société qui, depuis longtemps, se caractérise par un militantisme actif.
Là réside la singularité du mouvement séparatiste catalan : à la différence du Québec ou de l’Ecosse (les deux principaux modèles, vu de Barcelone), la société civile pèse davantage que les leaders politiques. «Nous avons plusieurs longueurs d’avance sur eux. Sans nous, cela fait longtemps que la flamme indépendantiste serait retombée», assure Jaume Marfany, qui travaille au département de politique linguistique. C’est l’un des hommes forts de l’ANC, il reçoit dans ses locaux barcelonais de 2 000 m², non loin de la Sagrada Familia. «Notre mouvement n’a pas d’équivalent ailleurs. A l’échelle européenne, c’est sans aucun doute le projet collectif qui suscite le plus d’engouement. Et ce en pleine morosité économique.»
Ces dernières années, la société catalane s’est fortement éloignée de Madrid. D’après un récent sondage de la Generalitat (l’exécutif autonome), 54,7% des 7,5 millions d’habitants sont favorables à l’indépendance (contre un tiers en 2005) et 80% approuvent l’organisation d’un référendum. Le déclic principal, ce fut l’énorme manifestation de colère, en juillet 2010 à Barcelone, après que le tribunal constitutionnel réduisit à néant un nouveau statut d’autonomie pour la Catalogne. Un terreau fertile, labouré aussi par la crise économique, qui a préparé la naissance de l’ANC.
En 2012, lors de la Diada, la «fête nationale» du 11 septembre, l’ANC organise une immense marche qui oblige le président régional nationaliste, Artur Mas, à promettre un référendum. Rebelote lors de la Diada de cette année, avec l’organisation de la «Via Catalana», une impressionnante chaîne humaine d’un bout à l’autre de la Catalogne, des Pyrénées à Tarragone.
«Cela fait trois cents ans que nous essayons de trouver notre place au sein de l’Espagne, dit Jaume Marfany. Nous avons tout essayé, de façon tolérante et constructive, mais il n’y a pas moyen. L’heure est venue de dire “basta”.» Les doléances sont avant tout d’ordre économique. D’après les indépendantistes, le système de financement défavorise la Catalogne, région la plus dynamique, assurant un quart du PIB espagnol, et impliquerait un manque à gagner de 16 milliards d’euros par an. Madrid réduit ce chiffre de moitié.
Le pouvoir central ayant peu investi ici, le malaise est grandissant : autoroutes payantes (gratuites dans le reste de l’Espagne, hors Pays basque), infrastructures vétustes, aéroport délaissé (El Prat, pourtant plus fréquenté que Barajas, celui de la capitale), couloir méditerranéen non développé, centralisme madrilène… «Tout n’est qu’aberrations. Exemple : une voiture produite ici doit souvent passer par la Castille pour être exportée. Comment un pays peut-il marginaliser sa région la plus forte ?» s’étrangle Oriol Junqueras, leader de la gauche républicaine ERC et maire de Sant Vicenç.
UN «NATIONALISME OBLIGATOIRE»
Ricard Rosenfeld, un pharmacien d’origine germano-hongroise élevé dans un milieu pro-franquiste, a épousé les doléances nationalistes. Il ne décolère pas contre une récente loi détrônant le catalan au profit du castillan comme langue de référence à l’école : «C’est une atteinte à notre liberté, à notre culture.» Sa fille Anna, qui n’a pas raté une seule manifestation de l’ANC, abonde dans son sens : «Madrid nous oblige à justifier le fait que nous parlons une autre langue. Certains me demandent même si je parle catalan dans la rue. Mais c’est ma langue, ma richesse, ils n’ont rien compris !»
Certes, toute la Catalogne n’obéit pas à la lame de fond indépendantiste. Outre les deux formations «espagnolistes», les partis populaire et socialiste, l’ascension de Ciutadans («Citoyens», 9 députés au Parlement autonome) montre que beaucoup manifestent leur rejet. A l’instar du professeur de droit constitutionnel Francesc de Contreras, l’un des inspirateurs de Ciutadans : «On vit ici sous le règne d’une espèce de nationalisme obligatoire et d’une pression médiatique qui veulent nous faire penser de la même façon et proclament pour la Catalogne le ridicule et infondé statut de victime.»
Retour à Sant Vicenç dels Horts. Là, la spectaculaire montée du séparatisme n’est pas tant une affaire de langue, puisque près des trois quarts ne parlent pas catalan. Elle est surtout liée à la peur de l’avenir, alors que le taux de chômage a atteint 23%. De plus en plus, on se méfie de l’Etat central, jugé inefficace, et on parie pour une nation catalane, perçue plus proche et plus efficace.
Fils d’immigrés andalous, affable et loquace, Manolo Garcia, 49 ans, se sent pleinement espagnol, il vibre pour le Real Madrid, ne parle pas un mot de catalan et n’avait jusque-là jamais prêté l’oreille aux sirènes indépendantistes. Mais, en 2011, il vire sa cuti lorsque son entreprise de fibre optique, Fercable, menace d’un plan social lui et 95 autres salariés. «Seuls les séparatistes se sont démenés pour nous sauver et éviter la délocalisation. Cela a marché. J’ai alors compris que l’indépendance était la seule solution pour lutter contre la crise et la globalisation.» (C) FRANÇOIS MUSSEAU ENVOYÉ SPÉCIAL À SANT VICENÇ DELS HORTS ET BARC
** Catalogne, 11 septembre 2013 : l'histoire est en marche ... (10)
09 SEPTEMBRE 2013 | PAR STEPHANE RIAND
La Catalogne est fière de ses géants, ces immenses statues qui déambulent dans les rues, les jours de fête.
Le 11 septembre 2013 les verra participer à cette manifestation de solidarité civique qu’est la Via catalana, parce que là-bas, culture et identité sont indissociables de la vie sociale et politique du pays.
La Catalogne est un géant que l’Espagne rabote consciencieusement et méticuleusement depuis des décennies.
Pour s’en convaincre, il suffit de donner la parole aux entrepreneurs, aux créateurs de richesses et d’emplois. Le Cercle Catalan du Commerce (CNN) s’est créé il y a une dizaine d’années, suite à un amer constat : le monde de l’entreprise perd de son influence sur le marché européen, parce que l’Espagne ne soutient pas la Catalogne, qui se trouve ainsi soumise à une concurrence déloyale de la part de Madrid.
Et pourtant … la Catalogne reste l’un des pays les plus compétitifs du monde industrialisé, comme le montre son important niveau d’exportation. Quel sommet pourrait-elle atteindre, avec un Etat qui aurait à cœur de préserver ses intérêts, avec un Etat qui adopterait une stratégie visant clairement la création de richesses ?
Le CNN a pour principal objectif de démontrer que la Catalogne pourrait être un Etat indépendant, capable de garantir la prospérité de ses citoyens, si elle n’était pas sous le coup d’une spoliation fiscale indécente de la part du gouvernement central.
En effet, les impôts récoltés en Catalogne et envoyés à Madrid ne voient qu’une partie insuffisante revenir au pays catalan, ce qui le conduit à pâtir d’une balance négative, et donc d’un déficit fiscal persistant, qui de surcroît s’aggrave chaque année.
La Catalogne ne perçoit pas suffisamment d’argent de l’Etat espagnol pour faire face à ses propres dépenses, ce qui la conduit à demander des emprunts à Madrid, ce qui la contraint à payer des intérêts … et le cercle infernal de se mettre en place.
Chaque jour, près de 40 millions d’euros partent de Barcelone à Madrid. Entre 1986 et 2006, la Catalogne, qui représente 16 % de la population nationale, génératrice de 20 % de la richesse ibérique, paie 24 % des impôts totaux. L’écart, lorsqu’il se chiffre en milliards, est d’importance, et les conséquences le sont d’autant plus.
Paralysie des investissements dans le port de Barcelone (473 millions), coupes dans le budget de la Santé (921 millions), de l’Education (144 millions), coupes salariales pour les fonctionnaires (320 millions), etc.. La Catalogne applique des mesures d’économie sur le plan des infrastructures, routières, policières, éducatives, sanitaires ou sociales, ce qui très logiquement affecte le niveau de vie de ses citoyens et freine la compétitivité de ses entreprises.
La Catalogne est un géant que Madrid veut voir à genoux.
Elle, qui ne représente donc que 16 % de la population espagnole, se voit dans l’obligation de participer à hauteur de 74 % au fonds de réserve pour la Sécurité sociale. De 2004 à 2007, 17 millions ont été versés à l’Etat, selon une répartition qui démontre à quel point l’injustice est flagrante : 13 millions à charge de la Catalogne, 4 millions à charge du reste de l’Espagne [les chiffres sont en milliers de millions d'euros !].
Entre 1985 et 2005, 600 km d’autoroute ont été construits dans la région de Madrid. Mais seulement 20 en Catalogne. Et elles sont autrement plus chères que dans le reste du pays : le trajet Barcelone-Madrid vous coûtera 20 euros du km, pour seulement 14,3 euros sur le trajet Séville-Madrid. Comment ne pas comprendre les entreprises de transport qui se délocalisent vers la capitale …
La Catalogne est donc la communauté autonome qui paie le plus d’impôts à l’Espagne, et qui perçoit le moins en retour. Pourtant, certaines régions de l’Espagne, confrontées au même souci, ont pu bénéficier d’un accord fiscal plus favorable de la part de Madrid. Qui jusqu’ici se refuse à accorder les mêmes privilèges à la Catalogne, pourtant lourdement endettée.
Selon le CNN, cet endettement serait purgé en moins de deux ans si la Catalogne devenait indépendante.
Non seulement la mère étouffe la fille pour mieux la contrôler, sans comprendre que cette attitude exacerbe les velléités d’indépendance de la région, de cette nation, mais encore elle ne tient pas les promesses qu’elle lui a faites. En effet, Madrid ne réalise que très partiellement les investissements prévus en Catalogne.
En 2009, sur seuls 32 % des investissements promis pour les infrastructures terrestres ont été réalisés. Ce chiffre chute à 8 % pour l’année 2011.
Enfin, Madrid discrimine la Catalogne, entravant ainsi consciemment son développement économique, avec comme conséquence immédiate une péjoration du niveau de vie de ses habitants.
Pour l’exemple, 700’000 passagers annuels restent sur le carreau, à l’aéroport de Barcelone, à qui Madrid interdit de mettre en place des vols directs avec Buenos Aires, New York, Tokyo, Los Angeles ou encore Sao Paulo.
Seuls 24 % des vols intercontinentaux avec l’Espagne se font depuis Barcelone, ce qui naturellement génère un important manque à gagner, et donc freine son expansion et les investissements qui l’accompagnent.
Les étudiants catalans, dont la région représente 16 % du territoire national, ne perçoivent que 8 % des bourses.
La Catalogne est également la région qui compte le moins de fonctionnaires pour son administration, le moins de juges pour le fonctionnement de la justice.
Le géant catalan grogne, non parce que l’Espagne va mal, mais parce qu’elle se montre injuste, parce qu’elle est mal gérée, et que la Catalogne paie la facture.
Imaginez une ville de 75’000 habitants, Ciudad Real, que l’Etat central dote d’un aéroport qui coûte la bagatelle de 1’100 millions d’euros, avec une piste longue de 4 km (l’une des plus longues du monde !) … et que seuls 120 passagers fréquentent chaque jour.
Et la Catalogne de s’appauvrir … l
Le niveau de vie des Catalans, ces dernières années, a baissé de 7,5 % par rapport à la moyenne espagnole.
En 2009, le pays compte 18,4 % de pauvres. Aujourd’hui, on parle de malnutrition infantile dans certaines couches de la population.
Entre 2003 et 2006, en matière de compétitivité, la Catalogne recule de six places dans le monde.
Comment ne pas comprendre l’amertume des Catalans … il est trop facile de les accuser de se montrer peu solidaires envers leurs frères.
Entre la solidarité et les impôts confiscatoires, il y a un pas.
http://www.youtube.com/watch?v=tRQxhkmiXcs&feature=youtu.be
Que le géant catalan franchira le 11 septembre … lorsque les cloches sonneront, lorsque qu’à 17h14 les mains s’uniront, lorsqu’à 17h55 le chant Els Segadors sera chanté simultanément par des centaines de milliers de personnes.
Post Scriptum : voici un document à ne pas manquer si l’on désire approfondir les raisons économiques qui incitent la Catalogne à se séparer de l’Espagne : http://www.ccncat.cat/sites/default/files/REEP-Capitol-1.pdf