Vient de paraître...
JEAN-PIERRE BONNEL
ARISTIDE MAILLOL
L’ÉLOQUENT SILENCE DES ARTS*
« Elle est belle, elle ne signifie rien, c'est une œuvre silencieuse. Je crois qu'il faut remonter loin en arrière pour trouver une aussi complète négligence de toute préoccupation étrangère à la simple manifestation de la beauté ». André GIDE
* 20 euros, en librairie ou chez l'auteur : jean-pierre.bonnel@orange.fr
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Vers le Jardin Ombragé (extrait)
La poésie du mois de mai m’a mené à Banyuls. Un soleil orageux préfigurait l’accablement du temps estival. Dans l’étroite vallée de la Rome, la chaleur, déjà, s’accumulait. Les vignes étaient peintes du vert énergique du printemps ; s’en détachaient de minuscules grappes aux rêves muscatels. |
Dans les méandres de la route, je pensais à vous, Dina, qui faisiez à pied ce chemin de poussière et de faux plats, cet interminable chemin qui veut peut-être signifier : accéder à la métairie, cela se mérite.
Soixante ans ont passé, par là aussi le paysage s’est transformé : le goudron de la route, les maisons inédites, les mas remontés par des Étrangers. Mais non, finalement, rien n’a changé. Pas les triangles des vignobles. Ni les collines des pins toscans. Ni les figuiers barbares poussées en sculptures orgueilleuses. Et voici l’olivette… N’a pas changé, sans doute, votre souvenir de ce temps primordial : l’âge de l’adolescence, des initiations, des désirs d’escapades, des plaisirs du corps. On a raison, quand on a quinze, seize ou dix-huit ans, de ne pas être sérieux ; on a raison de ne pas vouloir entendre la morale, c’est-à-dire l’amertume et la jalousie des vieux.
Je me disais que ce bel âge, des courses folles, de l’inconscience de vivre, avait dû décider de votre vie et déterminer votre avenir : côtoyer un artiste immense, qui fut en même temps un homme simple, naturel, presque « brut », et un père autre, devenir son modèle – je veux dire : son miroir- ultime, hélas, et on ose imaginer ses blessures profondes de ne pas vous avoir rencontrée plus tôt. Maillol aurait eu le temps d’approfondir son art, d’aller au-delà des limites de son génie, d’atteindre la perfection de l’harmonie. Cependant, en fin de compte, peut-être est-ce mieux ainsi ; la perfection n’est pas humaine – c’est bête de le constater- la finitude est une utopie, la quête est sans fin : là réside le tragique de la condition de l’homme ; celui-ci doit accepter sa faiblesse pour trouver l’apaisement en lui, avant cette sacrée paix sans bornes.
La paix, elle est là, embusquée derrière le virage, au bout du sentier. Elle s’appelle fraîcheur verticale des cyprès, elle se nomme silence d’un quadrilatère de verdure. Elle est perspective d’un éternel jardin ombragé. Elle est beauté quand elle est exprimée par la nudité galbée d’une femme, et au-delà de la méprise des sens, il s’agit de lire, avant tout, la nudité d’un cœur, la vérité d’une âme.
Vous avez raison : le lieu est une chapelle.
A l’air libre. ..
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Maillol le Méditerranéen
*Les influences
Maillol découvre Gauguin grâce à Daniel de Monfreid (œuvres à Saint-Clément – expo Gauguin lors de l’exposition universelle de 1880) : influence pour le thème de la vague (Ondines) et l’effacement de la perspective.
Maillol est aussi influencé par les estampes japonaises représentant souvent l’image de jeunes filles dans les flots ; puis par Maurice Denis et les Nabis (les « Prophètes : Vuillard, Sérusier, Bonnard) qui ne veulent pas s’attacher aux apparences, mais recréer la réalité, en simplifiant les formes :
« Les couleurs et les lignes dans un tableau ne sont pas la reproduction des couleurs et des lignes. » Dépasser le réalisme tout en restant concret, mais le langage est plus symbolique que narratif. Les Nabis ont tous le goût pour les arts décoratifs. (cf. Abécédaire de Maillol, Flammarion, 1996).
De même les tapisseries du musée de Cluny (La Dame à la Licorne) inspireront Maillol ; il s’initie à l’art du tissage et ouvre un atelier à Banyuls ; il va cueillir des fleurs pour créer de pigments naturels : « C’est un art plus beau et plus significatif que la peinture. »
La grécité de ce catalan va se ressourcer à Delphes, durant son voyage avec le Comte Kessler. En même temps, à Banyuls, Roses ou Ampurias, l’artiste trouve une autre Grèce lumineuse * Les Catalans sont des Grecs avant tout et la vie de Maillol consacrée à célébrer la Mare Nostrum s’achèvera avec une sculpture…inachevée, Harmonie, avec son regard si triste. Pourquoi cette mélancolie.. ?
Rodin est admiratif et loue la sculpture Léda ; de Rodin, Maillol garde l’idée du socle bas ; ainsi l’œuvre est à la hauteur du spectateur.
Maillol rencontre le Comte Kessler en 1903, qui commande à l’artiste de nombreuses œuvres et crée une fondation en Suisse.
En discutant, Matisse et Bonnard en viennent à affirmer que Maillol se dirige vers « la simple préoccupation des formes, au lieu de l’expressivité du sujet » En effet, rares sont les personnages dynamiques, à part Action enchainée, l’Air ou la Vague…
Influencé par l’art hiératique des Égyptiens, Maillol ne recherche pas la beauté physique, mais la réalité du modèle.
En 1905, grâce à Mirbeau, il a une commande de Clémenceau : une sculpture monumentale, l’hommage à Blanqui.
Enfin, ne pas publier que son inspiration provient surtout du site de Banyuls de la Marenda, « le plus beau paysage du monde. », selon Aristide.
*Slogan de la ville de Banyuls « la lumineuse »…
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Impressions en regardant quelques statues de Maillol
-La nymphe : l’œil ne perçoit aucune anecdote ; le regard n’accroche à aucun fait divers ; l’œuvre entière cache la beauté intérieure de celle qui ouvre ses bras à celui qui viendra, qui saura entrer dans sa vie de recluse : dans le secret du bronze…
-Flore : sous le drapé léger, sous le linge évanescent, pointent les seins et le ventre créateur, troué d’un ombilic accentué, origine des limbes avant le départ pour la vie.
-Monument funéraire de Port-Vendres où la toge est délaissée, inutile encore ici : la mort est incarnée par une femme sensuelle exhibant sa poitrine ronde, modulée par le plâtre et caressée, enveloppée par le bronze…
-Les trois nymphes : elles sont impavides, droites, arrêtées dans une pose allégorique, le regard sans vie, tel celui d’un aveugle. C’est à nous de voir, de saisir le soleil d’un sein, la rode des fesses, la ligne du dos, la raie franche du fessier, le nid de l’ombilic, l’ombre énigmatique du pubis…
Elles ne sont pas nées pour la jouissance, mais nous voudrions bien animer ces vestales au visage d’éternelle jeunesse…
-Quand l’être lapidaire de Maillol veut sortir de son figement, il est empêché et l’œuvre est censurée, occultées, oubliée dans un coin. Sa statue est un élan avorté.
Maillol, modeleur avant tout : les mains de cet artiste font des merveilles, inventent des membres, un corps. Aristide, divin kiné !
-La Nuit, comme la mort, nous recouvre, nous investit : nous n’avons plus que la possibilité de fermer les yeux, de regarder en nous, de tenter d’appréhender ce trou noir, ce vide incommensurable et le néant qui nous accable ; c’est pourquoi la sculpture de La Nuit se referme sur elle-même : on attend que ce coquillage féminin s’ouvre enfin… En vain. On a l’éternité pour cela.
-Rien à voir dans cette œuvre, alors que les autres statues offrent leur nudité ou plutôt la vérité du monde car ces seins pleins et orgueilleux, ces ventres comme fleurs d’une maternité à peine discernable. Les sexes de ces femmes couchées, allongées, accroupies, enfermées dans leur implacable géométrie, se donnent au public, au plein air de la vie des passants, à la vue des enfants, au voyeurisme esthétique des siècles, au spectacle médiatique du quotidien…
Péripatéticiennes des jardins d’une capitale qui, son art statuaire l’ouvre, de façon généreuse. Dans ces jardins du paradis terrestre, ces femmes drapées d’un rien d’étoffe, d’une étole d’ange, inutile dans alibi de préservation de la morale.
-Elle la Nuit du Carrousel, se refuse : elle se sent méconnue, prise pour une Méditerranée…
-Vénus : dans ses mains ouvertes, deux pommes qui rythment avec ses seins offerts à la vue du peuple immense qui hante les volumes du Louvre.
JPB