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Face au "silence des intellectuels de gauche" et à l'omniprésence de quelques intellectuels en vue dans les médias, un appel de 800 artistes..."L'appel de Calais" semble vouloir enfin réagir et occuper le terrain médiatique et idéologique...
L'intellectuel et le romancier - L'engagement de l'écrivain - L'intellectuel de gauche en 2015 -
La figure de l'intellectuel apparaît au début du 19° siècle: par ses articles de presse et ses conseils au pouvoir en place, (il est alors conseiller du prince), il tente de peser sur le contexte de son temps…(1)
Il participe déjà au gouvernement de l'opinion (de nos jours, grâce aux médias, aux réseaux sociaux…) Il sait, avec Machiavel que "Gouverner, c'est faire croire."
C'est surtout à partir de Voltaire et l'affaire Calas (dans la lignée du siècle des Lumières), et surtout de Zola et l'affaire Dreyfus, puis avec Sartre, au XX° siècle (il lance, au lendemain de la guerre, la thèse de l'engagement littéraire - cf. "Situations II"), que l'intello affirme sa place dans la société. On connaît aussi le rôle de Césaire pour la décolonisation et d'Aragon ou de Malraux et des compagnons de route du PCF.
Parfois, prenant conscience de leurs erreurs (Gide et son "Retour d'URSS", Bernanos et "Les grands cimetières sous la lune", Camus, surtout, délaissant vite le communisme…qu'ils vont s'engager dans d'autres voies : trotskisme d'A. Breton, maoïsme de Sartre, avec Pierre Victor, gaullisme de Malraux, de Mauriac, et l'esprit libertaire de Camus (2).
Celui-ci, le célèbre auteur de L'Etranger s'adressant, dans Discours de Suède au Jury Nobel :
" Il existe un engagement moral authentique qui pousse l'écrivain à s'attacher aux grandes questions fondamentales de la vie."
*Le romancier est plus isolé mais il écrit de temps en temps dans un journal (C. Simon, écrivain peu engagé, a pu écrire dans Le Monde pour parler du "massacre dans les Corbières", à propos de l'autoroute A9; depuis, ce débat paraît surréaliste tant la nécessité de cette voie européenne est nécessaire…
L'écrivain engagé "pur", au-delà des partis, va prendre parti sans parti-pris ((à l'opposé de Sartre, Brasillach, Eluard…).
Son but est de délivrer un message dans son oeuvre, faire prendre conscience d'un problème contemporain (l'antisémitisme, l'inutilité de la guerre, l'exploitation du Tiers-Monde…), influer sur son lectorat, son époque, en montrant les travers, montrer le bon chemin de la justice, de l'humanisme, montrer la voie, à l'instar de Hugo, le "mage", au 19° siècle.
Cependant, le véritable engagement de l'écrivain ne se situe-t-il pas dans son écriture même; l'école du "Nouveau Roman" refusait l'engagement social et politique : B.H.Lévy, dans "Les aventures de la liberté" écrit que
"Le devoir impérieux de l'écrivain est de faire la meilleure littérature possible."
Claude Simon, qui s'est pourtant "engagé" (guerre en 40, Résistance, guerre civile à Barcelone, Algérie…) minimise, dans le livre de BHL, ses actions et rabaisse son acte au niveau d'un geste né du hasard, d'une rencontre, de la nécessité du contexte : il en viendra à montrer l'inutilité de l'engagement :"La prétention d'un écrivain à jouer le rôle de gourou me paraît le signe d'une suffisance assez déplacée."(3)
Il écrit surtout : "Ecrire est déjà en soi un engagement."
BHL, qui pourtant s'est "engagé virtuellement et de façon people" s'oppose à Sartre, devenu un moraliste et donnant des romans ("Les chemins de la liberté") qui constituent la figuration d'une idée, d'une abstraction, avant de s'engager de façon plus précise, en vendant dans la rue le journal "La cause du peuple"…
BHL, très contesté (richissime écrivain se montrant en chemise blanche sur les fronts guerriers en mettant en scène sa présence en Bosnie…) voulant être le Malraux fin de siècle, homme d'action, va sur les pas troubles (autobiographie réécrite) du futur ministre du Général, pourtant impliqué un temps avec son escadrille en Espagne, en tant que mitrailleur plus ou moins convaincant…
- - - Et en 2015..?
"Les intellectuels, comme toujours, ont été les premiers pour acclamer celui qui leur dressait l'échafaud." W.Benjamin
(lettre à Max Horkheimer, Paris, le 23 mars 1940 - reprise dans Dernières lettres, Rivages poche, 2014).
Qu'en est-il de l'écrivain engagé, toujours "de gauche" (ce n'est pas vrai : Bernanos, Mauriac, R.Aron…) aujourd'hui ?
Le pouvoir (le premier ministre M. Valls) lui reproche de rester "silencieux", plus de 30 ans après l'accession de Mitterrand à la présidence, le quotidien Le Monde lançant alors, en 1982/83, sa fameuse enquête sur "Le silence des intellectuels".(4)
L'écrivain devenu un leader d'opinion, un journaliste, de lanceur d'alertes, s'est métamorphosé en "intellectuel médiatique", sorte de bateleur moderne, se montrant sur les estrades et dans l'étrange lucarne...
Pourquoi..?
Fin des idéologies ? Des utopies ? Déception face aux trahisons de la gauche au pouvoir..? La modernité n'a plus d'intelligentsia : les grands penseurs auraient-ils disparu..? Ils se sont, en fait, bien trompés, les Sartre (niant les camps staliniens pour "ne pas désespérer Billancourt"…les intellos de Tel Quel se rendant en Chine croyant en la pureté du maoïsme…Maoïste, aussi, BHL, Badiou…
Seuls Derrida, et Bourdieu, se tournant vers les pauvres, les classes populaires et entamant une large critique des médias… (dossier du Monde diplomatique de février 2004).
Les intellectuels de gauche, selon les dossiers et débats du Monde (5) ne seraient pas morts… Simplement ils sont discrets, ils travaillent, ils publient, ils n'ont pas déserté, depuis 1981, le terrain idéologique : les sciences sociales sont toujours là…
Alors pourquoi si peu d'intellos marxistes (après Althusser, Bourdieu, Balibar…Badiou ?)…Si peu d'intellos militants et tant de savants silencieux..? D'où le reproche du premier ministre demandant aux intellectuels de s'engager (6).
Pourquoi ce tonnerre médiatique autour de M.Onfray, Alain Finkielkraut, voire Régis Debray…et les "petits" intellos, du style de Zemmour..?
Pourquoi cette tentation de jumeler les "souverainistes" de tous bords : ceux venant du MRC de J.P.Chevènement (plusieurs, dont Philippot ont rallié le FN) et de l'extrême droite ou du mouvement libertaire (Onfray…) ?
JPBonnel (octobre 2015)
- - -
(1) Lire les ouvrages de Régis Debray : Le scribe, Le pouvoir intellectuel en France…
(2) cf. L'essai de M. Onfray : L'ordre libertaire.
(3) BHL : Les aventures de la liberté. (livre de poche)
(4) J.P.Bonnel "Ils ne se taisent pas car ils sont au pouvoir" - Le Monde du 2.8.1983 - repris sur le site allemande cité plus bas (extraits).
et Force de la littérature", article repris dans le recueil Catalognarts (Presses littéraires, 2006, page 119.)
(5) "Y a-t-il encore des intellectuels de gauche ?" - Le Monde du 16 octobre 2015.
(6) à suivre ...