D'une mère gitane, originaire de Séville, I. Galvàn est un des rares artistes à défendre la situation des Roms, nomades, gens du voyage, venus souvent de Roumanie, exposés à la haine et au racisme des Européens intégrés et des Français.
Certains spectateurs de Perpignan, minoritaires bien sûr, qui sont racistes sans être obligatoirement d'extrême droite, mais appartenant au "petit peuple" bourgeois individualiste, ne savent pas qu'ils vont assister au spectacle incroyable d'un chorégraphe qui prend parti pour ces Roms, honnis, chassé de tous les territoires car ce sont souvent des chapardeurs...pas des criminels !
Demain, un compte-rendu du livre du philosophe Didi-Huberman, sur I. GALVAN... (J.P.B.)
(au théâtre de L'Archipel, mardi 8 octobre 2013)
* Israel Galván, après avoir suivi son père dans les tablaos, intègre la Compañía Andaluza de Danza. Commence alors une trajectoire peu commune qui, en une dizaine d’années, est couronnée par l’obtention des prix les plus importants de la danse flamenca. En 1998, son premier spectacle Mira ! Los zapatos rojos fait l’effet d’une révolution dans le monde du flamenco. Aujourd’hui, Israel Galván est considéré comme le grand rénovateur de la danse flamenca.
Israel Galván aime à dire que sa forme de communication c'est le corps plus que le langage. "Je cherche une identité par le geste". Difficile dès lors de ne pas avoir à l'esprit ces propos en assistant à une représentation de sa dernière création Le Réel. Un choc. Israel Galván a voulu rendre hommage à la mémoire des milliers de gitans exterminés par le régime nazi. C'est également une histoire personnelle, sa mère étant gitane : il raconte à sa manière ce drame du XXè siècle.
La danse, sa danse, sera ce témoin même si à ses yeux il faut "dépasser la mort sans la montrer". En une série de séquences imaginées avec ses complices Pedro G. Romero et Txiki Berraondo, Galván incarne cet homme face à l'horreur et au silence. "Se confronter à ce qui ne peut se danser est une invitation à la danse". Surtout Israel Galván convoque sur scène deux danseuses remarquables Isabel Bayón et Belén Maya, fille de Mario Maya avec lequel Israel fit ses débuts de solistes flamenco. Ces deux interprètes féminines apportent une autre force à cette création : danse en sabots, flamenco épuré, dialogue avec les instruments ou la voix, ici tout fait sens.
La partition chorégraphique se joue des extrêmes, lenteur et virtuosité, fureur et silence. Comme un "double rythme" qui deux heures durant transporte chacun. Sur le plateau, qu'Israel Galván a voulu dépouillé, un piano qui finit "démembré" les cordes étirées, le bois frappé. Le flamenco furioso de Galván s'affranchit une fois de plus des codes en vigueur pour plonger dans l'histoire. Et si Le Réel évoque la mort, il est aussi et surtout un formidable cri de résistance. La vie sur cette scène comme ailleurs est la plus forte.
** Le danseur est né sous une bonne étoile : fils d'une gitane et d'un autre danseur de légende, José Galvan, il est l'homme sans qui "le flamenco serait différent". (1) Israel était donc de taille à s'attaquer à du grand, du lourd : son dernier spectacle s'inspire de l'Apocalypse selon saint Jean. Pour mieux contrecarrer le sort, il danse et danse encore, osant le mouvement et l'innovation contre la mort et l'habitude.
Vous avez découvert le flamenco enfant avec vos parents. Pourquoi avoir persévéré dans cette voie ?
Au début, la danse en elle-même ne m'attirait pas. Je me souviens que j'aimais jouer dans les loges, j'aimais ramasser l'argent qu'on me jetait sur scène quand il m'arrivait de danser. J'observais les adultes et à leur contact je me sentais grand comme eux. Aujourd'hui, maintenant que la danse est devenue mon métier, elle me sert à mieux me connaître. Je danse souvent seul, mais en m'entourant de musiciens et d'accessoires, je recrée mon propre univers, influencé par Vincente Escudero, Carmen Amaya...
Votre danse réinvente le flamenco. Le spectateur qui vient voir vos spectacles n'assiste pas à une démonstration conventionnelle.
Je ne suis ni un esprit rebelle, ni un génie, et je ne suis pas encore désabusé. Je suis seulement un danseur de flamenco libre. Cette danse n'a pas, que je sache, de règles établies. Il n'existe pas une loi qui édicte ce qui doit ou ne doit pas être fait : chaque artiste est libre de décider et le public reste seul juge. C'est lui qui décide si oui ou non il a vécu une expérience de flamenco en regardant un spectacle.
Pour votre dernière création, 'El Final de este estado de cosas, Redux', vous vous appuyez sur des passages de l'Apocalypse. Pourquoi ce choix ?
El Final de este estado de cosas, Redux, d'Israel Galvan
La Bible et le flamenco ont toujours été, pour moi, intimement mêlés. C'est d'ailleurs pour cette raison que je parle de "mise en (s)cène". Quand j'étais petit, nous dormions mes parents et moi dans des cabarets andalous. Chaque matin, nous lisions un passage de la Bible. Je me souviens notamment des versets de saint Jean dans l'Apocalypse : les lamentations de ses prophéties sonnaient à mes oreilles d'enfant comme les cris des chanteurs de flamenco qui, la veille au soir, avaient chanté la seguiriya. Je vois dans l'Apocalypse toutes les peurs et toutes les fêtes présentes dans le flamenco, et je me laisse porter par ce souvenir, sans vouloir suivre le texte à la lettre.
Est-ce un spectacle liturgique ?
C'est un spectacle de flamenco. Nous, les artistes du flamenco, vivons aussi dans ce siècle, et notre danse, comme tous les arts, peut exprimer les émotions de la société actuelle : la solitude, la destruction de la famille, les catastrophes écologiques, la nature... Ce spectacle est porteur d'un message, mais le spectateur reste libre de l'interpréter.
Propos recueillis par Mathieu Laviolette-Slanka
***DANSE avec les ROMS :
Au milieu d'un campement de Roms à Ris-Orangis, la nouvelle étoile du flamenco Israel Galvan frappe des talons avec passion.
Les Roms du campement, véritable bidonville à 20 kilomètres au sud-est de Paris, ont terminé la construction de la scène vendredi matin afin d'accueillir le danseur, actuellement à l'affiche du Théâtre de la Ville à Paris.
En début de soirée, la silhouette longiligne d'Israel Galvan, pantalon orange et doudoune marron, apparaît dans le camp, attendue par environ 70 personnes, habitants du bidonville et membres d'associations de soutien. Les enfants, tout juste sortis de l'école ou du gymnase où certains sont scolarisés, s'impatientent au milieu de la boue et des cabanes, construites en bordure de la N7.
Torse bombé, accompagné de deux cantaores (chanteurs de flamenco), il exécute quelques pas de danse pendant quelques minutes, frappant le sol de façon rude et virile, à la manière d'un torero athlétique.
Mais il est surtout heureux d'inviter les Roms à danser au milieu de la petite scène, faite de planches de bois et entourée de guirlandes qui donnent à l'endroit des airs de fête foraine.
Une femme, dont la jupe noire frôle le plancher, hésite, puis finalement se lance dans le cercle sous le regard bienveillant d'Israel Galvan.
En soirée, les Roms sortent leurs propres instruments: violons, accordéons et tambours frappés à l'aide de bouteilles en plastique.
"C'est bien pour les enfants, pour nous, pour la musique", dit Jorge, qui habite le campement depuis huit mois. "Ca amène de la joie!"
"Autre type d'énergie"
Fils d'une gitane, Israel Galvan ressent ici une familiarité avec ce qu'il connaît.
"Quand je regarde les gens, je vois certains visages qui pourraient être celui de ma grand-mère", dit-il, souriant, à l'AFP.
"Ce qui me frappe c'est que malgré les difficultés de ces populations, il ressort une grande joie dans leur façon de vivre", ajoute-t-il.
Dans son spectacle, baptisé "Le réel", il évoque sans concession le sort tragique --et largement occulté-- réservé aux Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale, persécutés et exterminés par les Nazis.
Les danseuses y sont habillées en Roms, comme en signe de solidarité avec la stigmatisation dont ils sont victimes aujourd'hui.
"Pour créer mon spectacle, je me suis inspiré de livres et de photos anciennes de tziganes. Mais venir ici, c'est la situation la plus réelle à laquelle je me suis confronté", explique celui qui au fil des ans s'est taillé une réputation de danseur profondément avant-gardiste et novateur.
"Je n'ai jamais dansé dans ce genre d'endroits avant mais c'est important pour un danseur de venir respirer un autre type d'énergie que celle des théâtres", estime-t-il.
La rencontre, à l'initiative de la revue culturelle "Mouvement" et de l'association "Perou" qui vient en aide aux Roms, ne s'arrête pas là. Pendant quatre soirs, Israel Galvan invite douze habitants du bidonville à venir assister à son spectacle au Théâtre de la Ville, qui court jusqu'au 20 février.
"C'est important qu'ils viennent voir le spectacle, car il parle de leur histoire", dit-il.