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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Portraits de femmes (4) : La buraliste

JE COURS CHEZ LA BURALISTE
JE COURS CHEZ LA BURALISTE

La buraliste

"Changez de pipe, une pipe vous change !"

Et c'est bien vrai : je parais tout neuf de visage, tout vierge de gueule quand mes doigts enserrent la nouvelle bruyère et que le foyer neuf apparaît dans le prolongement de mon nez ! Alors, je n'y vois pas plus loin que le bout de ma pipe : saisi, l'oeil, par l'objet insolite...

A l'orée de chaque saison, j'ai l'habitude d'en changer; non que je jette les précédentes, mes familières, mais j'alterne : c'est bon de reprendre, dans le musée des bois, une ancienne compagne et les habitudes emmagasinées dans la mémoire des sensations.

"Celle-ci, à droite, avec le gros foyer ! Oui, le plus gros fourneau ! "

La jeune buraliste la prend dans sa main droite, la serre, la rousse pipe, qui va être à moi, désormais; la saisit la grosse joufflue, la plus pleine de printemps, de buis, d'images forestières... Hier, la force de tranquille de l'arbre, à présent la vive brûlure dans la bouche, bientôt la langue pâteuse…

Je la prends et la croque dans ma valve de bouche, sous le regard étonnée de la commerçante. Sous ses lèvres peut-être jalouses, en tout cas labourées par sa rapide langue de braise. Je la bourre, je craque une allumette, première volute mauve !

"Elle vous convient ? Je vous fais un paquet ?

-Elle me va très bien ! Espace vague d'algues après le reflux..."

Jets de bave, écume du palais, salive de la jolie buraliste, qui n'arrête pas de parler, qui me vante les mérites de la bouffarde flanquée dans ma bouche. Puis, elle m'en désigne une autre, noire, vautrée, la paresseuse, sur une étagère :

"Des pipes de ce style, j'en ai déjà vendu pas mal. Elles ont du succès, surtout les grosses et les longues... Mais, si vous le désirez, je peux vous montrer d'autres formes, des teintes différentes..."

Elle est sympathique, décidément. Contente, aussi, sans doute, que l'objet s'adapte bien à mon ouverture buccale, la Ropp rouquine ! Elle me rit entre les yeux, en sautillant de la la langue, à la rouge extrémité tendue...

"C'est combien ? "

Je règle mon achat et je quitte la boutique avec un "au revoir" un peu froid, je m'en rends compte, à présent et je m'en désole... Elle me répondra à peine avec un "au revoir, merci", à l'acheteur de pipes, pressé de s'adonner à son plaisir solitaire préféré...

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