(texte prononcé à la maison de la Région- 15 nov. 2012)
La biographie nous emprisonne; nous ne pouvons pas sortir des frontières de la vie résumée à un livre. Ce n'est pourtant que par l'écriture que nous pouvons transcender les moments vécus, sortir du temps perdu, parti à jamais : c'est ce qu'a fait Marcel Proust avec son immense Recherche...
En effet, le passé impose ses pouvoirs : impossible de le modifier, de l'améliorer. Le revivre, c'est possible, par bribes, par fulgurances réapparues soudain.
Il reste le récit de vie, le récit de la vie qui, dans le mouvement de l'écriture, n'a plus rien d'objectif. La vérité, l'exactitude et l'authenticité sont irrécupérables. Il n'y a plus qu'une vision subjective, une écriture nourrie d'événements recomposés : il reste le style !
Je vais donc entamer ce récit, cette sorte d'autofiction, genre à la mode (mais toute la littérature n'est-elle pas parole du moi et mise-en-scène du "je", qui se montre et s’exprime à travers des personnages ou des situations proches du vécu..?
Non, a répondu Montaigne, en écrivant que chaque homme est l'image de l'humaine condition : je ne serais que le représentant de chaque homme, à part quelques détails personnels, le physique, la psychologie...
Pourtant, nous ne subissons pas les mêmes injustices, les mêmes désastres, les mêmes guerres : chaque destin est différent. La condition humaine est certes tragique, confrontée, par exemple, aux catastrophes et conflits du XXème siècle : guerres mondiales, camps de concentration, épuration ethnique... Le début du XXIème siècle n'est pas mal, non plus : affrontements, actes terroristes, population civile bombardée, liquidations ethniques : la mort a de beaux jours devant elle...
C'est vrai, Malraux l'a déjà dit : "La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie."
J'ai donc l'intention de vous parler un peu, modestement, je l'espère, de mon existence et surtout des principales étapes de mes livres et publications.
L'écrivain -ou l'écrivant- ici, devant vous, est né à Perpignan, au mitan du dernier siècle, dans le centre historique de cette ville catalane. Naissance incertaine sur la table en formica de la cuisine, comme il l'a raconté dans un fragment d'autobiographie, semblable à une psychanalyse : L'infini de l'enfance...
Il va à l'école de la Main de Fer, dans le quartier de la Révolution française, puis dans la cour de l'ancien hôpital militaire, où l'on avait posé des préfabriqués inesthétiques et inconfortables... Il ira ensuite, de la sixième à la terminale (à l'exception de l'année de troisième, passée en Normandie, chez sa tante), au Lycée Arago, situé non loin de la maison de la région, où nous sommes, ce soir…
Il passe ses étés dans l'Ariège, chez ses grands-parents maternels, près de Foix. Durant ces vacances paysannes, il découvrira la lecture et la nature, en gardant les vaches de la petite ferme familiale. De nos jours, les jeunes, les ados ne gardent plus les troupeaux : c'est pour cela qu'ils ne lisent plus. Ils lisent bien sûr des bandes dessinées, des livres japonais ou Harry Poter, mais ils lisent surtout sur les écrans de leurs ordinateurs, portables et autres prothèses informatiques...
Comme il a "liquidé" son enfance grâce à l'analyse romanesque, il préfère aborder maintenant la période adolescente. Il s'agit d'une autre séquence temporelle difficile, pendant laquelle l'individu est mal dans sa peau et doit trouver son chemin, son destin...
Notre romancier, grâce au jumelage Perpignan-Lancaster, trouvera une amie anglaise; il se rendra trois fois outre-manche, sur les traces du roi Arthur à Tintagel et sur l'île de Wight, où, autour des années 1967/68; l'adolescence s'indigne, à sa manière, contre l'ordre bourgeois, au cœur de grands rassemblements musicaux...
Le futur écrivain, à l'esprit pacifiste, sera, à cette époque, un peu écolo et antinucléaire : avec quelques amis, il fondera une revue "Le Cherche Midi" (le titre sera repris plus tard par une maison d'édition située dans la rue de l'ancienne prison de Paris, du même nom). Il sera encouragé par Jordi Pere Cerda, alors gérant de la librairie catalane, publiera un texte en catalan de Pere Verdaguer et un entretien avec Patrick Gervasoni, un objecteur de conscience et insoumis, recherché par l'armée...
Une revue est, le plus souvent, une aventure et celle-ci ne durera que l'espace de dix numéros. Quelques années plus tard, il se lancera dans des revues virtuelles, avec le site de "frontières-catalogne", et, depuis cinq ans, avec le "blogabonnel"...
Avant cette profusion d'articles (deux mille sur l'actualité, les arts, la littérature, la Catalogne...), notre homme aura flirté avec la poésie. Ado, à dix-sept ans, on n'est pas sérieux, ou on a la tête romantique : les premières écritures sont toujours poétiques, mais on a tendance à reprendre les lieux communs, les thèmes appris en classe... Pourtant, notre poète aura l'honneur de voir ses poèmes primés aux Jeux Floraux et publiés dans la défunte revue "Tramontane"; c'était le bon temps des journaux littéraires comme "Reflets du Roussillon"; hélas, les revues littéraires sont mortes dans ce département; n'existent plus que des medias sur papier brillant, faisant l'éloge du tourisme, de nos vins et de notre patrimoine...
Le jeune poète rencontre le poète Jacques Gasc, qui lui propose de présenter ses textes à Montpellier : le poète en herbe sera ainsi publié dans la "Revue des écrivains méditerranéens" dirigée alors par Robert Marty. Il aura aussi l'occasion de travailler pour plusieurs journaux (à la Semaine du Roussillon, à Terres catalanes, quatre articles dans Le Monde...), et en particulier pour le quotidien L'Indépendant, quand il avait, dans les années 1970, une édition "Costa Brava": correspondant du journal à Lloret-de-Mar, puis à Gérone, avec Pierre Sourbès, il aura l'occasion d'écrire de nombreux reportages et de rencontrer des artistes aussi différents que Luis Llach, Aznavour, Dali (dans sa maison de Port-Lligat) et surtout le peintre Modest Cuixart, cousin d'Antoni Tapiès, sur qui il écrira un livre avec des photos d'Etienne Montès.
A présent, en 1974, c'est l'heure du choix : opter entre le journalisme et l'enseignement. L'écriture le tient et la tentation est grande de rester au pays car on lui propose un poste à L'Indépendant. Mais la pression de la famille le pousse vers un métier de fonctionnaire... Il faut quitter le pays car le poète a été reçu au concours de l'enseignement secondaire.
A l'autre bout de la France, à Boulogne sur mer, son premier poste, il participera à la revue du "Hareng Saur"... Par la suite, il fondera dans les Alpes une revue trimestrielle "Les Alpes vagabondes"; celle-ci aura les honneurs du guide Gallimard des Hautes-Alpes car elle a retrouvé les traces d'un poète grec en exil dans les montagnes alpines.