Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

L'été avec Albert Bausil : la terrasse au soleil, par Jean Iglesis

Rêves absents
Rêves absents

La terrasse au soleil

Comme tous, j’ai rêvé de conquérir la Ville.

J’avais vingt ans. J’avais une âme de vainqueur.

Je croyais arracher à la Gloire indocile

Tous les baisers, tous les lauriers et tous les cœurs.

Chaque jour, éveillé par l’appel des chimères,

Je frémissais d’impatience sur mon seuil.

Paris m’apparaissait, là-bas, dans ses lumières,

Comme une citadelle ouverte à mon orgueil.

De triomphes parmi la foule qui m’acclame

Et de la griserie exquise des encens

Je m’enivrais déjà. Je portais dans mon âme

Des rêves fous d’imperators adolescents.

-Un soir, que fatigué d’espérer et d’attendre

J’étais allé m’asseoir sur la route d’été,

Une enfant a passé, grave, amoureuse et tendre...

Mes yeux ont rencontré ses yeux. Je suis resté.

Alors, pour moi, la gloire a perdu son mirage.

Mes espoirs ont fleuri vers une autre clarté ;

Je n’ai plus eu devant ma foi que son image,

Je n’ai plus eu d’autre flambeau que sa beauté.

Et parmi la torpeur de la petite ville,

Près de la mer, parmi la lumière et les fleurs,

Je me suis endormi dans mon rêve tranquille,

Bercé d’insouciance et de calmes bonheurs.

Je suis resté. Les voix du sol et de la race

Ont retenu l’essor au moment de l’éveil.

Le Soleil a doré la treille et la terrasse,

Et j’ai chanté devant la Terrasse au Soleil.

Albert Bausil (1881-1943)

Sur le poème « La terrasse au soleil »....

« La terrasse au soleil », de mon point de vue, est la rencontre improbable, impondérable et infinie du fugace et de l'éternel, du local et de l'universel, de l'intime et du public, du raffiné et du populaire, de la gloire et de la misère, du dérisoire et de l’essentiel, du tout et du presque rien...

"La terrasse au soleil", c'est un partage entre Hugo, Verlaine, Apollinaire et Rimbaud... tous quatre réunis dans un cocktail d'émotions, de perceptions, de senteurs, de souvenirs et d'espérances...

C'est encore la paranoïa de l'artiste - poète en l'occurrence – maîtrisée et canalisée dans la métrique et dans les rimes de la prosodie...C'est le chant profond qui s'élève, d'en deçà jusque au-delà de nos souffrances, et de nos incertitudes. C’est un hymne forgé à l’aune de notre terre, de notre mer et de nos vents, un texte minéral et sidéral à la fois, écrit - sans nul doute dans la foi mutine, mais encore dans la passion affirmée et conjuguée de notre passé et de notre devenir – en vue de nous construire ou de nous reconstruire… Espoir renaissant revenu et ressouvenu afin de nous permettre d'affronter les aléas et les vicissitudes d'un monde qui doute, qui chavire et qui s'enlise dans l’ombre, dans la défiance, voire dans le néant...

"La terrasse au soleil" est plus qu'un poème... c'est une prière contemplative ou naturaliste, aux accents rémanents de Jean-Jacques Rousseau ou de Joan Maragall - qui donne espoir, qui donne force et qui construit ou reconstruit le quidam qui se hasarde, se plaît puis se complaît, à la lire ou à l’entonner...

A l'instar de "Marie" de Guillaume Apollinaire", du "Chant des partisans " de Maurice Druon et de Joseph Kessel, du" Nevermore" ("Les sanglots longs des violons de l'automne...") de Paul Verlaine, du "Dormeur du val" d'Arthur Rimbaud, "La terrasse au soleil" occupe une place singulière, inédite, inclassable dans la découverte et dans l’appréhension de la poésie…une discipline ou un art –pour autant que ces termes s’avèrent réducteurs ou approximatifs – que l’on pratique et que l’on dispense non avec les oreilles et la voix de la raison, mais avec les oreilles et les oreillettes du cœur…

Jean Iglesis

* Voir le blogabonnel du 10 décembre 2012 pour d'autres textes sur Bausil, par Jean Iglesis.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Comment peut on spéculer autant sur la santé d'un homme, la médecine saura guérir mon ami de toujours, il se battra contre cette terrible maladie qui l'affecte, il reviendra pour terminer son mandat, croyez moi on ne lâchera rien....Suzy
Répondre