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Les boîtes d’Argelès : Playa, Bahia, Psyché, Syncho, Pot Chic, Ti Club…
- L’indépendant a publié depuis longtemps l’histoire du Psyché – Le Monde s’en est inspiré...
- Témoignage : "Je me souviens d'Enrique, le "directeur artistique" cité dans l'article du Monde : il était une figure du monde interlope des nuits argelésiennes!
Avant le Psychédélic, il y avait un dancing sélect dans le bois de pins, derrière l'Hôtel des Pins, le Bahia Club, beaucoup plus classique. Des chanteurs connus s'y produisaient ; François Deguelt, René-Louis Lafforgues, Henri Génès...
Et il y avait aussi sur la plage un dancing populaire, dans une baraque en bois près du casino, Le Catalan, avec slow, passo-doble, twist... Il a dû fermer, je pense, du fait succès du Psychédélic voisin.
En 1970, il y avait déjà une boîte gaydans les parages mais elle ne s'appelait pas le Potchich... J'y avais été un soir avec un ami homo. C'est la première fois de ma vie que j'ai vu deux mecs, dansant un slow ensemble, se rouler une pelle. Je me souviens que cela m'avait fait un drôle d'impression. Entre incrédulité et malaise...
J.G. Argelès
*Le “Ti Club” en lieu et place du “Pot Chic”… en changeant entièrement de concept et de déco, en bouleversant les codes, Patrick Abrial veut dépoussiérer la “night” made in Los Argeles qui, avouons-le, en a bien besoin ! C’est une enseigne – et tout un mode de nuit – de près d’un demi-siècle qui est (re)tournée.
La plus ancienne discothèque des Pyrénées-Orientales, LE “Pot Chic”, qui a été également d’un des tout-premiers clubs gays de la région Languedoc-Roussillon, s’est refait un monumental lifting, une beauté ! Après plusieurs mois de travaux, et de fermeture, le “Pot Chic” rouvre au grand public ce vendredi 3 mai à partir de minuit. Au “grand public”, tout simplement parce que Patrick Abrial a décidé de faire de ladite discothèque une boîte généraliste, en quelque sorte de sortir les lieux de l’étiquette “club gay”, ce qu’elle n’était plus de toutes façons depuis plusieurs années
Les temps ont changé, sous l’impulsion notamment des LGBT+, quelle que soit la “religion sexuelle” de chacun(e), des un(e)s et des autres, tout le monde (ou presque) se retrouve et patauge ensemble, tout le monde lave son linge en famille.
Patrick Abrial, aux commandes de l’établissement d’Argelès-plage depuis dix ans déjà, dans les pas de Pierre-Alexandre Cabréjas – lequel a choisi, pour sa retraite bien méritée au bout de trois décennies de bons et loyaux services, de naviguer sous les tropiques, entre Saint-Cyprien et le reste du monde – a mis comme on dit le paquet !
Celles et ceux qui ont connu le “Pot Chic” avant, évidemment ne le reconnaîtront plus ! A l’intérieur ou en terrasse, comptoir, cabine du dijé, piste(s) de danse, mezzanine… tout a été chamboulé. Et c’est encore peu dire. Jusqu’aux jeux de lumières, artistiquement réalisés, qui vont enfin donner un nouvel éclairage aux nuits argelésiennes réduites en cendres, depuis le passage du COVID qui a notamment entraîné la fermeture du “Playa” – créé par les inoubliables et inestimables frères Jean et Charly Molins -, la très grande discothèque de l’actuel JOA Casino, située sur le front-de-mer, laquelle chaque soir d’été faisait danser sur son linoléum et jusque dans les WC plus d’un millier de personnes !
C’est là dans un grand défi que s’est lancé Patrick Abrial. Une révolution ! Notamment dans le changement d’enseigne du site. Car le “Pot Chic”, toutes proportions gardées, était, a été en tout cas, à Argelès-plage ce que le “Ku” fût à Ibiza. L’endroit de tous les rendez-vous, de toutes les excentricités, de toutes les extravagances, où l’on pouvait, au comptoir, prendre un drink entre un chanteur à la mode (reconnu nationalement pas un baltringue !) et une drag-queen, ou se dodeliner sur un podium suspendu à une barre métallique virtuelle… Certes, tout a bien changé depuis, le “Variant Delta” est passé par là. Le masque chirurgical est (re)tombé, mais il n’y a plus de night-clubbers fluorescents en cuissardes vernies pour enterrer une vie de garçon, il n’y a plus de flirts sensuels sur les pistes de danse…
Nostalgique ou pas de la grande et/ ou belle époque, on ne peut qu’applaudir le pari de Patrick Abrial et lui souhaiter de faire revivre nos nuits afin qu’elles redeviennent plus belles, plus magiques en tout cas que la sinistrose ambiante de nos journées actuelles !
Luc Malepeyre (Ouillade.eu)
*Le Monde - Publié le 17 août 2024
Au bout de la nuit :
Au Psyché d’Argelès-sur-Mer, perfectos, pogo et sable chaud
Par Stéphanie Chayet
Aujourd’hui fermées, ces discothèques continuent d’exister dans le souvenir de celles et ceux qui en ont écrit la légende. Comme le Psychedelic, où, à deux pas de la plage, mods, punks ou skinheads venaient danser (et s’affronter) au rythme du rock, du ska ou de la new wave.
Retrouvez ici tous les épisodes de la série « Au bout de la nuit ».
Dans la première moitié des années 1980, d’innombrables adolescents des Pyrénées-Orientales essayaient, chaque week-end, de résoudre le même problème : comment parcourir les kilomètres qui les séparaient d’Argelès-sur-Mer ? Les privilégiés qui avaient déjà leur permis de conduire ramassaient quelques amis dans leur Fiat 500, leur 2 CV ou leur 4 L. Les autres se débrouillaient par tous les moyens, en train depuis Perpignan, à vélo depuis Saint-Estève, à pied par les traverses agricoles, à trois sur un scooter emprunté dans le garage d’un papa réparateur de mobylettes.
Dans la petite ville d’Elne, une bande de copains de quartier, surnommée « Les Duchmol », affrétait, pour 10 francs, un taxi camionnette où ils se serraient à quinze, certains sur des chaises, derrière un conducteur chauve qu’ils appelaient « Buster » parce qu’il leur rappelait le leader du groupe de ska Bad Manners, Buster Bloodvessel.
Ils allaient au Psychedelic – on disait « au Psyché » – et personne ne voulait en perdre une miette. « Quand je ratais un vendredi ou un samedi soir, ça me rendait fou », se souvient Nicolas Loffrédo, un travailleur social de 55 ans qui fréquenta la discothèque entre 14 et 17 ans, d’abord pendant les vacances scolaires, puis tous les week-ends. A peine avait-il fini d’aider ses parents à fermer leur magasin de tissus du centre-ville de Perpignan que ce fan de The Clash, fils de pieds-noirs engagés à gauche, se préparait à sortir.
Il ne fallait pas rater l’ouverture de la boîte, quand les cloches de la Messe pour le temps présent, de Pierre Henry, jetaient d’emblée tout le monde sur la piste, et encore moins sa fermeture, annoncée par O Fortuna, le chœur inaugural de Carmina Burana, de Carl Orff. Le retour à la maison était toujours hasardeux. Comme de nombreux habitués du Psyché, Nicolas Loffrédo s’est parfois réveillé sur la plage, au milieu de touristes, emmitouflé dans son blouson.
Inaugurée en 1968 et ayant disparu en 1986, un temps où la jeunesse ne prenait pas de photos, cette boîte de province, qui n’attirait ni les paparazzis ni les chroniqueurs mondains, a laissé peu de traces de son existence. Le groupe Taxi Girl s’y est produit quelque temps avant sa fermeture, un concert où Daniel Darc, le chanteur, a fait scandale en lisant de la philosophie au micro au lieu de chanter Cherchez le garçon, comme tout le monde l’attendait : il n’existe aucune image de l’événement.
Un an plus tôt, un nouveau duo parisien, baptisé Les Rita Mitsouko, y avait fait étape, et près de mille entrées, sans que la moindre archive puisse être retrouvée. La discothèque fermait-elle à 2 ou à 3 heures du matin ? Est-ce bien à partir de 1982 qu’elle a ouvert toute l’année ? « Exactement, je ne m’en souviens pas », regrette Charles Molins, 80 ans, seul survivant du duo de noctambules qui veilla sur cette institution pendant dix-huit ans. Les frères Molins, qui vivaient sur place, n’avaient ni femme ni enfant : la boîte était leur bébé.
Le Psyché vit dans les souvenirs et aussi sur Facebook, où les nostalgiques élaborent un récit collectif à base de clips musicaux et de réminiscences. Comme son fondateur, Ivan Raison, la plupart des mille deux cents membres du groupe Fan du Psychedelic Argelès l’ont fréquenté dans les années 1980. Aujourd’hui, ces quinquagénaires se réunissent parfois pour des soirées « Remember », où l’on se repasse « toutes ces musiques de l’époque qu’on n’entendait pas à la radio » : le post-punk, les revivals mod et ska, la new wave et ses mouvances gothique, cold wave, électro-pop.
Tous peuvent chanter de mémoire le refrain d’Adieu Paris, un 45-tours autoproduit du groupe toulousain Les Fils de joiequi ne passait nulle part ailleurs. Sur la page Facebook, ils partagent aussi des reliques, comme un ticket couleur saumon pour une « Soirée des bahuts », entrée à 35 francs, ou une rare photo en noir et blanc de l’extérieur de la boîte dans la lumière du matin, un chien assis sur les marches (peut-être celui de Charles Molins, moins couche-tard que son frère Jean, selon plusieurs témoins).
C’est par ce grand escalier coiffé d’un toit en zigzag qu’on accédait au temple, qui révélait alors sa structure en amphithéâtre. Les deux bars étaient situés de part et d’autre de l’entrée, derrière une rambarde surplombant des gradins qu’il fallait dégringoler pour aller danser. Le tout s’insérait dans le casino d’Argelès-sur-Mer, un ovni moderniste en béton armé posé sur la plage, au bord d’un bois de pins.
Signé du jeune architecte parisien Claude Comolet, le complexe avait été inauguré en 1964, dans le cadre de l’aménagement du territoire entrepris par l’Etat pour permettre à cette station balnéaire familiale de la France profonde – et au Languedoc-Roussillon en général – de rivaliser avec l’Espagne. « Cette circonstance n’est pas hors sujet car elle nous a permis de rencontrer des personnages, attirés par la “Floride française” », précise Charles Molins, qui n’a pas souhaité nous rencontrer, mais a répondu à nos questions sur la page Facebook des fans du Psyché.
Parmi ces personnages se trouve le peintre et sculpteur Enrique Jimenez, premier directeur artistique de la discothèque, inaugurée sous le nom de Psychedelic Circus, en 1968. Cet Espagnol de 32 ans conçoit alors son premier décor, blanc, onirique, et son identité musicale, plutôt planante. Un duo de Chiliens, Pancho et Patricia Barrera, ondule derrière un grand écran translucide où une lampe à huile projette des couleurs mouvantes : leurs performances inspireront le choix d’une silhouette de go-go danseuse comme emblème de la boîte de nuit...
Michèle Pelosi, 69 ans, une cousine de Nicolas Loffrédo – « la baba cool de la famille » –, fréquente la boîte dès les années 1970, quand on y croise encore les hippies qui convergent vers Argelès-sur-Mer après la cueillette des cerises à Céret. Lorsque les frères Molins la recrutent comme serveuse, en 1982, le Psychedelic a fait sa mue pour accompagner une nouvelle décennie. Exit le « Circus », hello la new wave, introduite dans la discothèque par son petit ami de l’époque, un disquaire (on ne disait pas encore DJ) qui se faisait appeler Doumé.
« C’était moins ma tasse de thé », dit celle qui s’amuse encore de la vue plongeante qu’elle avait, depuis le bar, sur les petites têtes coiffées en brosse qui sautaient comme sur des ressorts pendant les morceaux de ska. On danse à présent sur les Specials, Joy Division, Killing Joke, Depeche Mode, Siouxsie and the Banshees, les B-52’s ou Simple Minds. La boîte est repeinte en noir, avec des câbles apparents, comme en backstage d’un concert. L’installation du chauffage permet aux frères Molins d’ouvrir hors saison, au moment où le Psyché devient le rendez-vous des sous-cultures qui se propagent à toute vitesse dans les lycées de Perpignan.
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A Perpignan, on trouve aussi des rude boys, des psychos, beaucoup de punks et un nombre croissant de skinheadsdescendus des villages des Pyrénées-Orientales où l’on s’ennuie ferme, Fourques, Théza. « On se moquait d’eux et de leurs bals du samedi soir, alors ils adoptaient la panoplie des skins, y compris leur idéologie d’extrême droite, et ça leur donnait un statut social », commente Nicolas Loffrédo. Tout ce petit monde soigne son look à partir de trouvailles faites aux puces ou dans la friperie de Ramounet, un Gitan de la vieille ville. Chaque bande a ses stars, dont personne n’a oublié les surnoms, quarante ans plus tard : The Face, Piccolo, Blutch, Spirou, Pepone, Coyote, Baby Doll, ou encore Bugs, qu’on croise en baissant les yeux.
Personne ne s’est jamais vu refuser l’entrée de la discothèque au motif de son âge. Au contraire : « Je rentrais sans payer car j’étais la mascotte », raconte Marc Noetinger, qui a fait ses premiers pas au Psyché à 13 ans grâce à son grand frère, un camarade de classe de Doumé. Marc prenait des whisky coca, les autres buvaient des Pelforth, des tequilas frappées, des Malibu-ananas. Les modettes en fuseau se tenaient sur le côté gauche, attendant Town Called Malice, de The Jam, puis un pogo faisait le vide sur la piste, une chenille se formait sur Madness, et on chantait « Free, free, free Nelson Mandela », de The Specials.
Marc Noetinger, son ami Fritz Fernandez et Nicolas Loffrédo aimaient danser ensemble, les coudes près du corps. Tout le monde les regardait. « Quand l’un de nous inventait ou repérait un pas, on l’étudiait pour s’entraîner dans nos chambres », raconte ce dernier. Les plus âgés finissaient la nuit au Synchro, un club minuscule logé au sous-sol du Psyché, où la fête continuait longtemps après le lever du soleil.
Avec le recul, les anciens du Psyché s’émeuvent des amis morts sur la route, des prises de risque, de l’inconscience. « Un ange gardien devait veiller sur moi, car j’ai vécu dangereusement », confie Marie-Pierre Rixain, alias Mapi, l’une des figures féminines de cette époque, alors reconnaissable à son Perfecto – rapporté de Londres par un ami – et sa mèche crêpée à la Siouxsie. A 16 ans, cette fille d’architecte vit à l’époque seule dans un studio à Perpignan, tandis que ses parents traversent une crise conjugale.
D’abord modette, elle se laisse captiver par les punks, leur liberté, leur musique. Les soirs de Psyché, l’adolescente rejoint Argelès-sur-Mer en stop, « parfois avec des mecs craignos », et généralement sous Dinintel, une amphétamine prescrite comme coupe-faim prisée des bandes de jeunes, qui pratiquent aussi l’inhalation de colle à rustine et de poppers. Souvent, elle n’a pas fermé l’œil du week-end quand elle reprend ses cours au lycée Notre-Dame-du-Bon-Secours, « en descente », le lundi matin : « Autant dire que je n’ai pas eu mon bac. »
Mapi garde peu de souvenirs de cette période de sa vie, mais elle n’a pas oublié la fois où le punk Baby Doll a failli lui casser le nez d’un coup de tête dans les toilettes du Psyché, ni celle où un type s’est fait planter « à ça de la carotide »devant les marches. Plusieurs personnes interviewées pour cet article se sont fait courser dans les alentours de la boîte, Nicolas Loffrédo par des skinheads, Jean-Claude Rey – des Duchmol – par des psychos qui en voulaient surtout à ses Doc Martens (il s’en est tiré en leur disant qu’il chaussait du 37). La violence faisait partie de l’aventure. Parfois, les bandes s’affrontaient en batailles rangées à la West Side Story, parfois elles formaient des alliances défensives contre les clients du OK Club, une « boîte de piches » (entendez : discothèque commerciale fréquentée par des jeunes aux goûts moins sophistiqués) voisine du Psyché….
(extraits)
*Jean Molins est décédé ce mercredi 16 novembre 2022 le jour de son 88e anniversaire.
Le Psyché, le Synchro, le Playa, autant de discothèques d'Argelès-sur-Mer où les fêtards catalans se rendaient dans les années 70 puis 80, et jusqu'en 2000 c'était lui. Jean Molins est mort ce mercredi 16 novembre, alors qu'il aurait dû fêter son 88e anniversaire, dans une clinique de Saint-Estève.
Le roi de la nuit argelésienne pendant près de 40 ans avait pris les commandes du casino en 1964 avec son frère. Le casino a, dans les années 70, accueilli ce qui était d'abord une salle de danse, devenue le Psychédélic, qui a alors fait les grandes heures des nuits du département, jusqu'en 1986. C'est à cette date que le Psyché est devenu le Playa club, qui a longtemps été une boîte de nuit incontournable des nuits estivales à Argelès.