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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Albert Bausil, par Jean Iglésis - poésies

images-copie-1.jpegCes quelques textes, extraits de « Poèmes et proses », recueil anthologique d’Albert Bausil (Editions Tramontane –dernière revue – 1980).

 

Un poète incontournable dans la renaissance littéraire du XXème siècle, en Roussillon. Après les « jeux floraux de la langue catalane », célébrés à Barcelone, au début du XXème siècle, la bourgeoisie roussillonnaise s’exprime, non sans relents de quelque catalanité sous-jacente au long des « jeux floraux du Genêt d’Or ». La guerre de 14-18 a apporté son tribut en charnier, douleurs, velléités d’identité nationale, un message belliciste lourd d’émotions réfrénées…

 

Il faut se souvenir de revues telles « Le coq catalan », « Tramontane »... des publications réservées à des « initiés », aux rémanences bourgeoises, qui ont permis de découvrir et de diffuser des écrivains nord-catalans aussi célèbres que Joan Amade, Josep Sebastià Pons, Jordi Pere Cerdà, Carles Grandó, Joan Cayrol, « Oun Tal » (Albert Saisset) et bien d’autres...

 

Chez Bausil, on trouve des licences parfois sur le style, des hardiesses au niveau de la forme... mais quelle pureté sur le fond !

 

La terre catalane, la vie, l’amour, la foi et la fidélité... des thèmes récurrents que l’on rencontre chez les vrais serviteurs de la poésie. Si Stendhal exprimait qu’un poète « ce n’est finalement qu’un cœur qui explose, d’amour ou de révolte... », plus près de nous, « el Mestre, Pau Casals » s’est fort justement plu à le traduire t : « un artiste au bout du compte, ce n’est que quelqu’un de sincère »

 

Puissiez-vous prendre autant de plaisir à lire, découvrir ou redécouvrir ces quelques textes d’Albert Bausil que j’en ai pris et que j’en prends à les lire, relire et apprendre, depuis plus de trente ans Comme dans « La terrasse au soleil » : « J’avais vingt ans, j’avais une âme de vainqueur » et j’ai découvert son oeuvre. Une œuvre brève dans la fulgurance, mais dense cependant dans la permanence. Bausil, ça ne s’explique pas, ça se savoure, ça s’entend, ça se sent…

 

Plût au Bon Dieu que nous soyons encore quelques irréductibles à défendre la poésie. Il ne nous restera que ça lorsque l’on nous aura tout enlevé… Et bordel pour les bonimenteurs, tricheurs et sodomites de tout poil… La poésie ne se comptabilise pas, c’est elle qui nous comptabilise !...

 

Comme une chanson, un poème détient un rôle social... un poème ça nous aide bien souvent à mieux vivre... et parfois tout simplement à vivre. Bausil est de ces Amphitryon qui nous invitent à leur table, sans goûter aux mets qu’ils nous ont concocté… un ce ces hôtes qui nous font goûter, désirer et passionner… ce qui ne se boit, ni ne se mange : la poésie.

 

Très cordialement...  Jean Iglesis

 

 

 

 

Mon pays !...

 

Mon pays, c’est mon ciel, ma ville, ma grand-route

c’est le clocher qu’on voit de loin, quand on revient,

c’est le dîner qui fume et c’est l’âne qui broute,

tout le décor qui se souvient !

 

Mon pays, c’est ce mas ombragé de platanes,

c’est la garrigue et ses buissons de romarin,

ce sont les cris de la hurlante tramontane,

la voix triste du vent marin.

 

Mon pays, c’est la mer, la vigne, la montagne,

les cyprès bleus où les moineaux vont se blottir,

les pommiers du Conflent, les blés de la Cerdagne,

les cerisiers du Vallespir !

 

Mon pays, coiffé de ses tuiles vives,

c’est l’automne roux, clair et triomphal,

c’est l’hiver traînant des roses hâtives,

sous les chars joyeux de son carnaval ;

 

c’est le doux printemps de l’heureuse Albère

où l’on voit des bois de micocouliers,

des pêchers fleuris dans tous les halliers

et des mimosas dans les cimetières !

 

Mon pays, c’est ça, ce sont ces trésors,

ces sommets neigeux, ces plages vermeilles,

c’est ce Roussillon des fruits et des treilles

jeté sur la mer comme un bouquet d’or.

 

-Et mon pays, c’est toi, toi ma petite amie !

ta chanson, ta gaîté, ta voix, ta bouche en fleur,

tes yeux brûlants qui font du soleil sur ma vie,

tes cheveux noirs qui font de l’ombre sur mon cœur.

 

Albert Bausil (1881-1943)

 

 

 

 

 

La terrasse au soleil

 

Comme tous, j’ai rêvé de conquérir la Ville.

J’avais vingt ans. J’avais une âme de vainqueur.

Je croyais arracher à la Gloire indocile

Tous les baisers, tous les lauriers et tous les cœurs.

 

Chaque jour, éveillé par l’appel des chimères,

Je frémissais d’impatience sur mon seuil.

Paris m’apparaissait là-bas dans ses lumières,

Comme une citadelle ouverte à mon orgueil.

 

De triomphes parmi la foule qui m’acclame

Et de la griserie exquise des encens

Je m’enivrais déjà. Je portais dans mon âme

Des rêves fous d’imperators adolescents.

 

-Un soir, que fatigué d’espérer et d’attendre

J’étais allé m’asseoir sur la route d’été,

Une enfant a passé, grave, amoureuse et tendre...

Mes yeux ont rencontré ses yeux. Je suis resté.

 

Alors, pour moi, la gloire a perdu son mirage.

Mes espoirs ont fleuri vers une autre clarté :

Je n’ai plus eu devant ma foi que son image,

Je n’ai plus eu d’autre flambeau que sa beauté.

 

Et, parmi la torpeur de la petite ville,

Près de la mer, parmi la lumière et les fleurs,

Je me suis endormi dans mon rêve tranquille,

Bercé d’insouciance et de calmes bonheurs.

 

Je suis resté. Les voix du sol et de la race

Ont retenu l’essor au moment de l’éveil.

Le Soleil a doré la treille et la terrasse,

Et j’ai chanté devant la terrasse au soleil.

 

Albert Bausil (1881-1943)

 

 

 

 

 

Hélène

 

 

Qu’êtes vous devenue, Hélène,

petite Hélène aux longs yeux gris, que chaque soir, j’allais attendre à la sortie du Cours,

le cœur battant, les poches pleines

de billets et de vers d’amour ?...

 

Je me souviens de vous à peine,

petite Hélène.

Votre père était officier

- officier de gendarmerie ! –

Vous étiez sans coquetterie,

tout devenait plus bleu, plus blond, quand vous passiez.

J’avais treize ans, vous n’en aviez pas douze,

vous portiez un manteau de drap bariolé

et quand j’allais vous voir, je cachais sous ma blouse

un bouquet que j’avais volé.

 

Qu’êtes vous devenue, Hélène,

petite Hélène de la rue de la Réal ?

Que le cœur me faisait du mal

quand je ne voyais pas votre manteau de laine

venir de loin, parmi le groupe matinal,

le groupe qui sortait de classe avec des livres

et des cartables sous le bras...

Jamais ce temps, ce beau printemps ne reviendra.

 

Je ne vous parlais pas, je n’osais pas vous suivre,

mais lorsque je rentrais dans ma chambre, le soir,

et qu’on ne pouvait pas me voir,

je mettais devant moi votre photographie

et j’écrivais des vers de flamme, de folie,

des vers que je n’écrirai plus...

 

Mon Dieu : comme vous m’avez plu,

petite Hélène aux jambes nues !

Qui me dira ce que vous êtes devenue,

ce que vous faites, maintenant,

vieille fille – ou jeune maman ?

 

J’imagine vous voir, douce, modeste, mince,

dans une calme préfecture de province,

accompagnant à la Musique, le Jeudi,

une petite fille en robe d’organdi

qui vous ressemble.

La nuit descend. Je vous regarde. Et il me semble

qu’un jeune lycéen passe à côté de moi,

avec ma silhouette, avec mes yeux qui brillent,

avec ma foi,

et qu’il laisse glisser aux doigts de votre fille

la rose que j’avais aux doigts...

 

Albert Bausil (1881-1943)

 

 

Ta jeunesse

 

Ta jeunesse a l’odeur des muguets ! Ta jeunesse

Est fraîche comme une grappe d’acacia.

Il monte de ta voix des sources d’allégresse

Des rumeurs de jardin et des alléluias !

 

Quand tu rentres, c’est comme un matin qui m’éclaire,

Après la nuit, la triste nuit, quand je t’attends.

Ton geste autour de toi répand de la lumière

Et tes bras nus ont l’air de porter le printemps !

 

Ô ta jeunesse ! Ô ta jeunesse que j’envie !

Tes cheveux fins, tes cheveux fous d’enfant de chœur !

Tes yeux surtout, tes yeux amoureux de la vie,

Tes yeux joyeux, tes yeux fleuris, tes yeux vainqueurs !

 

Je suis tout ébloui de toi. Quand tu te penches,

C’est comme une douleur heureuse que je sens...

Un trouble naît de l’étroitesse de tes hanches,

De tout ton petit corps souple d’adolescent.

 

Et puis, ce sont tes doigts, tes mains longues et pâles,

Tes mains jointes, tes mains vagabondes, tes mains

Qui se ferment sur toi comme de longs pétales

Etreignant le hâtif battement de tes seins.

 

Demeure. Embaume-moi de tout ce que tu touches.

Ne t’en va pas – Il fait si bon ! – mon cœur est lourd.

Toute la volupté du monde est sur ta bouche.

Reste là, mon trésor ! mon petit ! mon amour !

 

Albert Bausil (1881-1943)

 

 

 

 

 

 

Voyages

 

Je n’ai pas fait, même en désir, le tout du monde.

Je suis resté chez moi, paisible et ignorant.

Je me suis contenté d’avoir la mappemonde

Sur ma table, entre Jules Verne et Paul Morand.

 

Rien que la terre. Et c’est bien vrai ! Rien que la terre

Et que la mer, et que le ciel toujours pareils.

Toujours les mêmes paysages sans mystère,

Toujours les mêmes soirs et les mêmes soleils.

 

Je ne partirai pas pour les Indes profondes,

Pour les jardins des héroïnes de Loti.

Je ne verrai jamais les îles de la Sonde,

Ni les colliers de fleurs des filles d’Haïti.

 

Je ne verrai jamais grandir sur l’océan

Ces villes d’ombre et d’or que les palmiers couronnent.

Je ne cueillerai pas les roses d’Ispahan

Ni les verveines bleues au balcon de Vérone.

 

Mais m’en suis-je créé, des ciels, des floraisons,

Des palais infinis où l’âme vagabonde.

Et m’en suis-je conquis des havres, des toisons,

Des forêts où chantaient tous les oiseaux du monde !

 

 

.../...

 

 

M’en suis-je rappelé des voyages d’amour,

De frémissants départs, de lyriques escales,

Et m’en suis-je ébloui d’aurores boréales,

De flammes, de réveils, d’adieux et de retours !

 

Je te plains, visiteur des mornes capitales ;

Touriste insatisfait qui te traces, l’hiver,

Des paradis d’affiche et de carte postale

Aux bornes de ton âme et de ton univers !

 

Ce matin, en ouvrant la lettre bleue et sage

Qui n’était qu’un morceau de ciel sur ma prison

J’ai fait le plus fervent, le plus ardent voyage

Vers le plus radieux de tous les horizons.

 

J’ai choisi librement la route la plus belle,

Je suis le pèlerin le plus halluciné,

Parce que, chaque jour, des étoiles nouvelles

Fleurissent pour moi seul un ciel imaginé.

 

Et parce que, sans but, sans boussole, sans voiles,

Mais, sous le pavillon de l'Indéterminé,

Je cingle avec amour, au gré de ces étoiles,

Vers les eldorados que je me suis donné !

 

 

Albert Bausil (1881-1943)

 

 

 

 

 

Hymne au Roussillon

 

Je t’aime pour ta plaine onduleuse et féconde,

Pour l’éclat de ton ciel, la tiédeur de ton air,

Ô Roussillon, blotti comme une crèche blonde

Entre la Montagne et la Mer !

 

Je t’aime pour tes champs où la luzerne pousse,

Pour tes forêts de pins où la lune s’endort,

Pour tes coteaux escaladés de vigne rousse,

Pour tes sommets irradiés de neige d’or !

 

Je t’aime pour les clairs villages que tu poses,

Au bord des flots, le long de tes golfes latins,

Pour ton soleil qui fait chanter les tuiles roses,

Dans le rutilement joyeux de tes matins !

 

Je t’aime pour ta ligne souple de montagne,

Pour les vallons de ton Vallespir enchanté,

Pour les moissons de ta lumineuse Cerdagne,

Pour ton Albère heureuse où Virgile a chanté !

 

Pour tes commencements d’automne dans la plaine,

Lorsque les vendangeurs regagnent les maisons

Sur les lents chariots et les comportes pleines,

Debout dans la splendeur des rouges horizons !

 

Je t’aime pour ta race ardente, en qui ruisselle

Et bout le jeune sang des robustes espoirs,

Pour tes filles, qui sous les coiffes de dentelle

Ont le soleil enclos dans leurs yeux de jais noir !

 

Je t’aime pour tes soirs de fête, après la danse,

Lorsque les couples las, par les chemins ombreux,

S’égarent pour unir leurs bouches, en silence,

Dans la complicité des crépuscules bleus...

 

Je t’aime aussi pour tes romances populaires,

Musique qui m’émeut de son murmure ami,

Cantiques envolés d’un rêve de grand’mère

Qui voletez autour des berceaux endormis...

 

Quand le dernier sommeil aura clos ma paupière,

Lorsque j’aurai tracé mon suprême sillon,

Je veux que ma poussière unie à ta poussière

Dorme sous l’olivier natal, ô Roussillon !

 

Je veux que ma substance emmêlée à la tienne

Soit un ferment nouveau de ta fécondité,

Et je veux que ta voix méditerranéenne

Me berce dans la mort et dans l’éternité.

 

Albert Bausil (1881-1943)

 

 

 

 

Aux morts de mon pays

 

Poème dit par Madeleine Roch, sur la scène

de la Comédie Française, le 18 novembre 1922

 

...Vous n'aurez même pas de place au cimetière.

Vous êtes tombés, seuls, sur des champs inconnus.

Aucune main d'ami n'a fermé vos paupières.

On ne sait pas ce que vos corps sont devenus...

 

Quand Novembre viendra sur les grands jardins blêmes,

Quand la Toussaint fera tomber ses feuilles d'or,

Vos mères n'iront pas, avec des chrysanthèmes,

Pleurer devant la tombe où repose leur mort.

 

Vous ne dormirez pas en terre catalane,

Près du petit chemin paisible où nous passons,

Et le vent familier qui berce les platanes

Ne vous bercera pas de sa bonne chanson.

 

Inconnus, confondus dans l'immense hécatombe,

Nul ne peut, maintenant, vous sauver de l'oubli.

Le glas ne sonne pas pour un soldat qui tombe,

Et c’est le soir venu qu'on vous ensevelit !...

 

Sans cercueil, sans adieu, sans larmes, sans prières,

Sans le dernier baiser de ceux que vous aimez,

Sans la petite croix où s'enroule le lierre,

Dans la nuit, par les bois, sous la fange, dormez...

 

Dormez ! Votre sommeil est beau comme une aurore.

Demain, les angélus du bonheur sonneront ;

Vous ne serez pas là pour voir les blés éclore,

Mais ce sont vos épis que nous moissonnerons !

 

.../...

 

 

 

 

Le monde avait besoin pour que tout s'accomplisse

De son sang le plus pur et le plus vigoureux.

Vous êtes la rançon de ce grand sacrifice,

Et c’est par vous que nos enfants seront heureux.

 

De ce sang répandu dans les sillons d’éteules,

De ce ferment sacré monte déjà la fleur,

Et les peuples, un jour, assis autour des meules,

Béniront la besogne obscure du semeur.

 

Et nous, les survivants de la grange et de l’aire,

Nous qui recueillerons aux champs de l’avenir,

Le prix de ces printemps et de ces ossuaires,

Nous ne t'oublierons pas, martyr !

 

Nous ne t'oublierons pas. Dans la plaine arrosée,

Quand nous verrons le grand retour de Messidor,

Nous nous rappellerons que c'est votre rosée

Qui fit épanouir pour nous la moisson d'or.

 

Nous ne t'oublierons pas. Car c'est avec ton rêve

Que nous entrons vivants dans la réalité,

Que nous reforgerons le soc avec le glaive,

Et que nous cueillerons demain le blé qui lève

Dans les champs rajeunis de la fraternité.

 

Albert Bausil (1881-1943)

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