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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Actualité de Claude Simon, recomposition de la biographie - Rue de la Cloche d'Or, à Perpignan

C. Simon

C. Simon

CLAUDE SIMON,
UNE DECONSTRUCTION DU BIOGRAPHIQUE

 

Les Géorgiques (1981) de Claude Simon travaillent sur un matériau biographique : les archives du Général d’Empire Lacombe-Saint-Michel. Pourtant, le travail formel de sa mise en texte surprend les attentes du genre : les noms propres s’effacent, l’identité du sujet est instable, la chronologie éclate. Par contraste, le sens et l’unité de la vie apparaissent comme des effets d’écriture, les produits de la forme romanesque en tant qu’elle est, selon le mot de Lukacs, « essentiellement biographique ». Tout le texte des Géorgiques conteste le caractère nécessaire de l’illusion de signifiance qui en résulte. La déconstruction du biographique qui s’y joue rejoint par différents aspects les thèses de J. Derrida.

1

Si on veut maintenir ouvert le rapport du langage et du visible, si on veut parler non pas à l’encontre mais à partir de leur incompatibilité, de manière à rester au plus proche de l’un et de l’autre, alors il faut effacer les noms propres et se maintenir dans l’infini de la tâche.

Michel Foucault, Les mots et les choses

Les Géorgiques (1981) de Claude Simon se présentent comme un roman. Dès la page de couverture. Rien dans le texte ne viendra inquiéter le pacte romanesque ainsi établi avec le lecteur. Discuter de la question biographique à propos de cette oeuvre requiert donc quelques explications préalables.

La réception critique du Nouveau roman s’intéresse depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant à un problème très proche, celui de l’autobiographique. Le mouvement, orchestré tout d’abord par Robbe-Grillet et sa proclamation de la « Nouvelle autobiographie », a conduit la critique à reposer la question du référent à propos de textes qu’on avait tenus longtemps pour de purs jeux formels. Les romans de Claude Simon font alors l’objet d’une lecture renouvelée. On prend la mesure de la distance qui séparait sa production des programmes théoriques de Robbe-Grillet ou Ricardou dans les années 1960-1970. Le matériau autobiographique, généalogique et biographique avec lequel travaille Claude

Antonin WISER 147

 

* Simon est mis en évidence. Lui-même confirme l’ancrage de ses textes : « à partir de L’Herbe (1958), tous mes textes sont plus ou moins “à base de vécu” »1.

La problématique de l’écriture autobiographique a donc inauguré des lectures de Simon placées sous le signe d’un « pacte de référentialité »2. C’est dans ce contexte de réception renouvelée que la question biographique peut être posée.

2

La présence du matériau biographique dans Les Géorgiques est massive et aujourd’hui clairement avérée. Aussi inviterait-elle a priori à une interprétation de ce texte en terme de « roman biographique ». Je voudrais toutefois suggérer que son écriture non seulement résiste à une telle interprétation, mais qu’elle met en question le projet biographique lui-même.

Celui-ci a été récemment présenté par François Dosse3 comme un pari : rendre compte d’une vie au moyen de l’écriture. Même si les versions les plus contemporaines de ce projet prennent en compte son caractère pluriel et complexe, c’est toujours le sens d’une telle vie qui est visé. Pour cette raison, Dosse envisage l’écriture biographique contemporaine à partir d’un paradigme herméneutique et trouve sa principale ressource théorique chez Ricœur. Le concept d’ « identité narrative », proposé par ce dernier dans Temps et récit, intervient comme le moyen de «restituer une cohésion de vie»4. Cette possibilité s’appuie sur la thèse ricœurienne concernant la mise en intrigue : sa capacité à opérer une synthèse temporelle de l’hétérogène. C’est alors l’unité du récit qui assurerait l’unité du sujet :

Quel est le support de la permanence d’un nom propre ? Qu’est-ce qui justifie qu’on tienne le sujet de l’action, ainsi désigné par son nom, pour le même tout au long d’une vie qui s’étire de la naissance à la mort ? La réponse ne peut être que narrative. Répondre à la question « qui ? », comme l’avait fortement dit Hannah Arendt, c’est raconter l’histoire d’une vie. L’histoire racontée dit le qui de l’action. L’identité du qui n’est donc elle-même qu’une identité narrative5.

1 L. Dällenbach, Claude Simon, p. 171.
2 Sur le statut particulier de la référentialité autobiographique chez Simon, voir les travaux de M. Calle-Gruber, « Une autobiographie de l’écriture », in Le Grand Temps. Essai sur l’œuvre de Claude Simon ; D. Viart, « Question de genre : fiction et “autofiction” », in Une mémoire inquiète. La Route des Flandres de Claude Simon ; M. Thouillot, « Claude Simon et l’autofiction. D’un Acacia à l’autre » ainsi que M. Belarbi, « Pour une autobiographie moderne », tous deux in Le « Nouveau Roman » en question 5. « Nouvelle Autobiographie » ? ; J. Den Toonder, « A la limite de l'écriture autobiographique : Claude Simon. L'Acacia (1989) » in “Qui est-je ?L'écriture autobiographique des nouveaux romanciers ; A. Ducan, « Claude Simon : Le projet autobiographique », in Revue des sciences humaines, 220.
3 Voir F. Dosse, Le pari biographique.
4 Ibid., p. 450.
5 P. Ricœur, Temps et Récit, t. 3, pp. 442-443.

 

****

« La vie et l’œuvre » ? Recherches sur le biographique

Cette identité, que Ricœur nomme ipséité, « repose sur une structure temporelle conforme au modèle d’identité dynamique issue de la composition poétique d’un texte narratif. [...] L’identité narrative, constitutive de l’ipséité, peut inclure le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie »6. Si une telle cohésion est bien la visée du projet biographique, ainsi que Dosse le suggère, alors l’appareil théorique mobilisé ici vient confirmer obliquement la thèse de Lukács dans La théorie du roman, à savoir que « la forme extérieure du roman est essentiellement biographique »7.

 

Il serait toutefois erroné de croire que, dans Temps et récit, l’identité narrative intervient uniquement comme produit arbitraire de la narration. Ce serait oublier que Ricœur place la mise en intrigue sous l’autorité de la mimesis I, selon un rapport formulé ainsi : « La littérature serait à jamais incompréhensible si elle ne venait configurer ce qui, dans l’action humaine, fait déjà figure »8. Autrement dit, la mise en intrigue ne peut configurer une identité narrative que parce que l’action humaine possède déjà une certaine unité de signification.

C’est ce postulat ontologique que viendra contester le travail d’écriture de Simon.

3

Je voudrais examiner maintenant quelques uns des dispositifs de ce travail d’écriture. Le premier point concerne la mise en texte du matériau biographique. On peut mettre en évidence trois types de documents dans Les Géorgiques : les archives du Général Lacombe-Saint-Michel, les souvenirs de Claude Simon et les pages d’Hommage à la Catalogne de George Orwell. Je m’intéresserai essentiellement au premier type – qui oriente la lecture en termes biographiques – afin d’observer comment le matériau qui en est issu fonctionne à l’intérieur du roman.

 

Le recours aux documents, dans une biographie, sert habituellement de garant à ce que Dosse nomme un «pacte de vérité»9. Cette fonction est pourtant désamorcée dans Les Géorgiques, de par le fait que rien dans ce texte ne permet d’identifier l’archive comme telle. La mention paratextuelle instaure, ainsi que je l’ai déjà mentionné, un pacte romanesque qui ne sera jamais troublé. On rencontre certes des marques d’hétérogénéité discursive (italique, guillemets), mais rien n’indique que les voix ainsi différenciées parlent depuis le dehors de la fiction. Si l’on considère le document comme une trace historique, on doit constater qu’ici la trace s’efface comme trace10.

… © Antonin WISER

6 Ibid., p. 443.
7 La théorie du roman, p. 72.

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Association des Lecteurs de Claude Simon

 

Perpignan : hôtel de la Cloche d’Or

Dernière modification le vendredi 10 juillet 2015

À Perpignan Claude Simon habite pendant son enfance, avec sa mère, l’hôtel de la famille, également occupé par sa grand-mère, et par la sœur de sa mère, son mari, Henri Carcassonne, et leurs six enfants.

L’hôtel particulier de la famille maternelle de Claude Simon se trouve 12, rue de la Cloche d’Or, au bout de la rue Saint-Martin (aujourd’hui Maréchal-Foch).

 

Pendant les mois d’été, toute la famille s’installe aux Aloès, propriété de la famille Carcassonne située près de la mer, entre Perpignan et Canet.

Comme si au cœur de la vieille ville (avec ses étroites rues maintenant encombrées d’autos, empuanties de gaz, les rez-de-chaussée de ses vieux hôtels éventrés pour faire place à des vitrines illuminées, peuplées de clinquants mannequins, comme les palmiers en quelque sorte factices, importés eux aussi, accordés au clinquant de fausse Riviera, aux clinquantes musiques de conserve qui s’échappaient des portes, aux clinquants vendeurs ou vendeuses sortis tout habillés de boîtes de conserves garnies de surplus américains, de vestes de trappeurs ou de fourrures importées de Chicago ou de Hong-kong en même temps que les tentatrices affiches de voyages pour Chicago et Hongkong) la maison constituait comme un îlot, une sorte de lieu épargné, préservé dans l’espace et le temps (la maison où avait vécu, jeune fille, la femme qui devait plus tard le porter dans son ventre, où il avait lui-même grandi, enfant, sous les plafonds de cinq mètres de haut entre deux veuves, l’une toujours obstinément vêtue de noir, l’autre, une très vieille dame au visage effondré, comme un permanent masque d’affliction fait, semblait-il, de larmes de cire solidifiées, les deux femmes (la fille et la mère) confondues pour ainsi dire dans leur condition de veuves, veillant sur l’enfant avec une sorte de féroce et possessive passion jusqu’à ce que la fille (la fille veuve) eût rejoint sa mère sous la tonne de pierre entourée de cyprès, après quoi (d’abord revêtu du sévère uniforme de la sévère institution religieuse, puis de vestons et de pantalons qui se voulaient agressivement le contraire d’un uniforme : le nonchalant débraillé, soigneusement étudié (tweed et flanelle) de faux étudiant d’Oxford ou d’apprenti cubiste) il n’était plus revenu qu’occasionnellement, n’occupant que de passage, presque en étranger, la moitié de la maison dont il avait hérité (c’est-à-dire la moitié d’environ mille mètres carrés de bâtiments (remise, écurie, caves, escalier, véranda, salons, salles à manger, chambres, corridors, cuisines, lingeries, offices, galetas) entourant une cour, un jardin et une terrasse) (L’Acacia, p. 206-207)

et à présent il était à son tour un vieil homme, avait vendu sa moitié du mausolée, fui devant l’irrésistible marée des juke-boxes et des marchands de vêtements américains pour aller habiter à la campagne une autre des maisons dont il avait hérité, à part entière celle-là : la maison au pavage décoré de fleurs rouges et noires et à la cheminée de marbre sculpté devant laquelle s’asseyait le vieux patriarche pour absorber lentement les pyramides de figues) (L’Acacia, p. 207-208)

 

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