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Des médias comme Marianne pointent l'engagement trouble de certains intellos médiatiques "de gauche" : Onfray, E. Plenel...
«L’expression “islamo-gauchisme” brouille les idées.»
Tribune pour le quotidien "L'opinion", parue le 3 mars 2021
L’expression « islamo-gauchisme » juxtapose deux concepts d’ordres différents : l’un religieux (« islamo »), l’autre politique (« gauchisme »). Cette expression est faite pour la polémique mais brouille les idées. Reprenons les choses par ordre : l’histoire d’abord.
Dès avant la prise du pouvoir en Iran par l’ayatollah Khomeiny, le sociologue et militant iranien Ali Shariati, mort en 1977, écrivait : « L’Islam a pris les devants en Afrique et en Asie, dans la lutte contre le colonialisme et l’Occident. Pourquoi ? Parce qu’il a été leur cible… L’Islam est dans le tiers-monde l’aliment social et idéologique le plus puissant pour faire face à l’Occident. C’est une arme formidable, une réserve immense de richesses morales et culturelles qui gît dans les profondeurs des sociétés musulmanes. » L’attachement à l’Islam est nécessaire, concluait Shariati, « pour mener cette bataille défensive et pour instaurer les bases de la société nouvelle ».
Cette vision fut accueillie par l’imam Khomeiny comme la contribution d’un « précurseur » de la révolution islamique de 1979, bien qu’il ne partageât pas l’idée qu’il ne s’agît que d’une simple « bataille défensive. »
Il me semble qu’on peut dater de ce ralliement anticipé d’Ali Shariati à la révolution islamique, encore en gestation, le moment où un courant important du tiers-mondisme apporte sa caution intellectuelle à l’islamisme politique par souci d’efficacité dans la lutte contre l’occidentalisation des élites des pays du « Sud » qui animait déjà le combat de Frantz Fanon en Algérie.
Il n’y eut guère que Michel Foucault parmi les grands intellectuels dits de « gauche » en France pour adhérer un temps à cette grille de lecture. Encore aujourd’hui on trouve dans la postérité de ce qui fut l’école orientaliste française quelques pseudos-théoriciens qui, tel François Burgat, tiennent sur l’idée que l’islamisme politique serait en quelque sorte le « troisième étage » d’une fusée émancipatrice dont les deux premiers seraient constitués par les luttes pour l’indépendance politique d’abord puis pour la libération économique ensuite.
Face à l’islamisme politique, la gauche, dans son ensemble, est restée fidèle aux partis héritiers de Mossadegh et au parti communiste Toudeh vite devenu le principal adversaire de la « Révolution islamique. »
Voilà une première piste — essentielle — pour comprendre comment un certain « tiers-mondisme », par anti-occidentalisme — et au prix implicite d’une répudiation de l’universalisme inhérent à l’esprit des Lumières —, a pu s’abîmer dans l’islamisme radical.
Il y a bien sûr, dans notre société, une deuxième explication : de bonnes âmes confondent le souci louable de l’égalité et la lutte nécessaire contre les discriminations avec la complaisance vis-à-vis de l’idéologie « victimaire-compassionnelle » qui forme le terreau d’un ressentiment social souvent teinté de ressentiment anti-occidental qui forme le fond de l’air d’une jeunesse privée de repères. Cette idéologie ne fait bien souvent qu’apporter de l’eau au moulin de ce que Gilles Kepel appelle, par ironie, des « entrepreneurs de colère ». L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Les « bonnes âmes » seraient souvent bien surprises de découvrir à quel point leur irénisme — pour ne pas parler de cécité — fait le lit des dérives islamistes. Il n’est pas besoin de citer le clientélisme électoraliste de certaines municipalités — de droite comme de gauche —, l’activisme de certaines associations pour empêcher l’application de la loi républicaine au mépris du souci de l’intégration, ou encore le ramollissement de la jurisprudence des plus hautes juridictions, dès qu’il s’agit de permettre à la souveraineté nationale de s’exercer dans un domaine aussi sensible que le droit de l’immigration.
Les voies d’eau sont innombrables. Le bateau coule, mais quiconque voudrait sauver le rafiot est immédiatement soupçonné de vouloir attenter à la démocratie. La méthode est connue : il s’agit de diaboliser l’adversaire. C’est ainsi qu’Edwy Plenel peut assimiler le sort des musulmans dans la société française d’aujourd’hui à celui des juifs à la fin du XIXe siècle, au moment de l’affaire Dreyfus.
Peut-être la ministre Frédérique Vidal aurait-elle dû préciser en quoi consistait l’état des lieux qu’elle réclamait, s’agissant de l’idéologie « postcoloniale » made in USA ou plus encore « décoloniale », le racialisme affiché de groupuscules fondamentalement dressés contre la République.
Il est temps en effet de siffler la fin de la déconstruction, à la fois celle de la France et celle de la République. Bien sûr, la France a eu un empire colonial. Elle en a même eu deux. Elle doit assumer son histoire, mais sans se renier. L’idée de faire de l’Algérie un simple prolongement de la France était une hérésie. Mais cette faute initiale qui n’a pu être corrigée à temps, car la France n’a accepté que trop tardivement (1959) l’indépendance de l’Algérie, ne doit pas faire oublier la profondeur unique des liens tissés entre nos deux peuples.
Bien sûr, il faut combattre ce que j’appelle « le regard colonial », c’est-à-dire le racisme qui imprègne encore certaines mentalités rétrogrades, soixante ans après l’indépendance de l’Algérie.
Quand, dans un article du Monde du 27 février, Philippe Bernard écrit : « Qui n’admet qu’un Français d’origine algérienne n’ait pas perçu de la même façon que son compatriote d’origine portugaise ou pakistanaise ? », peut-être a-t-il raison, mais pas forcément au sens où il le croit : il y a peut-être trois millions de Franco-Algériens en France, mais plus de la moitié d’entre eux vivent très bien leur « francité ». Sans doute il y a encore beaucoup de progrès à faire dans la voie de l’intégration, mais c’est à nous de « républicaniser le regard » et de faire en sorte que les Français s’aveuglent volontairement sur la couleur de peau de leurs compatriotes. Bien sûr, « chacun doit y mettre du sien ». Mais n’est-ce pas ainsi qu’on « fera France » à nouveau, plutôt que de cultiver les germes délétères d’une future guerre civile qu’il est encore temps de prévenir.
Les guerres coloniales appartiennent au passé. Ceux qui veulent les continuer aujourd’hui ne servent ni l’Algérie, ni la France. Cette frénésie pseudo « indigéniste » doit être combattue sans merci.
La République s’aveugle volontairement sur la race et sur la religion. Elle ne connaît que des citoyens. Elle ne demande pas aux musulmans de renier leur foi. Elle leur demande ce qu’elle demande aux autres : une certaine discrétion dans l’expression de leur foi religieuse dans l’espace public et le respect de l’unité de la République.
C’est un sort plus digne que celui d’être relégué au simple rôle de « masse de manœuvre » au service d’une idéologie mortifère que ne ferait que préparer les drames de demain.
- - -Point de vue de l'EHESS
Indignée par les propos de la Ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, l’EHESS propose d’initier une démarche scientifique dédiée à la fabrique des sciences sociales et de leur rôle social
Face aux récents propos de la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, sur le prétendu « islamo-gauchisme » au sein des universités, le président de l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) défend l’autonomie de l’espace scientifique devant son Conseil Scientifique ce mardi 23 février 2021. Il estime que l’enquête ministérielle ne relève pas de l’ordre scientifique.
Le président de l’EHESS considère que l’enquête demandée par la Ministre ne relève pas du domaine scientifique et que le lexique employé appartient à un vocabulaire lié à la mise en œuvre d’une police de la pensée. C’est pourquoi le président de l’École tient à défendre l’autonomie de la science, et se porte entièrement solidaire des communiqués émis par ses partenaires de la Conférence des Présidents d’Université et de l’Alliance Athéna.
Ces structures ont rappelé leurs missions principales qui sont l’organisation du dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences sociales, et l’alimentation du débat scientifique. Leurs réactions attestent que ses membres partagent une conception commune de la science. L’EHESS ne se prêtera pas à l’enquête annoncée de quelque manière que ce soit.
Au moment où la communauté scientifique affronte des difficultés quotidiennes et des attaques émanant de différentes sources – État, groupes de pression, individus – affectant l’enseignement et la recherche, l’EHESS considère qu’ouvrir cette polémique revient à affaiblir celles et ceux qui œuvrent au maintien des institutions académiques et au respect de leurs missions pédagogiques et scientifiques. Le président Christophe Prochasson fait part de sa stupéfaction devant une telle agression.
L’EHESS estime que seule la communauté scientifique est à même de formuler correctement comment faire des sciences sociales. L’EHESS l’a fait par le passé notamment dans l’ouvrage collectif publié en 2012 : Faire des sciences sociales. A ce titre, fidèle à ses pratiques et dans un temps long, l’EHESS formule la proposition d’être à l’initiative et d’œuvrer au lancement d’un grand colloque autour de la fabrique des sciences sociales et de leur rôle social. Avec ses partenaires du campus Condorcet notamment, cette démarche scientifique correspondrait à une réponse collective, coordonnée et efficace, aux pressions que subissent les sciences sociales.