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Claude SIMON
***L'écriture imagée de Claude Simon au Centre Pompidou
LIVRES | Prix Nobel de littérature, Claude Simon composait ses romans en assemblant images et sensations venues de l'enfance ou de la guerre... La BPI du Centre Pompidou lui consacre une exposition.
(C) Le 28/09/2013 Nathalie Crom - Télérama n° 3324 -
Illustration de Claude Simon pour son roman Orion aveugle en 1970. © Collection particulière
Le 9 décembre 1985, invité comme tout lauréat du prix Nobel de littérature à prononcer un discours devant l'académie de Stockholm (1), Claude Simon – né il y a tout juste cent ans, le 10 octobre 1913 – prit la parole en commençant par s'amuser de la stupéfaction, l'incompréhension, voire la franche hostilité manifestées par certains médias français au moment de l'annonce, quelques mois plus tôt, de l'attribution de la prestigieuse récompense.
Citant, au passage, quelques-uns des qualificatifs récurrents employés contre lui : « difficile », « ennuyeux », « illisible », « confus »… Développant, plus sérieusement, les raisons qui l'avaient amené à refuser, comme une forme caduque et impuissante, le roman traditionnel, réaliste, linéaire : « Lorsque je me retrouve devant ma page blanche, je suis confronté à deux choses : d'une part le trouble magma d'émotions, de souvenirs, d'images qui se trouve en moi, d'autre part la langue, les mots que je vais chercher pour le dire, la syntaxe par laquelle ils vont être ordonnés et au sein de laquelle ils vont en quelque sorte se cristalliser. Et, tout de suite, un premier constat : c'est que l'on n'écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s'est passé avant le travail d'écrire, mais bien ce qui se produit (et cela dans tous les sens du terme) au cours de ce travail, au présent de celui-ci, et résulte, non pas du conflit entre le très vague projet initial et la langue, mais au contraire d'une symbiose entre les deux qui fait, du moins chez moi, que le résultat est infiniment plus riche que l'intention. »
Assemblage d'images
Venu de la peinture – à 20 ans, il avait étudié le dessin à l'académie d'André Lhote et se destinait à devenir peintre –, ami notamment de Miró, de Dubuffet, pratiquant aussi la photographie durant toute sa vie, Claude Simon ne concevait pas l'écriture romanesque comme une articulation de faits, d'événements, de moments constituant une intrigue. Plutôt et résolument comme un assemblage d'images, de fragments.
Une composition, qu'il inventait à la manière d'un peintre, tout à la fois impressionniste (je peins non pas ce que je vois, mais les impressions que suscitent en moi ce que je vois) et cubiste (j'essaie de « montrer en même temps un objet sous différents angles et sous divers aspects »). Parce que « la mémoire ne nous reconstitue jamais que des fragments de notre passé […] je ne comble pas les vides, ils demeurent comme autant de fragments ». Parce que, aussi, « dans la mémoire tout se situe sur le même plan : le dialogue, l'émotion, la vision coexistent. Ce que j'ai voulu, c'est forger une structure qui convienne à cette vision des choses, qui me permette de présenter les uns après les autres des éléments qui dans la réalité se superposent […] Ma phrase cherche à traduire cette contiguïté », expliquait-il dès 1960. Il avait alors 47 ans et venait de publier, aux Editions de Minuit de Jérôme Lindon, La Route des Flandres, après Le Vent (1957) et L'Herbe (1958). Considéré comme un écrivain du nouveau roman, un proche de Robbe-Grillet – « Ce que nous avions en commun, expliquera-t-il plus tard, c'était un même rejet du roman traditionnel et une estime réciproque. L'impression de se tenir les coudes, de ne pas être seul. »
Matériau morcelé
Dans La Route des Flandres, comme plus tard dans Histoire (1967), Leçon de choses (1975), Les Géorgiques (1981), L'Acacia (1989), Le Jardin des Plantes (1997) ou Le Tramway (2001), Claude Simon examine et agence entre eux, sans fin, les fragments de cette mémoire personnelle et familiale. Il ressasse. Il assemble. Il y mêle de la fiction. Convaincu que « seul l'artiste (le peintre ou l'écrivain) donne forme à ce qui échappe à la perception commune », il compose et recompose, de livre en livre, ce matériau morcelé, fait d'images et de sensations, qui lui vient de l'enfance, de sa généalogie dans laquelle il creuse – la mort de son père lors de la Grande Guerre, alors que lui n'a que quelques mois ; le destin de sa mère, morte prématurément, elle aussi, celui de sa « tante Mie » ; mais aussi, dans Les Géorgiques, son plus grand livre peut-être, celui de son aïeul révolutionnaire et général d'Empire Lacombe-Saint-Michel… Matériau qui s'est enrichi des expériences de sa propre vie d'adulte : la guerre, surtout, à laquelle il a participé à 25 ans, en 1939-1940, dans l'est de la France, en tant que brigadier dans un régiment de dragons.
A la question « Qu'est-ce qu'écrire ? », Claude Simon répondait : « Travailler dans et par la langue. » Dans la continuité de Proust, Joyce, Kafka, Faulkner, par qui commence « la véritable littérature romanesque (disons – car j'ai horreur du mot "moderne" dont on a plus qu'abusé – la littérature vivante) ». Vingt ans après le Nobel, en 2006, il faisait son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade (2) , la collection patrimoniale des éditions Gallimard – il s'en était fallu de quelques mois pour que son nom s'inscrive sur la très élitiste liste des écrivains « pléiadisés » de leur vivant. Claude Simon était mort, le 6 juillet 2005, à 91 ans, enfin reconnu pour ce qu'il était : un des écrivains capitaux du XXe siècle.
Deux expo pour deux facettes de Claude Simon
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Manuscrit de “La Route des Flandres” (1960)
Les manuscrits de Claude Simon, dans lesquels souvent se mêlent le dessin et le texte, semblent illustrer cette réflexion de l’écrivain : « Aussi l’élaboration d’un livre revient-elle, dans mon cas, à collecter toutes les images que la vie et le langage m’apportent, et à les recomposer en un ensemble cohérent, à en faire un objet structuré. » Venu de la peinture, ami notamment de Joan Miró, de Jean Dubuffet, Claude Simon ne concevait pas l’écriture romanesque comme une articulation de faits, d’événements ou de moments constituant une intrigue linéaire, mais comme un assemblage d’images, de fragments, issus de sa mémoire : une composition, au sens pictural du terme, où l’imagination intervient peu, laissant toute la place au matériau autobiographique inlassablement ressassé.
Page de manuscrit à découvrir dans l'exposition Claude Simon. L’inépuisable chaos du monde, à la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 6 janvier 2014.
© Coll. Chancellerie des Universités de Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris
(1) Comme tous les livres de Claude Simon, Le Discours de Stockholm est paru aux éditions de Minuit. Certains de ses ouvrages (La Route des Flandres, L'Herbe, L'Acacia, Les Géorgiques, Le Tramway, Le Vent et Histoire) sont disponibles en poche, dans la collection « Double ».
(2) Œuvres, deux volumes établis par Alastair B. Duncan.
A voir
« Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde », exposition à la Bibliothèque publique d'information, Centre Pompidou, Paris 4e. Du 2 octobre 2013 au 6 janvier 2014. Tél. : 01 44 78 12 75.