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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

François Dumont, Ravel, Elne et Piano Classics

images-copie-25.jpeg   François Dumont


 

   Le jeune pianiste nous a fait l'honneur de venir à Elne, en juillet dernier, pour participer au festival de piano "Fortissimo" : un beau succès ! Puis F. Dumont est venu partager un verre après le spectacle : gentillesse et naturel de la part de ce virtuose qui a l'avenir devant lui ! 

 

Il vient d'enregistrer, avec le perfectionnisme qui le caractérise, l'opus complet pour piano de Ravel. Il s'explique lui-même : Ravel et l'interprétation...

 

Il apllique l'exigence du maître à la lettre "jouer, sans interpréter !"; on a pu reprocher à F. Dumont de se montrer trop respectueux (lire l'article dans Télérama du 28.08.2013, page 52 : "manque encore un zeste d'insolence.")... Le talent et le travail sont là; plus tard, bientôt sans doute, le recul, l'ironie, l'insolence ... (JPB)


 

François Dumont joue Ravel chez Piano Classics
François Dumont présente l'intégrale de la musique pour piano de Maurice Ravel, chez Piano Classics ! Un répertoire emblématique interprété de main de maître par l'un des meilleurs pianistes français actuels.


Ravel fascine par sa capacité peu commune à manier avec aisance différents idiomes musicaux, différents langages, différentes formes, tout en gardant pour chacun d'eux une signature sonore bien à lui.

Ainsi, dans « Le Tombeau de Couperin», la concentration de l'écriture pianistique sur une tessiture réduite du clavier, l'utilisation intensive d'ornements, l'économie de la forme et la référence explicite aux danses anciennes de la Suite Française sont autant d’éléments qui, réunis, distillent la saveur particulière de ce magnifique hommage aux grands clavecinistes français des XVIIe et XVIIIe siècles.

Il est par ailleurs difficile de croire qu'il s'agit du même compositeur qui écrit «Gaspard de la nuit ». De par sa virtuosité et sa volonté de repousser toujours plus loin les limites de la technique pianistique, ce cycle est directement influencé par l'écriture lisztienne. De fait, cette influence de Liszt se poursuit dans des pièces comme « Ondine », « Jeux d'eau » ou « Une barque sur l'océan », où Ravel développe le style inventé par Liszt dans « Les jeux d'eau de la villa d'Este», dans lequel les sonorités du piano semblent se métamorphoser en substance aquatique, avec ses incessants miroitements et ses infinis changements de couleurs.

Dans les « Miroirs », Ravel offre une utilisation des résonances (notamment dans les mouvements lents, « Oiseaux tristes »et « La vallée des cloches ») - comparable à la palette d'un peintre impressionniste. Ceci contraste fortement au sein du même recueil, avec les sonorités sèches de guitare et de castagnettes utilisées dans l'Alborada del Gracioso, une pièce authentiquement espagnole, avec ses imitations folkloriques et le « Cante jondo » de la partie centrale...

De même, les « Valses nobles et sentimentales», dont le titre est une allusion directe aux « Valses nobles» et « Valses sentimentales »de Schubert, illustrent la richesse de l’œuvre de Ravel de par leur écriture dans un style « de Salon »- mais ô combien raffiné est cet hommage ironique de Ravel à Vienne!

Ce qui fascine chez Ravel est la parfaite adéquation entre l'essence (ce qui est dit) et les moyens d’écriture utilisés pour le dire. En effet, Ravel brille aussi bien dans l'art d'écrire des Valses viennoises que des Suites Françaises, des fantasmagories lisztiennes, des rythmes folkloriques espagnols, des aquarelles aquatiques, des pantomimes de salon, des prières hébraïques, des fantaisies orientales ou du Jazz.

Quelle maîtrise de la composition, quelle richesse d'imagination! Aucun autre compositeur n'a été capable de parler autant de langues de manière si convaincante.

Pourtant, la vraie nature de Ravel semble se situer ailleurs. Son lyrisme secret nous touche d'une manière unique. Le fait que tant de personnes écoutent encore le « Boléro» dans le monde entier dénote une forte puissance d'attraction, un magnétisme inconnu, un étrange pouvoir de séduction intrinsèques à sa musique.
Au delà du masque de ces harmonies somptueuses, on devine la voix personnelle de Ravel, que je trouve bouleversante en son émouvante simplicité. Ses confessions les plus intimes sont dissimulées derrière une éblouissante profusion de détails, une incroyable richesse d'invention, un art hautement sophistiqué.

L'énigme de Ravel est loin d'être résolue. Ses contradictions sont multiples : il était lui-même un pianiste relativement limité, mais aucun autre compositeur n'a réussi à faire sonner l'instrument de manière aussi colorée et variée, avec son insolente virtuosité et son pianisme raffiné à l'extrême.
Il avait une aversion pour la froideur et la sécheresse des techniciens parfaits, des virtuoses vides de sens. Néanmoins, il déclara ne pas vouloir être « interprété » mais seulement « joué », souhaitant éviter tous les excès des « interprètes ». Cependant, si les tempi très rapides de Marguerite Long dans son Concerto en sol ne le perturbaient pas, car « avec [elle] on était sûr d'entendre toutes les notes » , de nombreuses biographies relatent pourtant ce fameux incident avec Toscanini, qui avait osé diriger le Boléro dans un tempo trop rapide.

La musique de Ravel peut être qualifiée sans aucun doute de « musique française », figurant probablement parmi les œuvres artistiques les plus originales, les plus typiques et les plus représentatives que la France ait produites. 
La structure chez Ravel est toujours clairement dessinée, concise et précise et utilise souvent de nombreuses formes anciennes (Sonatine, Menuet, Fugue, Prélude etc). Cependant, l'audace des harmonies, certaines textures étonnantes, son imagination fantastique sont tout sauf «classiques». 

Il fut un moderniste, un innovateur, revêtu d'un habit classique des plus élégants.

Au regard de ces contradictions, Ravel semble atteindre un délicat équilibre, un savant dosage entre cœur et raison. Sa musique parle aux sens aussi bien qu'à l'esprit, à l'intelligence tout autant qu'à l'intuition. Cela explique en partie pourquoi ses œuvres ne semblent jamais vieillir : elles gardent cette éternelle jeunesse, cette fraîcheur qui a le pouvoir de toujours nous surprendre et nous emmener dans des régions inconnues et féeriques.
La complexité de Ravel ne saurait être qualifiée de purement intellectuelle, sèche ou prétentieuse. Il s'agit plutôt d'une élégance de l'âme, une noblesse de sentiments, une secrète sensibilité que Ravel distille dans l'alchimie de ses harmonies. Sa musique respire l'innocence de l'enfance, elle contient une part indescriptible de magie. La constante référence à un passé révolu (dans le « Tombeau de Couperin » bien sûr, mais aussi dans de nombreuses autres pièces dont le nom est une danse ancienne) dénote une certaine nostalgie, un sentiment de douce amertume qui au détour d'une phrase vous saisit le cœur, par surprise. Ravel nous conte la faille de l'humain, la fragilité et l'innocence du paradis perdu de l'enfance. A ce titre, « L’enfant et les sortilèges » (son unique contribution à l'opéra) semble être une clef pour comprendre son œuvre toute entière. Chez Ravel, pas de débordement d’émotions : c'est souvent ce qui n'est pas dit mais seulement suggéré, implicite, qui est le plus fort et parfois le plus troublant.

La vie de Ravel s'est terminée en tragédie et je ressens ce sentiment tragique dans sa musique. Il ne s'agit nullement d'une tragédie grecque ou beethovénienne, mais plutôt du sentiment de la solitude humaine, son désespoir et son impuissance face à l'inexorable destin.
A mes yeux, même ses œuvres les plus brillantes et les plus populaires (je pense au Boléro ou à l'Alborada del Gracioso) comportent une facette tragique, ans parler du sombre « Concerto pour la main gauche » ou de « La Valse », œuvre quasi autodestructrice.

Un orchestrateur de génie, un esthète aux milles couleurs, tel était Ravel.
Il a transcrit pour orchestre un grand nombre de ses œuvres pour piano de manière souvent spectaculaire, même si, à mon sens, la version originale reste plus convaincante et personnelle.

La beauté de son message, les subtils parfums de l'essence ravélienne stimulent notre imaginaire.
Le rêve de sa musique inspire l'auditeur vers toujours plus de curiosité, de culture et de sensibilité.

(c) François Dumont
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