Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
Malraux et Picasso, une relation manquée, de Raphaël Aubert (lecture publiée dans le dernier n° de la revue "Présence d'A.Malraux, Paris, nov. 2014)
Ce livre passionnant s'attache à retracer les relations distantes entre l'écrivain et l'artiste et à s'interroger sur cette absence de fréquentation. Pourquoi Malraux n'a-t-il écrit sur Picasso qu'après la disparition du peintre..?
En effet, question troublante car Malraux fut un familier de Chagall, de Braque, de Galanis, de Max Jacob... et de nombreux créateurs du XX° siècle; cependant si l'écrivain publie en 1974 "La Tête d'obsidienne", livre dédié à la démarche artistique de Pablo, l'amitié ne fut pas au rendez-vous; il n'existe d'ailleurs aucune photo montrant les deux hommes ensemble...
Ils se connaissent à l'occasion du combat commun contre le fascisme espagnol et le nazisme hitlérien : entre 1937 et 45, des conversations suivies et intimes ont lieu; cependant les malentendus et les vexations font qu'il faudra attendre la mort de l'Andalou pour que "se produise entre les deux hommes comme une sorte de réconciliation posthume.", écrit l'auteur **
Malraux découvre les oeuvres de Picasso, au début des années 1920, à Montmartre, chez Max Jacob, Simon Kra et André Salmon; toutefois, c'est plus tard, en février 1921 sans doute, qu'il rencontre le Malaguène, grâce à Daniel-Henry Kahnweiler, galeriste passionné et figure majeure de la scène artistique parisienne; c'est à l'occasion d'une de ces "soirées à Boulogne" chez Khanweiler que Malraux et Picasso se parleront vraiment; au cours d'un de ces "dimanches de Boulogne", l'écrivain acquerra sa "première oeuvre de Picasso, une gravure cubiste en noir et blanc, intitulée "Composition", représentant une guitare sur un guéridon." ***
Par la suite, Malraux achètera, à l'occasion de ventes chez Drouot, un papier collé de Picasso.
C'est surtout la guerre civile en Espagne et le massacre de Guernica qui va rapprocher les deux hommes, à partir du printemps 1937 : "pour l'écrivain, le souvenir de Picasso, l'homme autant que l'artiste, demeure à jamais associé au combat des Républicains espagnols contre le fascisme", écrit R. Aubert, à la page 37. Malraux, après la guerre, pourra se rendre, avec d'autres familiers de Picasso, tels José Bergamin, Paul Eluard ou Chrisian Zervos, à l'atelier des Grands-Augustins. L'intimité est forte puisque Malraux fait cadeau à Picasso, quelques mois après la parution de L'Espoir, de l'un des manuscrits du roman, selon le témoignage de Françoise Gilot ****
Après l'armistice de 1945, les deux hommes vont se retrouver, le 15 mai 45, dans l'atelier de la rue des Grands-Augustins, en compagnie de Nush, l'épouse d'Eluard, et de Brassaï, c'est le photographe roumain qui va fournir un témoignage essentiel avec ses "Conversations avec Picasso", publiées en 1997, chez Gallimard. Le contexte de la guerre avait rapproché les deux hommes; leur connivence va désormais se distendre...Chacun va choisir son camp, Picasso adhère au PCF et l"'écrivain va devenir le compagnon du Général De Gaulle...
L'artiste va vers le communisme "comme on va à la fontaine" tandis que l'écrivain, après avoir été ministre de l'information dans le gouvernement provisoire issu de la Libération, participe en 194è à la création du RPF, le mouvement gaulliste. Ensuite, le 8 janvier 1959, Malraux a le titre de ministre d'Etat, avec la création d'un grand ministère de la culture.
Ce n'est qu'à l'occasion de l'anniversaire de Picasso et de la célébration de ses quatre-vingt-cinq ans qu'un rapprochement a lieu : l'idée d'une grande rétrospective, nous explique R. Aubert, à la page 81, en hommage au peintre, revient à Gaëtan Picon, alors directeur des Arts et Lettres. "Picasso commence par refuser; il finir par se laisser fléchir après avoir appris que Malraux a choisi Jean Leymarie, critique d'art apprécié du peintre, et futur initiateur du musée Picasso de Paris, pour assurer le commissariat de l'exposition...
Malraux est subjugué par l'exposition d'Avignon, inaugurée le vendredi 13 juillet 1973, comme il l'a été deux mois plus tôt en découvrant l'atelier de Mougins, le 24 mai, à l'invitation de Jacqueline Picasso; il va entamer "La tête d'obsidienne", réconciliation posthume entre les deux Maîtres.
Le samedi 14 juillet 1973, Malraux se rend, dans la voiture de Jacqueline Picasso, au château de Vauvenargues, pour un ultime hommage à celui qui a voulu être enterré là, dans le parc, au pays de Cézanne...
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* Infolio éditions, juin 201, 9 euros.
** Page 13, opus cité.
*** page 31, op.cit.
**** "Vivre avec Picasso", Paris, Calmann-Lévy, 1965.
Journaliste à la Radio Télévision suisse, l'auteur a consacré à Balthus un ouvrage remarqué. Spécialiste reconnu de la pensée de Malaraux, Raphaël Aubert est aussi l'un des auteurs du Dictionnaire Malraux (CNRS Editions, 2011) Son dernier roman, La Terrasse des éléphants (L'Aire, 2009 et 2011) a été un grand succès de librairie.
Jean-Pierre Bonnel
(correspondant des AIAM à Perpignan, J.P.Bonnel a publié plusieurs livres sur la peinture et la Catalogne, ainsi que des romans (Je te haine, Mathilda, Rafales sur Cap Béar, La dame de Consolation) et les biographies poétiques de Matisse à Collioure, de Machado, de Séville à Collioure, et de Walter Benjamin à Port-Bou.