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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Gabriele Russier chez Claude Simon à Salses, par Raymond Jean

Gabriele Russier chez Claude Simon à Salses, par Raymond Jean

 

Grâce à ces petites bibliothèque de rue alimentées par la foule anonyme des lecteurs qui veulent faire partager leurs coups de foudre, je me suis emparé des Lettres de G.Russier, publiées dans la collection Points (éditions du Seuil).

 

A l'époque de cette tragédie -le suicide d'une jeune agrégée de Lettres d'Aix-en-Provence, qui allait être nommée prof de linguistique à l'université, après sa liaison avec un élève de 16 ans, la cabale des parents, de la société, de la morale hypocrite et de l'indifférence du président Pompidou...- je n'avais pas lu le recueil des lettres, éditées avec i-une longue et belle préface de R. Jean.

Celui-ci, écrivain raffiné, prof de Lettres à l'Université de Provence, a voulu aider sa jeune collègue. Il le fit mais, hélas, la dépression conduit la jeune femme au suicide, à 41 ans...

Ses lettres sont remplies et d'émotion et sont un appel au dialogue, à la justice, sans colère, mais avec désespoir, dans une solitude extrême. La préface explique le contexte. J'ai été intéressé par les deux pages consacrées à la venue de G. Russier en Roussillon pour rendre visite au futur prix Nobel de littérature. R. Jean connaissait l'auteur de Salses et, comme G.Russier préparait une thèse sur le Nouveau Roman, il lui proposa de se rendre à Salses.

Le texte est admirable, dans sa simplicité même : "Claude Simon; Il se trouve que, de tous les romanciers qu'elle étudiait, il était celui dont l'oeuvre le fascinait le plus..."

JEAN retrace ce voyage en auto d'avril 1965; il décrit avec naturel le soleil de printemps sur l'étang de Leucate, la maison du vigneron, les conversations, la simplicité de C.Simon et de Rhéa Axelos, leur cordialité, les photos et collages de l'écrivain, le paravent aux montages érotiques...

Il faut revenir à ces pages 19/21 de l'édition de poche, modeste amis combien émouvante...

 

J.P.Bonnel

 

 

G. Russier - Pompidou devant le cadavre de G.R?
G. Russier - Pompidou devant le cadavre de G.R?

G. Russier - Pompidou devant le cadavre de G.R?

 

L’affaire Gabrielle Russier, un amour hors la loi 

A la toute fin des années 1960, le suicide de Gabrielle Russier, condamnée pour avoir eu une relation amoureuse avec l’un de ses élèves du lycée, a déchiré la France. Pascale Robert-Diard et Joseph Beauregard ont mené une enquête auprès de plus d’une centaine de témoins qui leur ont livré leurs souvenirs et donné accès à leurs archives personnelles. Parmi eux, 21 anciens élèves de Gabrielle Russier et d’autres anciens élèves du lycée Nord de Marseille entre 1967 et 1970.

Leur récit a été publié dans Le Monde du 26 au 31 juillet. Pour nos lecteurs qui l’auraient manqué, voici rassemblés les six épisodes qui le composent.

Episode 1 : une professeur unique

« Je vous rappelle qu’il est interdit de fumer dans les couloirs, dit le pion en lui tapotant l’épaule.

Même pour les profs ?

– Ah, pardon. Je ne vous avais pas reconnue au milieu des élèves. »

Gabrielle Nogues, née Russier, tire sur sa Gauloise bleue. Elle a 30 ans. Trois mois plus tôt, elle a brillamment réussi l’agrégation de lettres modernes. Ce 14 septembre 1967, elle effectue sa première rentrée comme professeure de français et de latin au lycée Nord de Marseille…

Elle rit, elle est heureuse. L’a-t-elle déjà été autant qu’en ce printemps glorieux ? La vague de contestation partie de Paris, début mai 1968, a déferlé sur Marseille. Sur le parvis du lycée Nord, un groupe se relaie autour du piquet de grève et distribue des tracts enflammés, pleins de majuscules et de points d’exclamation. Les filles goûtent au plaisir de s’asseoir en rond sur l’asphalte tiédi par le soleil. A l’intérieur, un vieux professeur de philosophie erre, désemparé, dans les couloirs. Le proviseur gaulliste ne fait plus peur, d’ailleurs où est-il ? On ne le voit plus. Au fond de la classe, les chaises et les tables sont dressées en pyramide victorieuse, du haut de laquelle un garçon chevelu harangue ses camarades et leur explique que la révolution est en marche. Les élèves réclament le droit d’être entendus, ils veulent des délégués de classe, ils parlent, ils n’arrêtent pas de parler, se coupent la parole, s’interpellent, grisés par ce bonheur tout neuf. Leur professeure de français, Gabrielle Nogues, les écoute, les encourage, elle les comprend, elle les aime, comme elle les aime !

Le juge d’instruction Bernard Palanque feuillette le mince dossier qui vient de lui être confié. Une plainte pour « enlèvement et détournement de mineur », des procès-verbaux d’interrogatoire, des comptes rendus de filature, une rapide enquête de voisinage.

La plainte est signée de Mario et Marguerite Rossi, professeurs à l’université d’Aix-en-Provence. Le mineur est leur fils Christian, lycéen âgé de 16 ans et demi, qui n’a pas donné signe de vie depuis quinze jours. La personne visée, Gabrielle Nogues, née Russier, est une professeure de français et de latin au lycée Nord de Marseille qui entretient depuis quelques mois une liaison amoureuse avec son élève. Elle a été placée en garde à vue la veille et se trouve toujours dans les geôles du palais de justice. Bernard Palanque comprend mieux pourquoi le procureur l’a appelé alors qu’il n’était pas de service ce jeudi 5 décembre 1968.« L’affaire est délicate », lui a t-il soufflé…

Le 28 avril 1969, à 0 h 11, un communiqué est envoyé depuis Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne). « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. »Désavoué par les Français qui ont voté non à son référendum, Charles de Gaulle, 79 ans, s’en va.

Dans la courte campagne présidentielle qui s’ouvre, l’ancien premier ministre Georges Pompidou fait déjà figure de favori à droite, le maire de Marseille, Gaston Defferre, est désigné pour porter les couleurs de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, ancêtre du Parti socialiste). Partout sur le territoire, gronde la colère des petits commerçants et artisans. Tout le monde se fiche du sort réservé à une professeure de français de Marseille qui vient d’être incarcérée pour la deuxième fois à la prison des Baumettes sous l’inculpation d’« enlèvement et détournement de mineur ». Le 29 avril, elle a eu 32 ans ;Christian, l’élève avec lequel elle entretient une liaison amoureuse, en a quinze de moins…

 

Ce dimanche 20 juillet 1969, Gabrielle Russier pousse le portail d’une vieille bâtisse de briques rouges, La Recouvrance, à Boulin, près de Tarbes. La jeune professeure de français a quitté Marseille en train pour rejoindre ce centre psychothérapeutique installé au pied des Pyrénées. Dans quelques heures, deux hommes vont marcher sur la Lune.

Alors que le monde entier a les yeux rivés sur la mission d’Apollo-11, elle tourne et retourne dans sa tête les événements des dernières semaines. L’épreuve du procès, le 10 juillet, où sa relation amoureuse avec un de ses élèves de 17 ans a été livrée en pâture aux débats d’un tribunal. L’incompréhension à la lecture des mots sévères du jugement qui, le lendemain, l’a condamnée pour « enlèvement et détournement de mineur ». Le lâche soulagement face à la peine prononcée – un an d’emprisonnement avec sursis – qui devait lui permettre de bénéficier de l’amnistie présidentielle.

Puis, quelques heures plus tard, l’abattement, la terreur même, en découvrant que le procureur avait fait appel de la décision et que tout était à recommencer…

Le 22 septembre 1969, dans la salle des fêtes de l’Elysée, où se tenait la deuxième conférence de presse de Georges Pompidou, le journaliste de Radio Monte Carlo, Jean-Michel Royer, s’était levé pour la dernière question : « Monsieur le Président, je voudrais vous faire sortir carrément de l’épure et vous interroger sur un fait divers. A Marseille, une femme, un professeur, 32 ans, est condamnée pour détournement de mineur. Elle se suicide. Vous-même, qu’avez-vous pensé de ce fait divers qui pose, je crois, des problèmes de fond ? »

Le silence qui suit dure dix longues secondes. Le président a un étrange sourire, regarde à droite, puis à gauche. Appuie son menton sur ses deux mains. Semble hésiter. Ouvre la bouche. Ne dit rien. Ecarte ses mains, les croise, les noue. Et répond enfin :

« Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé sur cette affaire…

Nouveau silence de cinq secondes.

Ni même… Ce que j’ai fait…

Passent encore cinq secondes.

Quant à ce que j’ai ressenti… Comme beaucoup… Eh bien…

Passent sept secondes.

“Comprenne qui voudra,

Moi mon remords ce fut

La victime raisonnable

Au regard d’enfant perdue,

Celle qui ressemble aux morts,

Qui sont morts pour être aimés.”

C’est de l’Eluard. Merci, mesdames et messieurs. »

 

(C) Pascale Robert-Diard et Joseph Beauregard

Publié le 16 août 2020 (Le Monde)

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