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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Lidia de CADAQUES (6) EUGENI (D'ORS)

Cadaqués (C) J.P.Bonnel - Ana Maria et Salvador en 1925 - 4° de couverture -
Cadaqués (C) J.P.Bonnel - Ana Maria et Salvador en 1925 - 4° de couverture -
Cadaqués (C) J.P.Bonnel - Ana Maria et Salvador en 1925 - 4° de couverture -

Cadaqués (C) J.P.Bonnel - Ana Maria et Salvador en 1925 - 4° de couverture -

 

 

Eugeni

 

 

Il serait temps d'évoquer le livre d'Eugeni d'Ors, qui dresse le portrait de La Lídia, la dernière sorcière mystique de Cadaqués. Cette femme unique sera l'inspiratrice de Dalí. Sa vie, transfigurée par l'écriture et l'idéologie du critique littéraire (symbole de la Catalogne…classicisme..) est devenue, au mitant du XX° siècle, une mythologie moderne. Ce personnage est beaucoup moins évoqué car l'époque a changé et l'esprit catalan en est venu à une critique de cette conception classique, voire réactionnaire du noucentisme, le catalanisme actuel se portant sur les revendications d'autonomie élargie, d'indépendance, de république, voire de séparatisme. Or la conception politique d'Eugenio d'Ors était tout le contraire…

 

C'est à ce moment-là, en ce début de siècle, qu'apparaît le personnage d'Eugeni D'Ors Rovira. Passionné de journalisme, de dessin et de poésie, il a effectué des études de droit à Madrid, mais fatigué, il recherchait un havre où se refaire une santé: il savait que la meilleure solution, pour lutter contre l'anémie, était de s'organiser un séjour près de la mer. C'est par l'écrivain Eduard Marquina, qu'il apprit l'emplacement paradisiaque de Cadaquès. 

 

En effet, Marquina venait d'épouser la fille d'un bourgeois barcelonais, ce fameux Pichot, dont le petit-fils, peintre de pierres, deviendra secrétaire de Dalí et, bien plus tard, directeur de la fondation Dali-Gala, à la réussite incomparable. Le sieur Pichot s'était fait construire une villa moderniste, au Sortell, au sud du village, assorti d'un grand jardin exotique. La maison fut décorée par des dessins de son ami Miquel Utrillo. M. Pichot était, en effet, l'ami des peintres et écrivains, et tout le microcosme culturel de Barcelone fut invité chez lui, constituant la vague originelle des artistes à Cadaqués…

 

Après Ramon Casas, Albéniz, Segovia, Picasso et Fernande Olivier, Manolo Hugué, Santiago Rusinol, Derain, Duchamp... ce fut au tour d'Eugeni d'Ors de faire connaissance avec le blanc village. C'était en septembre 1904 jusqu'aux derniers jours d'octobre : durant ce séjour assez long, l'essayiste recouvra le dynamisme ancien grâce à la lumière brute du lieu, à l'air marin et vivifiant et surtout grâce à la cuisine exquise de la Lídia Sabana. 

 

 

En effet, la fille de la Sabana concoctait ainsi des paëllas incroyables, de parillades de poissons frais et goûteux : les meilleurs fruits de la mer passaient entre les mains de la jeune femme. Douée d'un sens entrepreneurial inédit en ce coin préservé des échanges du libéralisme financier, elle avait créé son petit commerce : restaurant populaire, poissonnerie d'exception et gîte pour les étrangers de passage, tel d'Ors. 

 

Celui-ci ne tarda pas à fréquenter le négoce de Lídia Noguer. On lui indiqua vite le lieu et les dons gastronomiques de la jeune sorcière. Cependant, ce qui éblouit, dès l'abord, l'écrivain, ce fut la physionomie robuste, sculpturale de la cuisinière. Les références artistiques et intellectuelles affluèrent dans sa tête d'homme qui vivait d'abord par l'intellect.  

 

D'allure expressionniste, autoritaire, presque inquisitoriale, elle en imposait par son allure et sa voix, ferme, profonde, même si elle parlait d'un rythme lent, gênée par les quelques dents qui lui manquaient. D'Ors la compara tout de suite à une pièce de marbre de Maillol, ou à une peinture, à un portrait, comme celui de La Tirana, de Goya, exposé au musée des Beaux-Arts de Madrid… Dans son genre, mêlant la statuaire grecque au profil massif d'une paysanne nature, dépourvue de culture, il la trouva assez belle, mais c'est le magnétisme qui se dégageait du personnage qui en constituait surtout la beauté. 

 

 

Le Livre

 

La bien-plantée est publiée en feuilleton durant tout l'été 1911 dans la section Glossaire du journal La veu de Catalunya -La voix de la Catalogne -sous le pseudonyme de Xènius. Un an plus tard, il sera publié en un seul volume et, l'année suivante, il sera réédité. Ce travail à caractère philosophique est, avec Gualba, les mille voix, édité en 1905, le plus représentatif de l'auteur et du noucentisme catalan. 

 

 L'intrigue est développée dans une colonie d'été sur la côte méditerranéenne où l'activité est modifiée par l'arrivée de Teresa dans la communauté. D'Ors présente les différentes caractéristiques définissant le protagoniste dans sa vie quotidienne et à travers elles il dresse un recueil des valeurs de ce mouvement philosophique nouveau, que l'auteur a voulu promouvoir : les valeurs bourgeoises, comme la préciosité, l'ingéniosité, l'idéalisme, le classicisme, l'ardeur au travail, l'ordre et la maternité. 

 

 

C'est ainsi que, de 1906 à 1921, toute une génération de jeunes, et de moins jeunes, s'est nourrie de ces articles où, souvent, à partir d'une anecdote banale, l'auteur développait ses pensées sur les arts, la vie, l'amour, la famille...

 

L'écrivait s'attaquait en fait à l'idéal d'une Catalogne moderniste, au tournant du siècle, considérée comme peu ambitieuse, pessimiste et paralysée par les doutes.

 

Il s'agissait, à l'inverse, de célébrer et d'exalter une Catalogne noucentista, renouvelant la culture, l'idéologie européenne, dirigée par la raison et les penseurs. Le langage de ses gloses est ostentatoire et provocateur, ironique, avec un ton plutôt intellectuel, élégant, concis et rapide. Un langage urbain, qui veut être beau, élaboré, ouvertement artificiel, destiné aux esprits éclairés.

 

Le mouvement fut très influent dans le domaine de l'art et de l'éducation. En lui-même, le style du Glossaire constituait déjà un premier manifeste esthétique...

 

J.P.B.

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R
Très belle idée que ce feuilleton estival ! Merci de faire revivre pour nous ces pages de vie et de pensée.
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