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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Maillol, la Grèce, l'Allemagne, sa vérité

La baigneuse drapée de Saint-Cyprien © photo JPBonnel
La baigneuse drapée de Saint-Cyprien © photo JPBonnel

Le voyage de Maillol en Grèce (en 1908) est évoqué dans une exposition originale à Barcelone

Le sculpteur s'est rendu en Grèce avec le poète Hoffmenstall se ressourcer aux origines de la statuaire antique…

Ce périple est donné à voir et à comprendrefrâce à une exposition inédite : jusqu'en janvier 2016 au Musée Frederic Marès de Barcelone.

Le Musée Frederic Marès aborde cette séquence cruciale de la quête créative de l'artiste de Banyuls-sur-mer, alors âgé de 47 ans. Son périple hellénique, effectué en avril et mai 1908, a « réaffirmé son idéal esthétique », selon Àlex Susanna, commissaire de l'exposition "Maillol et la Grèce", visible jusqu'au 31 janvier 2016.

On y retrouve la statue Méditerranée, accomplie en 1905, première réalisation monumentale, à la fois fois populaire et romantique, signée Maillol. Le parcours est jalonné de 23 oeuvres illustrant l'évolution du sculpteur, signalée par les terres cuites « Têtes votives de femmes et d’hommes », d'inspiration étrusque, commise en 1896, et « Dina », représentant sa muse Dina Vierny en 1937.

« L'Etna est comme le Canigou »

Le voyage en Grèce de Maillol est également traité au travers du journal intime de l'artiste, quittant le port de Marseille pour rejoindre Athènes, puis le sanctuaire de Delphes et la ville d'Éleusis. Auparavant, une étape à Naples et Pompéi, puis en Sicile, fait dire à Maillol :

« L'Etna est comme le Canigou ». Un ensemble de 43 photographies, dont seulement sept étaient connues à ce jour, accompagne cette démarche. Les sculptures présentées sont issues de la Fondation parisienne Dina Vierny-Musée Maillol et de collections privées.

** Maillol, le vrai du faux

Le 9 juin, Perpignan, son maire, ses députés se sont rassemblés pour inaugurer «leur» grande exposition Maillol, hommage au sculpteur, dessinateur et peintre des formes féminines, né, en 1861, et mort, en 1944, dans le département des Pyrénées-Orientales. Cette rétrospective n'aurait pu avoir lieu sans Dina Vierny. Dernière muse de l'artiste puis fondatrice, en 1995, du musée Maillol à Paris, elle est détentrice des droits moraux de la succession. Ses déclarations publiées dans la presse ont transformé la célébration du «grand artiste» en un hommage à Maillol, ami de la résistance, quasi-résistant lui-même. Une version de l'histoire qui en hérisse plus d'un.

Mais revenons aux origines. Quatrième enfant d'un drapier de Banyuls, Aristide Maillol apprend le dessin et la sculpture à Perpignan. En 1882, il monte à Paris. Quelques années d'études, et il expose des paysages méditerranéens, des portraits de jeunes filles, réalise des peintures murales pour des théâtres et des cartons de tapisserie qui plaisent à Gauguin. Il vit pauvrement.

Célébrité outre-Rhin. Au tournant du siècle, Maillol se tourne vers la sculpture, rencontre sa première protectrice, la princesse Bibesco, et le marchand Ambroise Vollard. Il sculpte la Femme à la colombe, Jeunesse, Méditerranée, le Désir, le Cycliste…, devient l'ami de l'écrivain Octave Mirbeau et d'Auguste Rodin, dont il «admire surtout les dessins qu'il préfère à sa sculpture, érotisation plus directe, plus libre (1)». Il est remarqué par le comte Harry Kessler, dont le père était banquier allemand à Paris, avant d'être anobli en 1879, et dont la mère, une Irlandaise, a été la maîtresse du Kaiser Guillaume Ier. Le jeune Harry décide de consacrer sa fortune à la constitution d'une grande collection d'art, passe des commandes à Maillol, lui fait visiter Londres et l'emmène, en 1908, découvrir cette Grèce qui fascine les deux hommes. Il lui ouvre surtout les portes de l'Allemagne, où, avec ses statues inspirées par la Grèce antique, le Catalan devient une vedette des beaux-arts. Kessler financera aussi la fabrique à Montval d'un beau papier qui devait permettre au sculpteur d'imprimer l'oeuvre de Virgile.

Pendant la Première Guerre mondiale, son amitié avec des Allemands, sa notoriété outre-Rhin, valent déjà des ennuis à Maillol. Des journaux l'accusent d'être un espion à la solde de l'ennemi, de faire «de l'art boche». La papeterie de Montval est incendiée en 1915. Tout s'apaise en 1918.

En 1920, alors que le surréalisme défraie la chronique en crachant sur l'art officiel, Maillol est fait chevalier de la Légion d'honneur et reçoit des commandes d'Etat.

S'il passe le plus clair de son temps entre Marly-le-Roi et Banyuls, où il possède une maison, il expose également aux Etats-Unis, en Angleterre. Mais c'est encore en Allemagne qu'il est le plus célèbre. Derrière ce succès, il y a toujours Kessler. Libéral en politique et antinazi, Kessler est porté en art vers le néoclassicisme, il admire la sculpture monumentale hellénique. Il a projeté de faire construire un temple et un stade. Dans cet ensemble devait se trouver une grande statue d'éphèbe qui aurait été confiée à Maillol. Comme le souligne Pierre Vaisse (2), voilà qui «ne laisse pas de faire penser à certaines réalisations comparables du IIIe Reich».

Quand Hitler prend le pouvoir à Berlin, le comte quitte le pays. Il mourra quatre ans plus tard en exil. Maillol reste admiré en Allemagne. D'autant que les esthètes du Reich, Arno Brecker et Albert Speer, par exemple, lui sont acquis.

Quel fut l'avis du patriarche barbu sur le régime nazi? Et son attitude à l'égard de Vichy, des occupants? On a raconté tout et son contraire. Dans ses nombreuses interviews, Dina Vierny a fait de Maillol une sorte de résistant moral. Il lui aurait indiqué les chemins de montagne qui lui permirent de faire passer des antinazis de l'autre côté de la frontière, en Espagne (3). Elle a même parlé d'un réseau Maillol. Toutes ces histoires provoquent le sourire d'historiens et d'anciens résistants de la Côte vermeille (autour de Banyuls), quand elles ne leur restent pas en travers de la gorge.

Traître? A la Libération, à Banyuls, son village natal, où il passa le plus clair de son temps de 1940 à 1944, on pensait plutôt que Maillol était un traître. «Il a commis l'imprudence de laisser trop souvent les soldats allemands passer boire un verre chez lui, de trop les fréquenter en général», dit Fernand Jude, qui a été résistant vers Céret (puis déporté), mais a connu le vieil homme et ne lui en veut pas trop.

En 1942, Maillol monte à Paris assister à l'exposition d'Arno Brecker, l'artiste préféré d'Adolf Hitler. Cela n'arrange pas sa réputation. Sans compter que son fils, Lucien, a adhéré à une organisation pétainiste (le SOL, service d'ordre de la Légion), mais sans y militer.

Pour mieux cerner ce que Maillol pensait à la fin de sa vie, il existe un livre témoignage: Conversations avec Maillol par Henri Frère (4). Frère a fréquenté le vieil artiste de 1931 à début septembre 1944. Il nous fait saisir la sensualité du sculpteur, son paganisme, son amour pour ses modèles et pour la vallée de Banyuls, sa passion pour la sardane mais aussi pour Mozart, Bach, Haydn, pour la littérature, pour le Don Quichotte de Cervantès, les Lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke. On l'entend égrener ses souvenirs sur Renoir, Rodin ou Cézanne, distribuer ses avis sévères sur Matisse, «c'est facile de faire des jambes de femmes comme des macaronis»...

Germanophile. On y découvre aussi sa germanophilie galopante. En juillet 1943, Maillol explique à son ami qui le visite dans son atelier: «Vous avez dû rencontrer les Allemands… Hier, ils étaient ici… Ce sont des hommes magnifiques. Ils sont très différents de nous autres. Ils sont toujours souriants, même quand ils sont fatigués… L'autre jour, il en est arrivé trente, une troupe sur le coup de midi. Ils étaient en manoeuvre… Ils étaient éreintés. Eh bien, quand ils se sont arrêtés, ils riaient comme des enfants.»

Le 2 septembre 1944, toujours à propos des soldats vert-de-gris qui viennent de quitter la place: «Ils n'étaient pas embêtants, ils sont doux…» En 1943, son amitié avec le nazi Arno Brecker va lui permettre de faire libérer Dina Vierny, arrêtée à Paris dans des circonstances qui demeurent obscures (5).

Tout cela n'en fait pas un collaborateur. Il n'a d'ailleurs pas été inquiété à la libération de Banyuls, en août 1944. Mais cela n'en fait pas non plus un résistant. En revanche, cette proximité avec l'occupant a suffisamment énervé pour qu'il n'y ait pas plus d'une dizaine de personnes derrière le corbillard du sculpteur, après sa mort le 27 septembre 1944, à presque 83 ans.

- -

(1) Les Déesses de Maillol de Philippe Sollers, texte refusé par Dina Vierny pour un catalogue.

(2) Dans Maillol, coédité par Flammarion et le musée des Beaux-Arts de Lausanne.

(3) Voir ci-dessous.

(4) Qu'attend-on pour rééditer ce livre paru, en 1956, aux éd. Pierre Cailler à Genève?

(5) Dina Vierny déclare qu'elle a été raflée dans un appartement de résistants à Paris. Dans le Prince foudroyé, la vie de Nicolas Staël, Laurent Greilsamer semble suivre son point de vue, mais il cite une conversation entre Brecker et le sculpteur Belmondo où est évoqué un trafic d'or et d'oeuvres d'art.

merci à : EDOUARD WAINTROP (15 JUIN 2000) ©Libération

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