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Jean GENET
Journal du voleur est un ouvrage autobiographique de Jean Genet publié en 1949.
Âgé de trente-cinq ans, le narrateur Jean, évoque sa vie de 1932 à 1940. Il raconte son existence de misère en Catalogne, dans le quartier interlope du Barrio Chino à Barcelone, où il partage les mœurs de la vermine avec Salvador, son amant crasseux, qu’il délaisse pour Stilitano, le manchot magnifique, maquereau et traître. Abandonné par ce dernier, le narrateur raconte son dénuement sur les routes andalouses.
Le romancier est à Barcelone en 1932; page 38 (édition Gallimard, 1949), il décrit la ville et ses compagnons d'infortune : "A Barcelone, nous fréquentions surtout la calle Médioda et la calle Carmen...Nous quittions en bande la Barrio Chino et sur le Parallelo nous nous égrenions, un cabas au bras, car les ménagères nous donnaient plutôt un poireau ou un navet qu'un sou..A Barcelone, je vis ces couples d'homme où le plus amoureux disait à l'autre : "Ce matin, je prends le panier."
J.Genet nous plonge tout de suite dans la misère matérielle des homosexuels et des marginaux des quartiers sordides, tel le quartier chinois, aujourd'hui détruit et reconstruit en grande partie; la prostitution subsiste dans les rues les plus proches du port et de la Rambla qui y mène. On remarque que les rues sont écrites en castillan : le catalan était interdit sous le franquisme...
Le célèbre "Barrio chino", décrit par tant d'écrivains (par Georges Bataille, par exemple, dans"Le bleu du ciel") est abordé à la page 26 : "C'était une sorte de repaires peuplé moins d'Espagnols que d'étrangers qui tous étaient des voyous pouilleux. Nous étions quelquefois vêtus de chemises de soie vert amande ou jonquille, chaussés d'espadrilles usées...Stilitano, le manchot n'était orné d'aucune vertu chrétienne. Tout son éclat, sa puissance, avaient leur source entre ses jambes. Sa verge et ce qui la complète, tout l'appareil était si beau que je le ne puis (sic) nommer qu'organe générateur..."
Un autre lieu d'errance et de mendicité est le boulevard "Parallel" : "Derrière le Parallelo il y avait un terrain vague où les voyous jouaient aux cartes (Le Parallelo est une avenue de Barcelone parallèle aux célèbres Ramblas. Entre ces deux voies, très larges, une multitude de rues étroites, obscures et sales forment le Barrio Chino). Accroupis, ils organisaient des jeux..."(page 38). Un peu plus loin,page 63, le narrateur revient à ce lieu cardinal de la capitale catalane, où règne le proxénétisme : "Un jour que je l'attendais dans un bar du Parallelo (ce bar était alors le lieu de rendez-vous de tous les repris de justice français : barbeaux, voleurs, escrocs, évadés du bagne ou des prisons de France....) Stilitano s'apporta...
Prostitution, empire des macs, puis description des vols et petits larcins dans les églises et les magasins : "Nous décidâmes de cambrioler une boutique...Nous entrâmes dans un des nombreux bazars de Barcelone où l'on tient rayons de quincaillerie; dans le dialogue des compères, le narrateur utilise, au lieu du mot français "observer, regarder", un néologisme formé à partir du castillan "mirar" : "Tu mires.", détail montrant l'imprégnation de l'auteur dans l'univers espagnol.
Les évocations des ramblas, des "tapettes" de la cour des miracles, de la prison de Montjuich (page 65) sont répétitives, le narrateur insistant sur les aspects troubles et sordides de ces hommes pauvres, orphelins, voleurs et homosexuels, comme lui, pour aller vers le bien, la bonté et la beauté. Comme Baudelaire avec les "Fleurs du mal", inventer la beauté affective et esthétique à partir de la relation d'une vie consacrée au crime et au mal :
"Ce journal que j'écris n'est pas un délassement littéraire. A mesure que j'y progresse, ordonnant ce que ma vie passée me propose, à mesure que je m'obstine dans la rigueur de la composition, je me sens m'affermir dans la volonté d'utiliser, à des fins de vertus, mes misères d'autrefois. J'en éprouve le pouvoir..." (page 65)