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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Banyuls, Collioure, Le chemin des Pyrénées, Jean Hormière (2)

Le chemin des Pyrénées, par Lisa Fittko

Le chemin des Pyrénées, par Lisa Fittko

Maillol, W. Benjamin...suite

 

 

  INTERMEZZO

 

    Près de la Placette, il y a un café. Tu connais l'histoire du verre d'eau ?

    Un jour, un enfant est entré tranquillement pour commander un verre d'eau. Il voulait chasser le soleil de sa tête. Le serveur lui a apporté une carafe et un verre. L'enfant devait plier sept fois son mouchoir avant de le placer entre sa tête et le verre, mais il pensait à un bateau. Le serveur, au comptoir, récitait des prières interminables et continuait à servir en même temps. Enfin les bulles du soleil sont montées dans le verre. Et l'enfant, délivré, est sorti du café Sola. Le mouchoir mouillé sur la table avait filtré le soleil. L'enfant est allé voir le manège sur la Placette qui avait pris les dimensions d'un parc.

 

 

3 - Les bras de  l'Harmonie- Banyuls 1944  

 

    Tu connais l'histoire de l'invention du papier par Maillol ? Les uns disent : avec des draps de lit et de lin filés par sa tante. Les autres : avec de vraies chemises de Hongrie rapportées par le comte Kessler, avant l'usage du chlore. Et d'autres : dans du drap de voile de Norvège, il trouvait la matière pour le papier des "Eglogues" de Virgile.

 

    Maillol avait tenu à installer son "Monument aux Morts" sur l'île grosse. Il lui voulait pour socle l'horizon. Le temps a substitué à l'original de pierre une réplique en bronze. Ce ne sont pas des vahinés aux couronnes qui attendent le voyageur. Une flèche part pour aller se briser dans la mer.

 

   L'"Harmonie"a perdu ses bras dans le jardin de la mairie de Banyuls. Pourquoi le sculpteur a-t-il laissé sa dernière statue inachevée ? Il y a eu la disparition de Dina, son dernier modèle, arrêtée par la Gestapo en 43, détenue six mois à Fresnes, libérée ensuite par l'intervention de Maillol. Il y a cette fatigue des bras de l'artiste- même. Est-ce la seule  difficulté des bras ?

   Allons demander aux arbres qui n'ont pas ce problème de muscles ni de mains pourquoi l'"Harmonie" est restée inachevée. Le figuier de la maison de Maillol a oublié dans son sommeil. Reste le vent dans le feuillage. Reste l'odeur. Pas davantage.

   Sur le chemin de la métairie il y a des souvenirs. 

 

Tu connais l'histoire de l'invention du papier par Maillol ? Il mâchait des chiffons de chemise de sa grand-mère qu'il pilonnait avec un tronc d'arbre dans un vieux fourneau à lessive.

 

    L'olivier se souvient-il, l'olivier sauvage dessiné en mai 44 pour les "Géorgiques ?" Mais les oliviers d'ici sont trop jeunes pour se rappeler. Les grands gels du milieu des années 50 ont tué les témoins de cette époque.

En 1908, Maillol part en Grèce avec son mécène Kessler, qui manque se noyer dans l'Alphée. 

 

Cet arbre se souvient-il ? Seulement du foulard qui l'attachait au tableau. Le paysage n'est pas au dehors, il est en dedans La femme assise sur la tombe de Maillol ne sait pas pourquoi l'"Harmonie" est restée inachevée. Terminée dès avant 14, elle a changé si souvent de nom : "Statue pour un jardin ombragé", elle fut aussi "La Méditerranée" ou "Méditerranée". Henri  Frères l'appelle "La Baigneuse accoudée", et je l'ai toujours connue, dans le patio de la mairie de Perpignan comme "La Pensée".

 

 Elle donne quand même une piste : l'Allemagne, ou la guerre. On a peut-être accusé Maillol, à la libération, d'avoir reçu des officiers allemands, au mépris du "silence de la mer". Or, en 43, il a décliné les offres de Vichy et d'Arno Brecker : d'une statue d'athlète pour le commissariat aux sports ; d'une autre statue pour Grünewald. Les palmiers du mas Reig, comme un croiseur dans la baie, se souviennent du dernier été de Maillol.

 

 Aux monuments aux morts il a déjà plusieurs fois donné et se contente de recevoir les vivants à sa guise. 

Le 26 août 44, on quête, dans les cinémas de Perpignan, au profit des "sinistrés" de Velmanya, le village pyrénéen détruit par les nazis. Au Capitole où l'on joue : "Je suis avec toi" ; au Castillet, pour "Goupi mains rouges" ; au Cinémonde, "Le club des fadas": au Familia, "Servante et maîtresse" ; au Nouveau-Théâtre, "L'homme de Londres" ; au Paris, "regain"; au Rex, "Marseille de mes amours".

 

    Le 10 septembre, la pêche au lamparo reprend à Banyuls-sur-mer. Le 16, on se remet à distribuer des bons d'espadrilles pour les vendangeurs et l'accident se produit.

    Maillol allait en visite chez le peintre Dufy, à Vernet-les-Bains. Sur la route glissante, la voiture du docteur Nicolau dérape.

 

    Le 17, le "Républicain du Midi" annonce que le célèbre sculpteur, âgé de 83 ans, est hospitalisé à Perpignan, grièvement blessé. Ce n'était que la mâchoire. Une crise d'urémie se déclare. On ramène Maillol à Banyuls le 26 septembre. Il meurt le lendemain, à 17 heures.

 

    A la Clinique des Platanes, à Perpignan, il y avait, à la fenêtre de sa chambre, un grand et beau mimosa devant une façade blanche.

 

 

4 - LE PASSAGE des PYRENEES    -  PORT-BOU     1940

 

    

Un jour, dans la grotte voisine, un paysan du coin a trouvé une chemise enveloppant un lingot noirci. Content de la chemise, il a jeté la barre et n'a compris que plus tard qu'elle valait son pesant d'or. C'était un vrai lingot qu'un fugitif de la brigade Lister avait dissimulé dans la grotte.

 

    Où est passé le dernier manuscrit de Walter Benjamin ? Le lourd cartable noir aperçu par Lisa Fittko n'avait-il contenu, sous le nom de "Pensées", que quelques minces pages intitulées : "Sur le concept d'histoire ?"

 

    Après la rivière, après Puig del Mas, commence l'hésitation. C'est ici, au Grand-Hôtel de Bañyuls, en 1940, que Lisa Fittko rencontrait clandestinement la frontière espagnole.

 

    Benjamin a dormi seul, attendant les autres. Lisa Fittko le rejoint, au petit matin du 25, avec Mme Gurland et son fils Joseph. On se perd. On se retrouve, grâce au plateau des 7 Pins, que le maire De Bañyuls, M. Azéma, a donné comme repère.

 

    C'était là qu'habitait Lisa Fittko, la maison Ventajou, où vint frapper un jour de septembre 1940 Walter Benjamin. La montagne s'escarpe avec la vigne. Benjamin s'essouffle. Il faut le traîner comme un malheureux.

 

    Il a quitté Berlin en 33. Il est à Paris, quasi installé", vivant de peu. En mai 40, il trouve un abri provisoire chez Adrienne Monnier. A la mi-juin, il fuit les Allemands qui occupent Paris. Il va à Lourdes, non loin de sa sœur internée à Gurs. On dit qu'il se déguise en marin et veut s'embarquer à Marseille. Il échoue et repart en train vers l'Espagne. Il a une lettre de recommandation pour les Dominicains espagnols et de la morphine qu'il a partagée avec un ami, lors d'un premier internement dans la région parisienne. Il est juif. Il est le traducteur allemand de Proust, avec son ami Franz Hessel. Il est le meilleur spécialiste du Paris de Baudelaire. 

 

     Les vignes laissent apercevoir des images trompeuses. Des masques sont suspendus pour préparer les vendanges. Des figures familières sont renversées dans le feuillage : le voleur, le mauvais élève, le professeur dissimulé. On croise un squelette de chèvre. Benjamin mange du pain et de la tomate, boit dans une mare. On laisse faire, on cède aux rencontres du chemin.

 

Le cimetière est de l'autre côté. Peut-être Benjamin s'est- il présenté à l'ancienne douane. C'est là qu'il doit faire viser son passeport. Qu'il est retenu plus d'une heure avec ses compagnons d'infortune et menacé d'être livré à la Gestapo.

 

    La vieille montre s'est arrêtée. Le propriétaire de l'hôtel où ils descendent affirmera que le bracelet- montre en or de Benjamin a disparu le lendemain de sa mort. Benjamin écrit deux brèves lettres, dont une pour Adorno. Mme Gurland la croit disparue, mais on la retrouve deux années plus tard. Vers dix heures du soir, ce 26 septembre, il absorbe la morphine. Un médecin ne pourra rien. Il y avait trois femmes avec Mme Gurland, une journaliste du "Tagebuch" et deux sœurs, comme il y avait eu trois femmes dans la vie de W. Benjamin, entre Berlin et Moscou. La tempête du 27 permet aux femmes et à l'adolescent qui les accompagne d'obtenir un visa.

 

La gare de Port-Bou dissimule dans ses tunnels les couloirs d'un temple égyptien et une chapelle écroulée. Elle lui barbouille de mûres sanglantes les tempes et le front. L'horloge incite à retourner. Il a derrière lui le voyage. "Réussirai- je à tendre l'arc et à décocher la flèche ? "

 

    Sous la marquise, un martinet emporte l'âme de Benjamin dans son gosier.

 

        - Consolation 1991-

 

 

 

* Né à Perpignan, professeur de Lettres en Allemagne et en Roumanie, J.Hormière était le Président des "Amis de Panaït Istrati" et a publié de nombreuses études sur le célèbre romancier roumain. Il a aussi réalisé plusieurs courts-métrages, en particulier : "Chemins du littoral", dont on vient de  lire le synopsis. 

 

Jean Hormière est décédé en  1997 - 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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