Le procès tant attendu par les parties civiles ne devrait pas avoir lieu. Jeudi 19 décembre, la chambre de l’instruction a tranché. Kobili Traoré, mis en examen pour l’homicide volontaire à caractère antisémite de sa voisine, Sarah Halimi, retraitée sexagénaire de confession juive battue puis défenestrée au cri d’« Allahou Akbar » à son domicile parisien en avril 2017, ne devrait pas être jugé aux assises. La cour d’appel de Paris a déclaré que le discernement du jeune homme – 27 ans à l’époque et sous l’emprise de substances illicites – était aboli au moment des faits et qu’il est donc pénalement irresponsable. Les parties civiles ont cinq jours pour décider si elles se pourvoient en cassation.
Dans son jugement, la cour d’appel a ordonné l’hospitalisation du suspect et des mesures de sûreté pour une durée de vingt ans, dont l’interdiction d’entrer en contact avec les proches de la victime et de retourner sur les lieux.
Quant à Me Gilles-William Goldnadel, avocat de la sœur de Sarah Halimi (Lucie Attal, de son nom de jeune fille), il dénonce une« décision idéologique » de la part des magistrats qui ont, selon lui, une « grande répugnance à condamner ceux qui sont considérés comme des victimes de la société ». Il déplore par ailleurs une instruction qui a « manqué d’humanité » envers les parties civiles : procédure qui a traîné, refus de procéder à une reconstitution, réticence à retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme (finalement retenue onze mois après les faits, au terme d’un long bras de fer avec le parquet)…
La question du discernement de l’auteur est au cœur des débats depuis le début de l’affaire. Sans antécédents psychiatriques, le suspect a été déclaré unanimement atteint d’une « bouffée délirante aiguë » au moment des faits. Mais les trois expertises divergent sur le reste, et notamment sur les effets de la drogue sur son état mental.
La première, conduite par le docteur Daniel Zagury, évoque un comportement induit par une forte consommation de cannabis, et un discernement « altéré ». Le psychiatre avait également conclu que le crime de M. Traoré était un « acte délirant et antisémite ».
La deuxième, réalisée par trois experts, affirme que « l’entrée dans la schizophrénie » du meurtrier présumé est sans lien avec sa consommation de cannabis et conclut à une abolition du discernement. Pour étayer leurs conclusions, ils indiquent que les taux de THC (le principe actif du cannabis) relevés dans le sang du suspect étaient modérés – ce qui ne correspond pas à la consommation alléguée le jour du drame – et que ses idées délirantes ont persisté « longtemps après l’arrêt de l’intoxication ».
Quant au troisième collège d’experts, il a estimé que la « bouffée délirante » avait été provoquée par une cause extérieure – les nombreux joints fumés dans les jours précédents – mais reste flou sur l’état du discernement de Kobili Traoré, même s’il tend plutôt vers l’irresponsabilité.
Interné en psychiatrie depuis les faits, « Kobili Traoré souffre d’un trouble psychotique chronique, vraisemblablement de nature schizophrénique, faisant suite à un épisode délirant aigu inaugural,est-il indiqué dans la deuxième expertise. Il souffre par ailleurs d’une addiction ancienne au cannabis ». Il disposerait également d’une« personnalité pathologique antisociale » (incapacité à se conformer aux normes sociales, impulsivité, irritabilité, agressivité, irresponsabilité…) et d’une propension à la violence.
A la suite d’« accès de colère », de l’aveu même de ses proches, le jeune homme a un casier judiciaire bien rempli. Il a été plusieurs fois incarcéré pour « vol », « tentative de vol », « refus d’obtempérer », « conduite sans permis », « violences », « usage et détention de stupéfiants », « d’arme prohibée ».
Le 17 juin, le parquet de Paris avait demandé le renvoi du suspect devant la cour d’assises. Dans ses réquisitions, le procureur de la République avait motivé sa décision ainsi : « Par son comportement volontaire de consommation de cannabis, Kobili Traoré a directement contribué au déclenchement de sa bouffée délirante aiguë. Le fait qu’il n’ait pas souhaité être atteint de ce trouble et commettre les faits ne peut suffire à l’exempter de toute responsabilité. Il ne saurait en effet se prévaloir de l’état de démence dans lequel il se trouvait, celui-ci résultant de son comportement fautif préexistant. »
Un mois plus tard, le 12 juillet, les deux juges d’instruction prenaient le contre-pied en rendant une ordonnance dans laquelle elles estimaient qu’il existait des « raisons plausibles » de penser que le discernement du suspect était « aboli » au moment des faits. A l’audience du 19 décembre, le parquet général s’est exprimé en faveur de l’abolition du discernement. La chambre de l’instruction a donc tranché dans ce sens.