200 ans de théâtre à Perpignan (C) L'Archipel contre-attaque / Jordi Vidal / Michelle Pernelle. (remerciements)
Dimanche 3 mars à 11 heure inauguration.
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A première vue, quoi de plus paisible et consensuel qu’une exposition d’archives sur les 200 ans de théâtre à Perpignan ? Tout le monde s’y retrouve, et le Perpignanais, féru de culture, d’histoire et de théâtre est déjà convaincu d’en connaître les grandes lignes, d’en avoir une représentation assez nette. Le travail de l’archive (vous savez ces expositions que l’on traverse à grandes enjambées sans jamais interroger le détail ni le général) apparaît alors comme l’alibi à une certaine fausse (bonne) conscience.
Ce que l’époque contemporaine demande le plus souvent à l’archive s’apparente à une forme ultra spectaculaire de storytelling : les documents rassemblés ne sont là que pour valider un point de vue prédéterminé. On ne nous demande pas vraiment de partager une même vision, mais une même fiction.
Lors de la préparation de l’exposition « Le théâtre : toute une histoire ! » nous n’avons pas souhaité raconter une nouvelle histoire en prenant pour prétexte l’histoire. A l’inverse, nous avons voulu témoigner pour l’histoire et au nom de l’histoire, à partir de la masse des documents rassemblés et, pour certains, retrouvés. Quoi de plus instable que le témoignage humain, quoi de plus vulnérable qu’une trace archivée, quoi de plus fragile que l’histoire elle-même.
Il est des histoires dont on nous dit qu’elles n’existent pas, qu’elles n’existent plus, qu’elles n’ont jamais existé ; d’autres qu’elles sont inventées, d’autres, enfin qui subissent les cours d’une forme particulière de spéculation, à la hausse ou à la baisse.
Le théâtre de Perpignan n’échappe pas à ces étranges mouvements de flux et de reflux, à l’alternance de périodes éclairées et d’autres plus sombres d’où aucune lueur ne provient. La recherche prend alors, confrontée aux anomalies historiques et aux incertitudes contemporaines, un caractère obsessionnel. Les vides, les blancs, les zones d’ombre, les absences font de l’histoire du théâtre de Perpignan une histoire lacunaire qui nous parle, sur un mode délicat et poétique de la fragilité des traces de notre passage dans le cours du temps historique.
Pour compléter le fonds existant aux archives nous sommes partis à la recherche de documents complémentaires ; nous sommes partis à la recherche d’affiches, de gravures, de photographies. Au cours de cette recherche, qui a pris la forme d’une quête, nous avons suivi des pistes incertaines, jusqu’à retrouver le petit-fils de l’ancienne habilleuse du théâtre qui a conservé pieusement les précieuses photographies de l’époque dans des boîtes en carton.
C’est à Madame Marguerite Sarris que nous devons les témoignages des années 1930 : elle fut, dès 1927, habilleuse au théâtre. Comme quoi, cette histoire de théâtre à Perpignan respecte jusqu’au bout le cadre d’une bonne dramaturgie.
André Breton écrivait déjà, à la même époque, combien il est difficile de partir à la recherche de l’or du temps. Pour cet or du temps retrouvé, cette exposition est dédiée à Madame Sarris.
Après l’aventure des photographies, il y a eu celle des costumes, avec une conséquence immédiatement positive : cette exposition va permettre de les préserver pour l’avenir. C’est en ce sens qu’on peut parler aujourd’hui d’archives dynamiques. Il est sain pour la démocratie que le passé vienne interroger le présent, et parfois même le mette en doute.
Les archives dynamiques ont le privilège de ne jamais abandonner la proie pour l’ombre. Ainsi une exposition sur le théâtre pose la question artistique du théâtre, la question culturelle du théâtre, la question politique du théâtre.
A observer la situation du théâtre de l’Archipel et du théâtre municipal, est-il possible d’imaginer une action qui innove sans pour autant détruire ? Est-il possible de concilier la préservation avec la modernité ? Ce qu’il y avait d’ancien et d’obsolète dans le théâtre municipal a conduit le politique à penser le projet du théâtre de l’Archipel sans intégrer le théâtre municipal dans son dispositif.
Quel avenir pour l’ensemble des structures du spectacle vivant à Perpignan ? C’est une question que pose, de manière encore indirecte, cette première exposition sur les 200 ans du théâtre à Perpignan. L’archive n’existe donc pas pour justifier une lecture contemporaine du passé, mais bien pour questionner le présent au nom de l’histoire.
Ce fut le souhait de Walter Benjamin, celui d’Abby Warburg, c’est toujours le nôtre. Nous n’en sommes qu’au premier acte.
* Voici un autre texte rédigé par Michelle Pernelle des Archives :
La tradition théâtrale à Perpignan est très ancienne puisqu’elle remonte au XVe siècle. On représentait alors les mystères (longs drames religieux) sur la place de la Loge. Plus tard, une salle de spectacle dite « casa de las comedias », où l’on donnait aussi des représentations dramatiques, s’implanta dans le quartier Saint-Jean, quelque part dans l’artère qui relie la rue de la main de fer à la rue Foy, connue au milieu du XIXe siècle sous le nom de « carrer de la comedia », puis « rue de l’ancienne comédie » à partir de 1870.
Vers le milieu du XVIIIe siècle, dans cette ville en pleine francisation où l’empreinte des Lumières commençait à poindre, le comte de Mailly, gouverneur de la province, pour distraire et égayer son entourage, fit édifier une magnifique salle de spectacle dans la belle et vaste salle du consulat de mer. Pour ce faire, en 1752, la façade et l’intérieur de la Loge de mer furent totalement bouleversés. Ensuite, pendant soixante-trois ans, ce théâtre connut une existence chaotique, avec pas mal de relâches et même sans représentation pendant une campagne entière. La salle fut alors louée pour des bals, à des troupes de passage ou à des comédiens ambulants. En 1813 les trois dernières représentations y furent données : « La Flûte enchantée » de Mozart, « La Vestale » de Spontini et « Le siège de Corinthe » de Méhul.
Pour des questions de sécurité et d’accueil, ce lieu posait des problèmes. Ainsi, le 22 avril 1810, 57 bourgeois perpignanais, amateurs de spectacles, formèrent une société d’actionnaires et ouvrirent une souscription pour financer la construction d’un nouveau théâtre dans les locaux du collège des Jésuites, place Napoléon (actuelle place de la République).
Le conseil municipal de Perpignan vota ce projet le 5 mai 1811, avec plans et devis, et la construction démarra fin 1812. Ce nouveau théâtre entra en fonction en novembre 1813, un an avant l’achèvement des travaux. Le public perpignanais ne fut donc pas un seul instant privé de spectacles.
Pendant une dizaine d’années, le théâtre fut géré par cette société, de plus en plus fortement financée par la ville de Perpignan, jusqu’à ce qu’en 1820 cette dernière achève le rachat de la totalité des actions émises, commencé cinq ans auparavant, et le théâtre devint ainsi municipal.
L’activité du théâtre municipal, toujours très intimement liée au conservatoire de musique (les professeurs du conservatoire formaient l’orchestre du théâtre), fut plutôt florissante malgré la création de deux nouveaux théâtres, d’un style différent, plus « coquins », implantés dans le faubourg : celui des Variétés en 1877, et celui de l’Alcazar, en 1900. Cependant, au début du XXe
siècle, l’apparition du cinéma captiva rapidement une grande partie du public, et il fallut attendre les années 1950-1960 pour que le théâtre retrouve une place de choix dans la cité. 1813-2013 : 200 ans de vie théâtrale dans la ville, animés par de nombreux artistes, comédiens et musiciens, d’ici et d’ailleurs. Et le spectacle continue !