Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
Ludovic Janvier -
J'ai acheté son livre "En mémoire du lit, brèves d'amour" (Gallimard) rien que pour son titre, très beau et suggestif... Puis en picorant des textes, à l'intérieur du volume, je suis tombé sur sa belle description de Perpignan. Ce texte n'a jamais été répertorié dans les anthologies parues sur la cité catalane, que ce soit dans celle publiée chez Mare Nostrum ou dans mes "Balades culturelles en Catalogne" (NPL) :
"J' y ai tourné plus qu'ailleurs, à Perpignan, dans une vie qui a l'air d'enfance, d'avant la parole, l'ennui en bouche... Est-ce à cause du ciel, si bleu l'hiver et si bleu souvent, à ras du labyrinthe au fond duquel vous marchez, la figure levée.
Est-ce l'effet de la musique et du chant diffus tout autour de La Réal et du quartier Saint-Jacques, en tout cas pour moi, musique et chants venus par des éclats de guitare et des raclements de gorge plus ou moins calo, lus ou moins arabes, ou des envois de transistors en giclées de rengaines euphoriques au-dessus de vous...
Ah, l'aurai-je montée, la rue de l'Anguille, en direction de la place du Puig, entre les enfants sales et les grosses femmes en tissus criards ou noirs, suivant l'âge, et toujours déçu, et toujours gourmand, par toutes les saisons, avec toujours la même envie de nommer ce marge instant de linge et de morves et de cuvettes et de cris...
J'ai du Perpignan dans la voix, sitôt que je me trouve endolori par un certain déchirement calme, dont ma matière est faite avec ça, l'attente, le chant, la crasse, le Carlitte et les corbières et les Albères rameutées, le vent dur, une saveur d'anchois, le bleu du ciel, quelques murs de briques rouges ou de galets en arrête de poisson, et les volets très hauts, vous obligeant à parler avec la voix de qui écoute une vacance.
Perpignan, la ville en France où la rue Voltaire fait suite à la rue de l'Ange. Perpignan lieu de la sardane à la tenace espérance, au tenace déchirement.
A propos de tenace espérance, c'est à Perpignan que, même si j'y traîne un bref moment, il se trouve toujours une passante pour me tordre le coeur... " (page 18, édition 1996)
Romancier, poète, essayiste, Ludovic Janvier est né en 1934 à Paris où il attend plus ou moins patiemment que les mots lui viennent. Promeneur en tous genres, il a publié des romans, des nouvelles. Il a obtenu le prix Goncourt de la nouvelle.
Des poèmes et deux essais remarqués sur Samuel Beckett. Ludovic Janvier a obtenu le prix de Poésie Charles Vildrac pour Doucement avec l’ange (L’arbalète/Gallimard ). Une poignée de monde (Gallimard 2006).
“Je m’acharne à croire aux mots, seulement voilà : on les croit faits pour désigner les choses, or ils désignent le manque d’elles. Leur lointain, si vous préférez. Et c’est ce lointain qui nous écarte de nous.”
Extrait de sa bibliographie
– La baigneuse, Gallimard 1968
– Face, Gallimard, 1974
– Naissance, Gallimard, 1984
– La mer à boire, Gallimard 1987
– Brèves d’amour, Gallimard, 1993
– En mémoire du lit, Gallimard, 1996
– Tue-le, Gallimard 2002
– Des rivières plein la voix, Gallimard 2004
A noter aussi deux essais sur Samuel Beckett, Pour Samuel Beckett (Editions de Minuit 1966), et Samuel Beckett par lui-même (Editions du Seuil 1969).