Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
© Vanessa Beecroft Black Madonna with twins 2006. Colección la Caixa de Arte Contemporáneo © Vanessa Beecroft
Grand-mère Lorsque j’évoque ma grand-mère, c’est comme un boomerang qui me revient en plein cœur… Fragilité et force : deux termes en constante opposition, définissant ce qu’on peut éprouver au tréfonds de soi, tant l’enfance est importante dans une vie humaine. La fragilité d’une grand-mère, c’est celle du petit chaperon rouge que le loup dévore et à laquelle il se substitue, dans la symbolique de Perrault, c’est encore celle que la petite marchande d’allumettes ressuscite au plus froid de l’hiver, dans le conte d’Andersen, c’est en outre celle de Pagnol qui dit à Naïs, « le bossu », que « les bosses dissimulent des ailes qui conduisent sans ambages les bossus au ciel… » Un jour, par malheur, lorsque les grands-mères disparaissent, les bossus ne sont plus les anges que l’on s’appliquait à décrire… La force que m’a donnée ma grand-mère, c’est cet océan d’affection qui déborde, m’envahit et me bouleverse et qui a forgé de tendresse, de douceur et de droiture l’enfant que j’ai été. La fidélité, la mémoire, le respect, la tolérance, l’honnêteté affective ou intellectuelle sont autant d’éléments qui ont participé à ma construction et dont je ne saurais jamais me départir, pour avoir connu jusqu’à 23 ans révolus la personne que j’ai sans nul doute le plus aimée au monde et dont le souvenir me permet aujourd’hui de me conduire comme un enfant, avec toutes ses qualités et ses défauts. Au-delà de la peine, il y a par ailleurs cette dimension proustienne : temps passé et temps retrouvé ne font qu’un…la saveur d’un café au lait, l’écorce d’une mandarine, la madeleine que l’on redécouvre rappellent à la vie la grand-mère enfuie… Dans le jeu des correspondances baudelairiennes, les souvenirs affleurent, remontent à la surface. Mais à la surface de la vie, comme une plaie béante qui ne se refermera plus, il y a la disparition de sa grand-mère, événement terrible qui nous donne, sans que nous le sollicitions, un avant-goût du malheur, celui que nous n’imaginons aucunement et que nous souhaitons moins encore mais que nous connaîtrons peut-être demain au départ d’un être cher. Le sort nous vole un être aimé et, sans que l’âge apparaisse comme un facteur déterminant, en cette douloureuse occasion, la mort ne connaît pas d’explication, ni de motif, ni de prétexte, ni d’alibi. Perdre sa grand-mère, c’est explorer le « paradis perdu » du poète Milton, c’est s’y replonger comme pour un triste baptême, c’est avouer que « le temps passé, jamais ne reviendra », c’est se dire, à l’instar de Malherbe, dans les stances qu’il formula à Monsieur Du Périer, au moment même de la disparition de sa fille, « qu’elle était du monde où les plus belles choses ont le pire destin et, qu’en tant que rose, elle a vécu ce que vivent les roses : l’espace d’un matin… » Il y a en outre cet instant intime,viscéral, vide sidéral et temporel qu’il est impossible de traduire, d’exprimer et qui est comme une écharde plantée en soi, incrustée dans sa chair. Quand le malheur survient, c’est une éclipse de la réalité, de la vérité, de la sincérité des choses les plus simples que l’on ressent. Lorsque sa grand-mère s’en va pour toujours et à jamais, c’est une étoile qui s’éteint dans le ciel qui a béni l’aube de notre naissance. Souffrance qu’on a du mal à taire, mais qu’il faut par pudeur et de par sa responsabilité d’individu assumer. Ne rien dire, accuser le coup et montrer tête haute, voilà ce que l’on doit observer…car faire étalage de ce deuil qui invite au tournis, qui laisse pantois et donnerait le mal de mer aux navigateurs les mieux rompus au roulis, au tangage et aux grains les plus violents n’est pas de mise. Il faut garder le cap, faire face et combattre, même si l’on ne se consolera jamais de cette perte. Si l’on faillait à sa mission, à sa propre personne, comme Pagnol l’exprimait : « ça ferait pleurer les enfants ». Je me permettrais de renchérir : cela aurait certainement fait encore plus de peine à ma grand-mère…celle que j’aime et aimerai jusqu’à mon dernier jour, qui sait ? celui de la fin du monde… certainement celui de ma propre fin… Lorsqu’une grand-mère quitte cet univers de plus en plus indistinct, c’est à nouveau et encore ou une fois de plus la mienne que je perds.
Jean Iglesis
Grand-mère
La douceur du sucre candi, Le parfum de l'orange amère Evoquent dans l'après midi La silhouette de grand-mère.
Alors la robe d'organdi Valse dans le soir éphémère, Frôlant le regard enhardi Que tu faisais naître, grand-mère.
Moi, je ne sais de tout ceci Qu'un épilogue assez sommaire : Une retraite sans souci Qui te voyait vieillir, grand-mère.
Les châteaux-forts que l'on bâtit Et les contes qu'on énumère Débordent d'un coeur trop petit Quand on se souvient de grand-mère.
Jean Iglesis
La vieille dame
Le miroir dans lequel, depuis plus de trente ans, Son regard plonge chaque jour Ne reflète plus les visages espérant De ceux qui lui faisaient la cour.
Les poèmes courtois et les tendres chansons Qui se disputaient son oreille Sont partis témoigner ailleurs de leurs passions Le jour où elle s'est crue vieille.
Le parfum des pensées et l'éclat de l'argent, Tout ce qui semblait naître d'elle, A cessé d'exister au départ de ces gens Qui lui murmuraient : "tu es belle. "
Elle était jeune hier et, l'oeil un peu crédule, Découvrait les bonheurs de l'aube. Le temps de vivre et c'est déjà le crépuscule Qui vient s'éteindre sur sa robe.
Et, quand les fils de ses enfants viennent la voir, Elle éprouve une joie amère, Elle qui ne vivait que d'amour et d'espoir Et qu'on nomme aujourd'hui grand-mère.
Jean Iglesis
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