Sur les traces de Walter Benjamin
(photos : W.Benjamin - L'itinéraire (la "carte" du Monde, très rudimentaire, cite le col de Banyuls et non Rumpissa, qui est plus loin, à l'est...) - Le chemin WB, mairie de Banyuls - Lire Pajak -
Au lieu de tenter de faire partager la souffrance de W. Benjamin lors de son "chemin de croix" du 25 septembre 1940, le pigiste du monde s'attarde sur la végétation et nous conte fleurette...
Après avoir décrit, dans le quotidien, il y a quelques semaines, une ville de Sète du passé, aseptisée, sans investiguer les arts contemporains, il décrit à présent une balade de façon pseudo-poétique, en apportant des anecdotes, captées chez lui ou chez l'autre...
Cependant, il estima inutile de me citer alors qu'il m'avait contacté pour effectuer ce passage; bénévole, désintéressé, je l'accompagne toute la journée et sous la chaleur; je lui fais connaître, au départ, à Banyuls, l'ami Roger Rull, qui va lui décrire l'hommage à Lisa Fittko, offert à la ville par un Allemand désintéressé. Le "reporter" ne le citera pas, ni l'ancien maire qui fit connaître le chemin tragique, il y a deux décennies...
Je donne mon livre au "journaliste" mais en parler signifierait qu'il s'est inspiré de cet essai sur la souffrance, de la description du contexte, par celui qui créa l'association WB sans frontières et dont il est toujours le président (JPB : 06 31 69 09 32): citer notre association ne l'intéresse pas...
En revanche, il fut intéressé par Pilar, que je lui fais connaître à Port-Bou. Il la cite largement et il a raison : son petit honneur est sauf, à la fin de son pensum, qui nous écorche le cerveau, comme les épines des figues de barbarie nous griffèrent les mollets, lors de la descente erratique vers la ville catalane...
Ingratitude extrême... Article décevant... Le journal Le Monde a intérêt à ne pas confier de si lourdes missions à un supplétif de l'écriture...
J.P.Bonnel
* le fameux article (extrait) :
Par Pierre Sorgue
Publié le 10 septembre 2021
- Fuyant le nazime, l’intellectuel juif allemand emprunta ce sentier qui traverse la frontière franco-espagnole, de Banyuls jusqu’à Port-Bou, où il se donna la mort. Aujourd’hui, ce chemin porte son nom. Une piste de terre qui grimpe entre la mer, le maquis et les vignes accrochées à la pente.
Terriblement paradoxal. C’est ce que l’on se dit face à la splendeur du panorama en ce matin de grand soleil : derrière les fleurs jaunes scintillantes des genêts, un bouquet de pins maritimes se détache dans l’azur, au-dessus du bleu intense de la mer. Les nuances de vert des bosquets et vignobles coulent en patchwork jusqu’à Banyuls tout en bas, touches impressionnistes de rose et de blanc posées dans le contour du rivage.
La Méditerranée a conservé sa beauté sereine. Mais le sentier qui offre ce point de vue avant de franchir le col et la frontière pour dégringoler vers Port-Bou, premier village de la Catalogne espagnole, est placé sous le signe de la tragédie. Depuis une quinzaine d’années, il est baptisé « chemin Walter Benjamin » pour être le dernier qu’emprunta l’intellectuel juif allemand fuyant le nazisme avant de se suicider dans le petit port pyrénéen, le 26 ou 27 septembre 1940, quand la police espagnole lui refusa l’entrée et menaça de le reconduire vers la France vichyste, complice de la Gestapo.
Le chemin court entre les fleurs mauves des chardons et le vieil or des immortelles, le vent porte des bouffées de thym ou le parfum fumé des genêts.
Une quinzaine de kilomètres de marche, près de 600 mètres de dénivelé, une douzaine d’heures de souffrance pour celui qui, à 48 ans, était cardiaque et usé physiquement, jusqu’à l’échappatoire devenue piège mortel. Du coup, cette voie qui court dans la lumière du midi est celle du désespoir et de la défaite absolue.
En quittant Banyuls… © Le Monde
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- - - On peut préférer ce texte-ci :
***Les pyrénées.
Sur les traces de Walter Benjamin
Le sentier de randonnée qui relie aujourd’hui Banyuls à Portbou fut un chemin d’exil pour tous ceux qui fuyaient le nazisme. Le philosophe allemand y trouva une fin tragique.
Le sculpteur munichois porte à ses lèvres le verre rempli de bière, puis pousse ce soupir de contentement caractéristique de qui étanche une grande soif.
Il a fait chaud pendant la randonnée et, à Portbou, où il s’est installé à l’ombre des platanes élagués, toutes les tables du café sont prises : les autochtones eux aussi se retrouvent sur la rambla [promenade]. Le sculpteur jette un œil alentour.
“Qu’a-t-il bien pu ressentir à son arrivée en Espagne ?” Il était sans doute si éreinté qu’il n’avait plus la force d’éprouver du soulagement, glisse l’amie du sculpteur, un petit bout de femme originaire de Mongolie : il était malade et, comme c’était un intellectuel, il n’avait certainement ni tenue ni chaussures adéquates – et il portait, bien sûr, le porte-documents renfermant son manuscrit [disparu]. Le troisième larron à la table, un réalisateur français, avale les sept dernières olives.
Et commente : “C’est là, à l’hôtel, qu’il se serait tué.” Le Munichois, la Mongole et le Français ont traversé les Pyrénées au départ de Banyuls-sur-Mer, en France, jusqu’à l’Espagne.
Une randonnée sur le “chemin Walter-Benjamin”, c’est-à-dire le sentier par lequel le Berlinois espérait échapper aux nazis en septembre 1940. Dix-sept kilomètres, près de 600 mètres de dénivelé. Ce qui est aujourd’hui un chemin de randonnée était à l’époque l’un des derniers passages vers la liberté. Né le 25 juillet 1892 à Berlin, philosophe, écrivain et traducteur, Walter Benjamin était juif, sympathisant communiste et avait dû s’exiler en 1933, en commençant par gagner à Paris.
Un visa pour les Etats-Unis
Eux-mêmes fugitifs, Lisa et Hans Fittko, elle d’Ukraine, lui de Finsterwalde [dans l’est de l’Allemagne], faisaient passer des gens à Portbou, en Espagne, par les sentiers de contrebandiers. Même sous Franco, il était possible d’y obtenir un visa pour les Etats-Unis. Aujourd’hui, Portbou est une ville frontière doublement superflue : d’abord parce qu’à l’intérieur de l’Europe les frontières n’en sont plus ; ensuite parce que la plus grosse bâtisse de la ville, la gare, n’a quasiment plus lieu d’être.
Pendant des années, les voyageurs devaient y changer de train puisque l’écartement des rails n’était pas le même en France et en Espagne. Et puis, en 2010, la ligne à grande vitesse Perpignan-Figueras a été inaugurée et, depuis lors, Portbou sombre dans l’insignifiance. Mais, à l’époque, c’était un lieu où l’on pouvait acheter sa liberté.Le chemin Walter-Benjamin commence à Banyuls, devant l’hôtel de ville. A partir de Puig del Mas, le sentier grimpe raide. Walter Benjamin et ses deux compagnons de marche étaient les premiers fugitifs que faisait passer Lisa Fittko. Quarante ans plus tard, elle coucha tout sur le papier .
Elle avait prévenu Walter Benjamin que ce serait dangereux et fatigant, mais il aurait répondu : “Le vrai danger, ce serait de ne pas partir.”
Lisa Fittko se souvient dans son livre des vignobles escarpés. “Nous grimpions entre les pieds de vigne alourdis par les grappes sombres, sucrées, presque mûres.” C’est là que “Walter Benjamin a eu un coup de fatigue”. Il était à bout de forces, et ils ont dû l’aider à monter. Plus tard, avec d’autres réfugiés, ils partiraient de bon matin, avec les vignerons. Le maire leur disait bien de ne pas emporter de bagages – “et surtout pas de rucksack !*” Le “sac à dos” était le signe distinctif des Allemands, disait-il.Aujourd’hui, le chemin emprunte en partie des pistes de gravier. Un viticulteur d’une quarantaine d’années descend d’une Renault rongée par la rouille, s’avance dans les vignes et montre les grappes, pas très fournies. C’est comme ça, c’est le temps, dit-il. “ S’il a plu ?” Il part d’un rire guttural. “Pas ici. Ici, il pleut trois fois par an, mais alors c’est le déluge.” Le terrain semble être exclusivement minéral. Sec, comme maçonné.
Le chemin du néant
Lisa Fittko faisait demi-tour à la frontière. L’Espagne aurait été trop dangereuse pour elle. “Comme c’était beau, là-haut !” écrit-elle. C’est encore vrai au col de Rompissa : derrière, le littoral français ; devant, l’Espagne, la côte catalane. Le Français parle d’une autre femme qui venait en aide aux fugitifs : Dina était une passeuse si discrète que même son plus grand admirateur, Aristide Maillol, n’en savait rien. Peintre et sculpteur originaire de Banyuls, il était déjà âgé lorsqu’il trouva sa muse dans la jeune Juive d’Odessa. Quand elle ne lui servait pas de modèle, elle était passeuse dans les Pyrénées, et le vieux Maillol allait à Paris, retrouver son ami Arno Breker.
Tout en marchant, on se demande quels arbres et quelles maisons étaient déjà là à l’époque. Du côté espagnol, les panneaux sont accompagnés de la mention “En souvenir de Walter Benjamin”. A Portbou, on peut lire sur le mur d’une usine de la vallée l’inscription “Sortie” à demi effacée. Le mot prend une résonance ironique. Pour Walter Benjamin, après les années d’errance, d’un pays à l’autre, de Berlin à Ibiza, en passant par Paris et Marseille, il n’y avait pas, même aussi près du but, de sortie, d’échappatoire. C’est à Portbou qu’il a appris que personne n’était autorisé à entrer en Espagne sans visa français. Il est enterré à Portbou.
Dans le cimetière catholique, des galets ont été déposés sur l’ancienne tombe du philosophe. A deux pas, Passages, la sculpture de Dani Karavan, montre le chemin de la mer, du néant. Le Français, la Mongole et le Munichois appellent un taxi, qui les ramènera en moins d’une heure à Banyuls-sur-Mer. Il n’y a plus de frontière, il n’y a plus que la mer.
Barbara Schaefer
Publié le 17/08/2012