La mort de l’écrivain Jep Gouzy
L’auteur, reconnu comme le plus grand écrivain français d’expression catalane, est mort à Pau le 27 avril à l’âge de 85 ans.
LE MONDE - Mis à jour le 08.05.2018 à 17h11- Par Philippe-Jean Catinchi
Tenu, depuis la disparition du grand poète, essayiste et romancier Jordi-Pere Cerdà (1920-2011) dont il fut l’ami et le traducteur, pour le plus grand écrivain français d’expression catalane, Jep Gouzy est mort à Pau, le 27 avril, à l’âge de 85 ans.
Fils de l’écrivain roussillonnais Marcel Gouzy (1908-1987), poète d’expression française de la génération du romancier libertaire catalan Ludovic Massé (1900-1982) qui signa notamment Ce village où meurent les fontaines, Jep Gouzy i Anrich naît le 15 août 1932 en Isère, à Montalieu-Vercieu, près de La Tour-du-Pin, où les hasards de la fonction publique ont conduit son père. Mais bientôt la famille revient en Roussillon, et Jep passe son enfance dans le village natal de son père, Saint-Féliu-d’Amont près de Prades (Pyrénées-Orientales).
A l’heure des études secondaires, il fréquente le lycée de Montpellier, où son professeur de français, le poète Charles Camproux (1908-1994), figure marquante du mouvement occitaniste, l’initie aux littératures catalanes et espagnoles et insiste pour qu’il considère sa langue comme un médium littéraire à part entière, lui apprenant à lire et écrire le catalan. Du coup, le lien entre Catalans et Occitans ne cessera de compter et de s’affirmer dans la pensée de Jep Gouzy. Et, bien plus tard, quand le poète gascon Bernard Manciet (1923-2005), devenu rédacteur en chef de la revue Oc,sollicitera son concours, l’écrivain catalan acceptera sans hésitation.
Passionné de psychanalyse
A la faculté de Montpellier, Jep Gouzy est gagné par la passion du théâtre et participe à la création du centre dramatique universitaire des étudiants de Montpellier, Les Escholiers de Languedoc. Son engagement l’amène bientôt à croiser Jean Vilar en Avignon, à travailler avec Madeleine Attal, personnage phare de la création théâtrale comme radiophonique à Montpellier. S’il entreprend une carrière d’enseignant, agrégation d’espagnol en poche – il professe alors la langue et la culture espagnole comme son épouse Renée Sallaberry, qui, première lectrice précieuse et lucide, traduit par ailleurs en français la plupart des textes de son époux – Jep Gouzy s’est aussi passionné pour la psychanalyse.
Formé notamment par le psychiatre et psychanalyste Josep Luis Marti Tusquets dans la voie de ce que d’aucuns appellent la « psychiatrie sociale ». Professeur d’espagnol à Pau, à partir de 1961, il donne ensuite des cours de psychologie de groupe à l’université, peu après sa création en 1972.
Autant de voies qui, outre son goût pour l’art – il collectionne les masques africains – et les initiatives culturelles, expositions, rencontres et récitals (Jep Gouzy aime improviser sur ses textes avec des percussions ou le concours du compositeur Tristan Bizzarri), nourrissent une œuvre à l’éclectisme révélateur.
Sans œillères ni parti pris
La grande singularité de l’engagement littéraire de Jep Gouzy tient à son ouverture. La curiosité de l’homme, aussi féru de cultures américaines contemporaines, littéraires comme musicales (Leonard Cohen, Jim Morrison ou Tom Waits), que de culture classique, notamment sur le champ ibérique (de Cervantes à Garcia Lorca), le conduit à œuvrer pour faire découvrir les auteurs catalans contemporains qu’il traduit avec générosité : des « classiques » des Baléares, Maria Villangomez Llobet, Josep Maria Llompart de la Peña et Blai Bonet, aux plus jeunes Albert Villaro, Ferran Torrent et Alex Susanna, dont il a livré chez Fédérop Les Cernes du temps (1999).
Puisant à toutes les sources sans œillères ni parti pris, s’affranchissant des préjugés pour ne se laisser guider que par une curiosité aussi insatiable que stimulante, Jep Gouzy ose les inventions stylistiques comme linguistiques. Ce qui en fait un auteur catalan si incontestable que c’est de l’autre versant des Pyrénées que vient la reconnaissance de son talent.
Alex Susanna du reste, convaincu que l’écriture de Gouzy est « un instrument privilégié d’expression, de recherche, de jeu et de transgression au-delà des limites et conventions », édite en 1990 sur près de 400 pages plus de 500 poèmes composés par Gouzy depuis 1950, dans la maison qu’il dirigea alors à Barcelone. Mettant ainsi en lumière l’une des voix les plus subversives de la littérature catalane, qui déjoue les carcans territoriaux. Sitôt la somme parue, Gouzy s’empressa avec malice d’en écrire d’autres pour que le terme « œuvre complète » soit aussitôt obsolète… Une leçon.
Jep Gouzy en huit dates
15 août 1932 Naissance à Montalieu-Vercieu (Isère)
1990 « Poesia oberta (1950-1990) » somme éditée en catalan à Barcelone
1993 « Un plat d’arros per a Tom Waits, proses fantasmagoriques » (Trabucaire)
2000 « …i un mirall trencat » (CD avec Tristan Bizzarri, publ. de l’Olivier)
2000 Les « Eloquences du silence » (éd. bilingue, Fédérop)
2005 « Vlad Tepes comte Dracula ou trois cavaliers de l’apocalypse », roman (Fédérop)
2009 « S(a)lam Aleikum, opéra barbare à cloche-pied » (Trabucaire).
27 avril 2018 Mort à Pau
En savoir plus sur https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2018/05/08/la-mort-de-l-ecrivain-jep-gouzy_5296151_3382.html#Gry8jACtIJuj5LIX.99
Met Barran > Messages mai 2018 > Ha mort el poeta Jep Gouzy (1933-2018)
JEUDI 3 MAI 2018
Ha mort el poeta Jep Gouzy (1933-2018)
Jep Gouzy n'est plus. Il aura été l'un des auteurs catalans, au nord des Pyrénées, les plus prolixes en nombre d'ouvages publiés, le plus varié en genres pratiqués (poésie, roman, théâtre, traduction) et sans doute le plus exigeant quant à un double engagement en faveur de la langue et de sa créativité. Jep Gouzy, de haute formation universitaire, habile en méthodes d'analyse et de synthèses était aussi une personne très cultivée et éprise de création et d'expérimentation. Au service de la connaissance de soi et de son émancipation, pour une meilleure relation aux autres et à ce que l'on nomme le monde. Enseignant et homme de lettres. D'origine roussillonnaise établi pour des raisons professionnelles à Pau mais toujours au bord de la ligne pyrénéenne. Fils d'un poète régional de langue française. Devenu professeur de langue castillane et connaisseur de plusieurs langues romanes, il choisira de s'exprimer pour son oeuvre propre en catalan. C'est en cette langue dans laquelle sera publiée la quasi-totalité de son oeuvre. Ce catalan que la résidence et la profession le rapprochera de cette langue occitane défendue et illustrée par le poète landais Bernard Manciet (1923-2005) qu'il rejoindra à la revue Oc pour y faire écho de la "Germanor" des écrivains de catalogne.
Jep Gouzy nous a quittés à l'âge de quatre-vingt cinq ans. Sept ans après Jordi Pere Cerdà(1920-2011), son aîné de sept ans et qu'il avait été, étudiant à Montpellier, le Ier il mit mettre en scène l'une des pièces de l'auteur cerdan. Même à extérieur à son département d'origine (extraterritorialisé pour pincer une corde un peu barbare), il lui resta fidèle. Et tout particulièrement à son aventure catalane, en faveur l'enseignement du catalan de la maternelle à l'université et de la promotion culturelle. En décembre 1967, il figure dans le n° de la revue Europe consacré à "littérature catalane" avec sa version française de quelques pages de Béarn, le fameux roman de l'auteur majorquin Llorenç ViIlalonga... Il a été l'un des auteurs de l'après Josep-Sebastià Pons (1886-1962) qui, comme J.P. Cerdà, Pere Verdaguer (1929-2017) ou R.-L. Portet (1927) qui ont marqué la dite aventure. Josep "Jep" Gouzy y cultivant les sillons d'une modernité de terreau encore surréaliste, fertilisés aussi bien par des brises freudiennes que par des nuées fantastiques ou des riffs de guitare, des pollens du jazz à la musique électronique et le soleil d'une conscience humaniste, toujours en éveil, pouvant être grave ou souriante selon l'éphéméride.
A ceux de ses amis Antoine Cayrol (Jordi Pere Cerdà) et Bernard Manciet, un troisième nom doit être ajouté pour marquer une trinité poétique qui aura été accompgnatrice et déterminante, celui d' Àlex Susana (1957). Susana le poeta et l'éditeur. Susana qui fut on ne peut plus touché par la découverte de l'écrivain du Ribéral, qui n'était pas seulement un militant linguistique mais était un incontestable artiste de la langue. Admiratif et presque filial, Susana! Le poète de Columna, des échanges et des célébrations poètiques (auquel la catalogne nord doit une fière chandelle dans la constitution de son patrimoine littéraire) pouvait dialoguer avec un alter ego. Gouzy pour sa part mettant en ligne et la confortant l'amitié catalano-occitane. Columna ne sera pas cependant le premier à éditer et mettre dans les vitrines des librairies des pays catalans le poète de Saint-Feliu d'Amont. Violoncel amarg son premier recueil sortira en 1976 chez Barcino à Barcelone, dans la collection Tramuntana.
La rencontre d'Alex Susana fut capitale. Elle révéla au public non seulement une sensibilité et un clavier poétique à nombreuses touches, mais un écrivain s'interrogeant sur la langue, ses jeux et les formes littéraires. Travail critique et d' investigation s'éloignant de bien des sentiers poétique tracés dans la géographie locale de Collioure au Canigou, du devôt-Christ à la Vierge noire de Font-Romeu, et du parfum des pages de "Sant Joan i Barres" du GREC et de"Revista catalan" de l'IREC. Gouzy avait pris le parti de l'inventivité, ce n'était plus un simple catalan de bonne volonté aux ombres et lumières d'une sentimentalité de Cour. Une audace tranchante -dont la conjoncture nationale n'était pas l'explication la meilleure- pouvait surprendre dans la pratique d'une langue minoritaire comme le catalan. Et, obstinément, en catalan.
C'est en 1990 lorsque Columna publie "Poesia oberta" (1950-1990)- quarante ans d'écriture: pas moins! Pour beaucoup de lecteurs, ce fut une surprise des plus inattendues. J'en fus... et je relis la dédicace que me fit son auteur le 25 septembre 1990. Je le connaissais et avait lu avec grand plaisir son Violoncel amarg.
"Per a Jaume Queralt paraules d'un poeta a un altre poeta. I què diu un poeta a un altre poeta?
Continua...però no oblidis que tinc més anys que tu i que em deus el respecte!!!
Deixem la broma i conservem el verb: continua!
Una forta abraçada d'amistat."
Je trouvais cela d'autant plus gentil que je ne sentais pas poète. Je n'avais pas enore feuilleté le volumineux ouvrage de près de quatre cent pages(rassemblant une douzaine de receuils), et j'ai une nouvelle surprise lorsque tournant les pages je vis que à la page 365 Gouzy réagissait à un de mes écrits, lui accordant une valeur que je ne soupçonnais pas. C'était moins une riposte qu'un enchaïnement créatif: "Necessària agressio de la llengua dels avis dins el bar Sant Jaume/Poma/ A Jaume Queralt després de la lectura de Sense recança de l'escalp?". Il y avait bien là une leçon d'écriture. Oui, le verbe de Gouzy était celui d'un Maître: de musique et de société. Certains dirait poète engagé. De plus non dépourvu d'humour et se montrant habile dans la parodie.
Dans cette véritable somme poétique qu'est "Poesia oberta", les joyaux ne manquent pas et chacun peut y trouver satisfaction. J'y vole et vous offre celui-ci
"Alguns versos per a trencar la solitud"
Com una canya dolça
dreta
buscant una llum que no serà
jamai
res més que un pensament sense algues
sense dissimulació
dretes fulguráncies
busco la meva llibertat
la meva veritat
o la meva distáncia
d'home.
(tiré de "Alabança del ritme", p 115).
Je ne peux résister au moment de sa disparition de rappeler cette bouleversante "Darrera passejada" qui clôt le recueil "Les eloqüencies del silenci". Ce recueil figurant dans "Poesia oberta" et réédité seul en 1991, puis traduit du catalan par Renée Sallaberry pour Fédérop en2000.
"Mes d'agost de 1988. No recordo, no vull recordar el lloc de la darrera passejada amb tu. Recordo únicament el teu cansament i, a poc a poc, com vares oblidar les escales de la por i del sofriment per obrir-nos les portes del teu món de somnis momentanis, de versos i paraules rosegades per un torrent doblit!
Morir deu ésser fràgil si saps que sempre hi haurà primaveres i poemes pel món, o pot ser terriblement difícil.
No goso demanar què en penses?
M'aturo. Tinc unes terribles ganes de viure, i tu també tenies ganes de viure."
Bien que roussillonnais, Jep Gouzy ne fut pas aussitôt inscrit au catalogue d'un éditeur local. Il fallut attendre 1997 pour voir un premier texte de lui -en prose théâtralisée- édité en Catalogne nord. On le doit à Llibres del Trabucaire. (Le Trabucaire existait depuis 1985).Titre: La virginitat retrobada de Jim i Van Morrisson. Une belle fiction musicale au coeur perpignanais de Sant Jaume. On y entend notamment Jordi Barre (1920-2011) chantant en anglais... Un Trabucaire certes un peu tardif mais chez qui Jep Gouzy dans ses séjours roussillonnais, se sentaitt fort bien y nouant de nouvelles amitiés (comme Joan Pere Sunyer) autour de la littérature, de la chanson et de la fête. Au Trabucaire (Perpignan, Canet-plage), il a publié en version originale ou bilingue (catalan-français) quelques six ouvrages, dont en 2009ce curieux "S(a)lam aleikum" présenté comme "Òpera bàrbara a peu coix", soit en français "Opéra barbare à cloche-pied". Les Publications de L'Olivier ont également publiéGouzy.
A observer l'édition de l'oeuvre (coquette en nombre et très imaginative en titres, on tire l'impression d'un partage de tâches entre Trabucaire à Perpignan s'occupant de la production en prose (contes, nouvelles, récits...) et Columna à Barcelone se réservant sa production - ou du moins les plus grands pans- de sa création poétique. C'est incontestablement un écrivain qui nous quitte. Mais, vous qui connaissez le catalan, allez-y voir vous même. La littérature de Jep Gouzy nous fait plus vrai, plus homme, de sang et d'émotion, d'aventure et de pensée. C'était l'une de nos plus belles plumes ouvertes au chant du monde, de la liberté et de la solidarité. Comme un clin d'oeil, il s'en est allé dans la semaine de la Sant Jordi 2018, l'année où Joan Llus Lluís (né à Perpignan en 1953) a triomphé avec son roman "Jo soc aquell que va matar Franco", le Sant Jordi du roùman 2017.
MERCI à Jacques QUERALT