Jean Iglesis
La Catalogne, une fenêtre ouverte sur l’avenir…
Catalunya més que mai…
Première puissance industrielle, seconde force agricole de l’Espagne, la Catalogne se révèle aujourd’hui comme un vivier de projets, d’espoirs et de dynamiques dans l’espace européen qui se dessine et qui s’installe.
Dans une société en mouvement perpétuel, être catalan c’est choisir son destin, c’est mesurer tout ce que le passé nous a légué, c’est appréhender avec lucidité mais non sans humilité ce que l’avenir nous propose…
La Catalogne, c’est la force tranquille d’un destin contrarié. Née d’un passé millénaire, elle a connu des heures glorieuses, sublimées par le règne du Royaume de Majorque (1262-1349), elle a perdu sa couronne lors du Compromis de Casp (1412), le Traité des Pyrénées lui a ravi son identité (7 novembre 1659), sa capitale : Barcelone a capitulé devant les troupes espagnoles (l1 septembre 1714) sa langue a été proscrite, bafouée, interdite (en France, édit royal du 2 avril 1700)…. Mais elle ne s’est jamais déclarée vaincue…
Au long des générations qui ont suivi, au cours de décennies baignées par plus d’ombre que de lumière, la lutte de la Catalogne s’est organisée… mesurée, patiente, clandestine… Fortement affectée au siècle dernier par la dictature franquiste (1936-1975), la Catalogne – saluée en exemple par des écrivains militants et visionnaires tels George Orwell - a accédé au statut d’autonomie en 1979. Forte d’une conscience collective, forgée de jour en jour, d’événement en événement, elle rayonne aujourd’hui de par sa singularité, de par sa diversité et de par son esprit d’ouverture…
Etre catalan ici et maintenant, c’est moins un héritage acquis qu’une vigilance et qu’un combat de chaque instant. Tout comme en Catalogne Sud, dans la région de Valence, aux Iles Baléares, en Andorre, dans la Frange d’Aragon, à l’Alguer (Sardaigne), dans le Val d’Aran, nous sommes fiers, Catalans du Nord, de défendre au quotidien notre terre, notre langue, nos traditions, notre passé …et ce pour mieux forger notre avenir. Nous sommes fiers de faire partie de ces douze millions d’êtres humains qui ont été, sont ou ont choisi d’être catalans… comme le philosophe Ramon Llull, comme le sculpteur Aristide Maillol, comme le violoncelliste Pau Casals, comme Jordi Barre, artiste et chanteur, qui porte notre foi…oui, nous sommes fiers d’être catalans !… « sempre endavant, mai morirem… »
Contre l'Etat espagnol :
L’histoire se chargera de juger la Seconde Restauration espagnole et ses protagonistes. En ce moment,il est difficile d’éviter un verdict sévère: le taux de chômage, entre 1980 et 2012, a toujours été supérieur à 15% deux années sur trois et supérieur à 20% deux années sur cinq. Il n’y a aucun autre pays européen qui ait connu une situation semblable. En effet, sur les trente-cinq pays classés par leFMI dans la catégorie « économies avancées », un seul (en dehors de l’Espagne) a atteint un taux de chômage supérieur à 20%, et ce pour l’année 2012 uniquement, la Grèce.
L’Espagne aurait-elle souffert une catastrophe naturelle ? Aurait-elle été victime d’un boycott international ? Aurait-elle joué de malchance ? Non, rien de tout cela. Certes, il est vrai que l’Espagne n’entamait pas son périple au meilleur moment, parce que la crise politique de la transition s’est produite en même temps que la plus forte crise économique survenue après la Seconde Guerre mondiale, celle du choc pétrolier, du manque de matières premières et de la dévaluation du dollar. Mais elle partait aussi avec des avantages : sa situation géographique lui a assuré la stabilité politique, l’Union européenne lui a ouvert le plus grand marché du monde et lui a octroyé des aides qui équivalent trois Plans Marshall, le nombre de touristes s’est multiplié au-delà des prévisions les plus optimistes, les financiers lui ont prêté des sommes astronomiques d’argent et les investisseurslui ont fait confiance à l’heure d’implanter des industries productives. Et pourtant, trente-trois ans après l’adoption de la Constitution, l’Espagne est un pays ruiné, incapable d’offrir un avenir à la plupart de ses jeunes et de garantir à ses retraités le paiement des retraites à court et à moyen terme.
Dans ce contexte, Felipe González et José Maria Aznar sont revenus sur la scène politique pour donner des leçons à leurs successeurs, l’un à l’occasion d’une commémoration et l’autre avec la publication d’un livre.
« González a appris aux jeunes à être fainéants », m’a un jour déclaré un vieux paysan de l’Extrémadoure. Il faisait allusion au P.E.R. (Plan d’emploi rural), mais il aurait pu évoquer les indemnisations, préretraites et invalidités massives accordées durant la reconversion ; ou la régulation du chômage qui n’a jamais encouragé les bénéficiaires à accepter un travail. Felipe González a un certain nombre de réussites à son compte, personne ne peut peut en douter; mais il a aussi une grande responsabilité dans la situation actuelle, entre autres parce que c’est lui qui a lancé, avec « les fastes de 1992 » - -organisation simultanée des Jeux olympiques de Barcelone, de l’Expo de Séville et de la Capitale de la culture à Madrid - la politique de grandes dépenses publiques somptuaires, ainsi que la politique d’infrastructures non prioritaires avec le TGV Madrid-Séville.
Aznar, quant à lui, il a démultiplié ces politiques alimentant ainsi une bulle immobilière qui allait finalement nous dévorer. À la fin de sa première législature, l’Espagne avait atteint un équilibre relatif, avec un taux de chômage, 10,6%, qui commençait à être raisonnable, une inflation modérée, la balance extérieure et la balance fiscale contrôlées. Il a mis le pied sur l’accélérateur en maintenant le prix de l’électricité en-dessous du coût de production, avec une hausse de la dette publique et une folle politique de travaux publics qui comprenait la rénovation de tous les aéroportset la construction du plus vaste réseau ferroviaire de grande vitesse au monde. Pour soutenir l’euphorie, il a toléré l’entrée de deux millions d’immigrés, dont deux tiers par l’aéroport Barajas de Madrid.
La seconde Restauration a été caractérisée par les grands chantiers de travaux publics, mais tous les gouvernements sans exception ont scrupuleusement veillé à ne pas articuler du point de vue logistique la zone exportatrice la plus dynamique. Il y a quelques jours, dans ce même journal, Josep Parcerisa parlait du cul-de-sac ferroviaire que constitue Llorca, entre Alicante et Almeria ; la voieentre Tarragone et Vandellòs n’a pas encore été dédoublée à ce jour ; le PSOE et le PP au Gouvernement et aux Cortès ont frustré l’axe méditerranéen de marchandises, conçu et défendu par l’Union européenne, pour le rendre subsidiaire d’un axe central impossible… Une politique suicide.
Il semble qu’à l’origine de l’autoroute de la Méditerranée – la seule grande infrastructure du franquisme à ne pas répondre au schéma radial – il y avait le rapport bien connu que la Banque mondiale avait rédigé en 1961 lorsque le régime franquiste avait implorait de l’aide à l’extérieur. Aujourd’hui, comme alors, il faut que l’on vienne de l’extérieur pour suggérer à l’Espagne de concevoir rationnellement ses infrastructures ; ainsi, le commissaire aux Transports, Siim Kallas, corrige les plans espagnols en argumentant « qu’il faut garantir que les connexions viennent de quelque part et aillent quelque part ».
Les dirigeants espagnols auront besoin de beaucoup d’humilité pour gérer les conséquences des décisions prises par leurs prédécesseurs. Il serait souhaitable que ces derniers apprennent au moins à se taire.
Miquel PUIG
Traduction de l'article "Estarien millor callats" publié dans ARA, par Montserrat Vallribera.