Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
**Rencontre avec Pere Verdaguer, écrivain, grammairien, journaliste
L'enfance ne fut pas roussillonnaise :
Né en 1929 en Catalogne, l'enfant connaît la Retirada en 1939, avec le passage par le Perthus.
Il va vite apprendre le français en fréquentant, durant sa première adolescence, les établissements scolaires de Perpignan; il sera en première au lycée Arago et obtiendra le bac, avec mention Bien en 1956, dans la série « sciences expérimentales.
* Le journalisme
Avec Pages d'un exil ordinaire, il s'agit de faire revivre l'enfance, la guerre civile et les gens de l'exil; quelques pages seront publiés dans le quotidien L'Indépendant, avant la publication du recueil de souvenirs par un éditeur barcelonais.
Pendant des années, Pere Verdaguer a écrit la rubrique sur la langue catalane dans le journal des Pyrénées-Orientales; c'est ainsi que le livre de quatre cents pages de l' Histoire de la langue catalane a été d'abord publié, pour une grande moitié, dans le quotidien…
Le journalisme est une facette très importante de son travail : d'abord, avec la création du Grup d'Etudes Catalanes, en 1960 :
"J'ai pensé que ce groupe pourrait faire un travail important avec la presse, avec Midi Libre, dont le directeur était M. Oriol, originaire du Boulou. Le journal accepte, dans les années 1970, de publier une chronique hebdomadaire en langue catalane et aussi une bande dessinée en catalan ; elle durera plus d’un an, accompagnée d’extraits du roman Le Chronomobil et de dessins de Taillade. Ces contes seront, par la suite, repris en français, dans le recueil La portée Vedellada de Mister Big.
C’est ainsi que P. Verdaguer va assurer, en catalan, la chronique hebdomadaire sur le folklore et la langue.
Armand Sansot, journaliste à Montpellier et en Provence, trompettiste, catalaniste, ami de Jordi Barre (il a fondé avec le chanteur l'orchestre pour la jeunesse), était un relai à Montpellier pour ces chroniques, pendant dix ans. Il était le seul, au journal, à comprendre le catalan. A cette époque, la ville de Montpellier s’est jumelée avec Barcelone, dont le maire, nommé par Franco, était M. Porcioles ; les Barcelonais sont alors venus à Montpellier…
A la fin des années 1960, Midi Libre a supprimé la chronique ; P. Verdaguer est allé voir Pierre Gadel à L’Indépendant ; il accepta la publication à condition qu’elle soit exclusivement culturelle, non politique. L’auteur utilisera une vingtaine de pseudonymes, tels que Père Bobine, pour le cinéma, Père Rideu, pour le théâtre…Les articles sur la langue seront réunis dans Commentaires linguistiques, publiés chez Barcino ; les textes sur les écrivains de Catalogne du Nord seront publiés dans la collection Tramuntana.
P. Verdaguer publie à cette époque –les années 60/70- La portée Vedellada de Mister Big, ensemble de contes -parodie de la guerre du Vietnam- publiés à Barcelone dans le premier hebdomadaire catalan, dirigé par M. Escofet : c’était un journal d’opinion, « Télé Express ».
Ces fictions sont des histoires mais présentent aussi tout un arrière-plan social, linguistique, historique…
Ensuite sort dans le quotidien Midi Libre le premier roman en feuilleton, pendant un an : Le Chronomobile, avec des dessins de Roger Taillades, ancien professeur de maths en Provence; il a illustré aussi le premier livre de P. Verdaguer : Lectures choisies d'auteurs roussillonnais.
A cet instant, j'oriente notre échange sur le sujet de la langue : le but de Pere Verdaguer est de récupérer le roussillonnais : parler du catalan à partir du roussillonnais. Cet idiome possède deux grandes branches, en catalan oriental (ici, en Catalogne du Nord, et au Sud, à Barcelona), et occidental, au-delà de l'Andorre jusqu'à Valencia. Ce sont deux grands blocs divisés en dialectes ou sous-dialectes :
-à l'ouest, il s'agit des parlers du nord de la Catalogne, après l'Andorre
-au sud, c'est le valencien, sous-dialecte du catalan occidental.
Dans le domaine de l'édition, Pere Verdaguer a publié à ce sujet, aux Edicions 62 le Dicionari del rossellonès, à Barcelone, en 2002.
Le journalisme a été une des activités les plus importantes de P. Verdaguer; d'autres expériences sont à citer, telle la rencontre avec M. Gadel, de la Dépêche du Midi, qui occupa par la suite la "locale" de L'Indépendant. C'est dans ce quotidien que l'auteur publia le plus d'articles (plus que dans Midi Libre), sur les actualités catalanes de Barcelone à Perpignan, dans une "orientation moderne". Ces publications se sont échelonnées de 1972 à aujourd'hui; ces chroniques, écrites en langue catalane ont été reprises en français et en livre; la première partie traite du dialecte roussillonnais.
Une enquête de Médias Pluriel, réalisée à Montpellier, a montré que le lectorat de ces articles était composé de plus de cent mille personnes !
Pere Verdaguer fut aussi le correspondant officiel de La Vanguardia, journal castillan de Barcelone.
De même, le quotidien catalan AVUI, sorti après la mort de Franco, a accueilli des centaines d'articles de l'auteur…
Il s'agissait d'évocations de périodes longues sur la civilisation. La collaboration avec le Sud a aussi concerné la revue Serra d'or, avec des reportages sur l'Université d'été de Prades.
Enfin la Revista de Cataluña fit paraître de longs articles sur trois thèmes importants : la crise de civilisation, la langue et la culture catalanes, et sur l'épistémologie : en effet, P. Verdaguer a beaucoup aimé la philosophie.
JPBonnel (propos recueillis en juin 2015) - Pour un projet de livre sur "La mémoire culturelle en pays catalan"...
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Sant Jordi, symbole vivace de la Catalogne millénaire…
Sant Jordi terrassant le dragon, c’est plus qu’une image d’Epinal, mais c’est une véritable icône. Bien que d’abord manichéenne, cette scène épique de combat, de ferveur et de courage nous renvoie au travers de la geste éthérée du chevalier romain au triomphe de la lumière sur les ténèbres, de la connaissance sur l’obscurantisme, de la liberté face à l’oppression.
L’Histoire retient de Sant Jordi un militaire romain et chrétien qui fut martyrisé à l’époque de l’Empereur Dioclétien, vers l’an 303.
La légende attribue à Sant Jordi d’avoir vaincu le dragon qui s’apprêtait à dévorer une princesse, laquelle princesse avait été tirée au sort et lui avait été livrée, pour apaiser sa fureur.
Au Moyen Age, la Géorgie, l’Angleterre, la Grèce et la Catalogne ont choisi Saint-Georges pour saint- patron.
A la fin du XIXème, Sant Jordi devient un symbole catalaniste. La lutte du chevalier contre le dragon pour libérer la jeune princesse représente le combat de la Catalogne pour sa propre liberté.
Cette lutte s’inscrit pleinement et légitimement dans le conflit pluriséculaire qui a opposé la Catalogne à la Castille. Jetons au vent de l’Histoire quelques événements, qui ont endeuillé la Catalogne : le Compromis de Caspe (1412), le Traité des Pyrénées (7 novembre 1659), la chute de Barcelone (11 septembre 1714) devant les armées du Roi Felip V d’Espagne, l’exécution de Lluís Companys (président de la Generalitat de Catalogne de 1934 à 1940)…
Retour en arrière c’est le jour de Sant Jordi que depuis le XVème siècle l’on célèbre la traditionnelle Foire des Roses.
En 1926 le jour de Sant Jordi devient réellement celui de la Fête du Livre en Catalogne.
C’est dans un esprit forgé par les poètes de la Renaissance (Jacint Verdaguer), du « noucentisme », puis du modernisme (Angel Guimerà et Joan Maragall) que Sant Jordi va s’imposer peu à peu comme un symbole de combat, de progrès et d’espoir.
La Catalogne, opprimée depuis l’annexion (son partage est effectué le 7 novembre 1659 entre la France et l’Espagne, dans l’île des Faisans, au large de la Bidassoa, par le « maudit » Traité des Pyrénées) va engager peu à peu sa reconquête et sa reconstruction.
Le fait que Barcelone soit une capitale européenne du livre et de l’édition n’est pas un élément étranger à l’action qui sera menée, dans la réappropriation identitaire et culturelle de la Catalogne…
Les volontés politiques qui s’affirmeront plus tard, lors de la dictature franquiste notamment – date du coup d’état du Général Franco – à sa mort, le 20 novembre 1975, n’entameront pas la détermination catalane qui, après l’échec de l’instauration d’une République (Francesc Macià proclame en avril 1931 la 1ère République Catalane) va aboutir en 1979 à l’instauration d’un gouvernement autonome : la Generalitat de Catalunya verra alors le jour.
Pour mémoire, c’est en 1926, que le jour de Sant Jordi devient réellement celui de la fête du livre en Catalogne.
On célèbre le 23 avril de cette année 1926 le 310ème anniversaire de la disparition de Miguel Cervantès. De manière concomitante – par les hasards d’un décalage entre le calendrier grégorien et le calendrier julien -, le 23 avril 1616, Miguel Cervantès meurt le même jour que William Shakespeare.
C’est dire qu’il y a déjà quatre siècles, le 23 avril s’annonçait déjà comme la date propice à l’émergence ‘une manifestation littéraire d’ampleur.
Curiosité de l’Histoire si l’on se rappelle que Miguel Cervantès, le génial auteur du « Don Quichotte », a été grandement influencé par Joanot Martorell, écrivain catalan – un Valencien s’il en fût – lequel a été considéré comme annonciateur du roman picaresque, avec « Tirant lo Blanc »
La Sant Jordi prend aujourd’hui la forme d’un retour aux sources, outil et arme de récupération de la langue, de la culture et de l’identité catalane « al capdevall » (c’est-à-dire au final).
Au cours de la première moitié du XXème siècle, les événements se précipitent : Pompeu Fabra « el seny Ordenador de la llengua » réalise la normalisation du catalan.
Survient la guerre d’Espagne : Luís Buñuel, Pablo Picasso, Pau Casals, Joan Alavedra et bien d’autres s’exilent. Antonio Machado meurt à Collioure : « Petit Espagnol qui viens au monde, que Dieu te garde, l’une des deux Espagne va te glacer le cœur », écrit-il avec foi et gravité…Federico Garcia Lorca est exécuté sur la route de Grenade.
George Orwell, écrivain talentueux, engagé dans les Forces Françaises Internationales, rend « Hommage à la Catalogne », exaltant les efforts des mouvements syndicaux et nationalistes. Nombre de réfugiés de l’Espagne, déchirée, iront par la suite lutter contre les nazis. Certains connaîtront l’enfer des camps de concentration, tragiquement déportés à Dachau, à Auschwitz ou à Buchenwald…
Ces éléments conjugués ont peu à peu forgé la conscience et la résistance catalanes. Ils ont appris à un peuple pourvu d’une identité des plus marquées à lutter pour conquérir enfin sa liberté.
Sant Jordi, 23 avril, une date qui ne s’est pas démentie, puisque la fièvre de Sant Jordi a graduellement gagné toute l’Europe pour être aujourd’hui officiellement reconnue par l’UNESCO comme journée mondiale du livre et du droit d’auteur (le 23 avril 2002 précisément).
Jean Iglesis