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Maillol, expo de Barcelona : Méditerranée (Pensée) - Affiche du musée Marès - photos de Comte Kessler
Allemands dans les Pyrénées :
5/ Les Allemands et Maillol : voyage en Grèce avec le Comte Kessler et Hofmannsthal
Le Musée Frederic Marès aborde cette séquence cruciale de la quête créative de l'artiste de Banyuls-sur-mer, alors âgé de 47 ans. Son périple hellénique, effectué en avril et mai 1908, a « réaffirmé son idéal esthétique », selon Àlex Susanna, commissaire de l'exposition "Maillol et la Grèce", visible jusqu'au 31 janvier 2016.
On y retrouve la statue Méditerranée, accomplie en 1905, première réalisation monumentale, à la fois fois populaire et romantique, signée Maillol. Le parcours est jalonné de 23 oeuvres illustrant l'évolution du sculpteur, signalée par les terres cuites « Têtes votives de femmes et d’hommes », d'inspiration étrusque, commise en 1896, et « Dina », représentant sa muse Dina Vierny en 1937.
« L'Etna est comme le Canigou »
Le voyage en Grèce de Maillol est également traité au travers du journal intime de l'artiste, quittant le port de Marseille pour rejoindre Athènes, puis le sanctuaire de Delphes et la ville d'Éleusis. Auparavant, une étape à Naples et Pompéi, puis en Sicile, fait dire à Maillol :
« L'Etna est comme le Canigou ».
Un ensemble de 43 photographies, dont seulement sept étaient connues à ce jour, accompagne cette démarche. Les sculptures présentées sont issues de la Fondation parisienne Dina Vierny-Musée Maillol et de collections privées.
En compagnie du Comte Kessler, son mécène éclairié, esthète libéral, il note son bonheur de voyager en Méditerranée : "...ce bateau me paraît un rêve d'ailleurs j'ai l'air de rêver. Je vois tant de choses que je vois pour la première fois -le départ en pleine mer- quelle joie- je nage dans la joie comme le bateau nage dans le bleu..." (la ponctuation hésitante et les répétitions, d'une part et les fautes d'orthographue, d'une autre, montrent que Maillol ne destinait pas ce journal intime à une publication et qu'il n'a pas étét revu.)
Avec son ami (mais où est donc le poète Hofmannsthal, jamais cié..?), Maillol note les menus plaisirs d'admirer un paysage (Taormina, l'Etna couvert de neige) ou d'admirer les adolescents qui plongent dans la baie de Naples..
La nostalgie de l'art et de l'époque antiques s'expriment à de nombreuses reprises : "...ma pensée se reporte aux temps antiques- à ces temps d'intelligence où l'homme avait bien compris la vie et je voyais des acteurs sur la scène les spectateurs enthousiastes sur les gradins- maintenant tout est mort..." (page 34)
Le spectacle de la nature le comble de bonheur; il s'attache à un détail, à une couleur, à une fleur : des coquelicots d'un rouge bien plus puissant que les coquelicots de France..."
Maillol ne pense que par analogie : il compare le décor grec au décor du midi de la France :
"Le port du Pyrée, cela ressemble à mon village et Port-Vendres mais un port-vendres démesurément agrandi...Les collines sont absolument pareilles aux collines de Fitou et de Salces (sic) aux environs de Perpignan..." (page 36, comparaison répétée en page 46)
Bien sûr, c'est surtout le regard porté sur la statuaire -but du voyage- qui est au centre des constatations du sculpteur, qui n'est jamias déçu : "l'Apollon, l'Omphalos-sérénité-plénitude de la forme puissante sans fadaise- je ne connais pas de statue antique où la forme soit si armonieuse (sic) en conservant son aspect sobre et grand...les Cariatides, c'est la plus belle des sculptures...la dernière limite de la beauté que mon esprit peut concevoir...", alors que pour la civilisation suivante, Maillol exerce son ironie mordante :
"Chaque fois qu'un monument romain se trouve dans les ruines grecques, il a l'air balourd et dur..."
En définitive, ce journal privé, ces notes intimes, fallait-il les donner à voir..?
Sans doute, pour le naturel de cette voix discrète, sincère, que l'on connaît peu, pour des notations sur l'amour de la Catalogne : Ampurias, la sardane (page 64 : nos pères étaient sûrement des Grecs...), pour cette phrase admirable : "Deux beaux insectes noirs et rouges font l'amour en se promenant sur les graminées.", pour cette visite au musée d'Olympie :
"j'entre pour recevoir la plus forte commotion que la sculpture m'ait fait sentir..."
JP.Bonnel