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Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.

Itinéraires culturels européens (6) - Les chemins de l'exil, Paco Ibanez

images-1-copie-8.jpeg    Paco Ibanez, Carcassonne, juillet 1980 -

   Entretien publié dans "Vous avez la mémoire courte", éditions du Chiendent, 1981 - Merci à M. Xavier D'Arthuis. (C) Le Chiendent.

 

Paco Ibañez 

Chemins de l'exil

 

« Quand les fascistes ont pris Barcelone, mon père - qui avait eu des responsabilités dans les Jeunesses Anarchistes - a suivi lexode avec tous ceux qui, comme lui, étaient menacés. Avec ma mère, ma soeur et mon frère, on est allés vivre chez une tante, dans une ferme de San Sebastian, au Pays Basque. Lobsession permanente, cétait de partir en France rejoindre le père, trouver assez dargent pour payer un passeur. Ce fut pendant des années comme une vie provisoire, un purgatoire. Nous étions là à attendre, dans lantichambre de la France, la vraie vie était ailleurs. Jai passé mon enfance en évadé... 

Un jour, avec un homme qui connaissait un passage à gué sur la Bidasoa, nous sommes allés à Irun pour reconnaître le terrain. Pour la première fois, jai aperçu la France, sur lautre rive du fleuve : pour moi, le paradis était de lautre côté. Tout ce qui bougeait là-bas était vivant. Le bon côté de la vie, le paradis, cétait lautre côté du fleuve. Une fois de plus, le voyage a été reporté ... Nous étions toujours en train de faire des préparatifs, cétait toujours « le mois prochain ». Nous étions comme dans la nacelle dun ballon quon gonfle, quon gonfle... et qui refuse obstinément de décoller.

Enfin, au mois daoût 1948, on est passés, avec un guide, par la montagne. Partis vers 5 heures, laprès-midi, nous avons marché jusquau lever du jour, en silence, plaqués au sol à la moindre alerte, et nous avons franchi ce qui me sembla être une infinité de sommets et de vallées. Soudain, lhomme qui nous accompagnait a dit : « Estamos en Francia ». Il faisait encore nuit ; jai senti que cette ligne qui nexiste pas, la frontière, était derrière nous. Je lai sentie presque physiquement. Nous avons continué à marcher en nous guidant au bruit dun ruisseau. Arrivé au sommet dune colline, jai vu au loin une lumière qui sallumait et séteignait : cétait le phare de Biarritz !

A Perpignan, cétait un paradis aux couleurs assez sombres, mais on était bien parce quon était tous ensemble. Mon père avait un atelier débénisterie dans un passage, près de la rue des Augustins, et toute la famille vivait entassée dans une seule pièce, impasse des Amandiers ; la vie commençait vraiment, mais il ma fallu passer dautres frontières ... 

Le premier dimanche, jai demandé si on devait aller à la messe comme au Pays Basque. Mon père sest contenté de hausser les épaules et de sourire : sans mot dire, il mavait fait passer la frontière de la religion. 

Il y a une autre frontière plus longue, plus difficile à franchir, celle de létranger, la notion imbécile d’« étranger ». Combien de fois nai-je entendu pour un incident avec les voisins, une dispute de gosses : « Espagnol de merde ! Tu viens bouffer notre pain... ». Ça renforce le sentiment de lexil, le besoin de vivre en vase clos, entre espagnols. Lintégration ne sen fait que plus lentement. 

Cette intégration se fait tout de même, progressivement, mais même alors tu te sens manchot ou cul de jatte parce que tu es politiquement un mutilé, toujours en sursis de papiers, de carte de séjour, dautorisations. Tu as le sentiment de navoir aucune prise sur les événements du pays où tu vis. Ça crée une mentalité différente de celui qui peut crier à haute voix.

Les anarchistes exilés à Perpignan se réunissaient souvent dans latelier de mon père. Ils continuaient à militer, à refaire la guerre dEspagne, la révolution, le monde... Leurs souvenirs ressemblaient déjà aux histoires danciens combattants. Jécoutais, avidement, mais je sentais bien que tout ça cétait fini... 


En évoquant leurs souvenirs du camp dArgelès, ils racontaient souvent une histoire : chaque jour, un réfugié faisait sa « valise » - quatre bouts de planches cloués entre eux - et annonçait quil partait « en Amérique ». Il entrait dans leau et marchait jusquà ce que leau lui arrive aux aisselles, tenant sa drôle de valise en lair pour ne pas la mouiller. Arrivé là, il regagnait la plage. Cétait devenu une sorte de cérémonial, un rituel : à chaque départ, les copains se réunissaient autour de lui sur la plage, pour lui dire au revoir et lui souhaiter bon voyage. Et puis un jour, il a continué à avancer dans la mer et il nest pas revenu. Peut-être bien quil connaissait vraiment un pont ... ou un tunnel.

Il y a une autre forme dexil encore plus terrible, cest quand tu reviens dans ton pays. Sentir que tu es étranger chez toi, à cheval entre deux frontières, entre deux cultures. Dun côté les valeurs acquises durant lenfance, de lautre celles reçues ailleurs. Mes racines sont là où je suis né, à Valencia. Quoi quil arrive, le premier air que tu as respiré, le premier vent qui ta effleuré la peau, tu lui appartiens. Mais en Espagne comme en France, on me regarde comme un étranger. Je suis un exilé permanent, pour toujours, doté dune égale capacité dintégrer les valeurs françaises et espagnoles ; mais cest un sort que tu nacceptes jamais. Pour moi, exiger quil n’y ait pas de frontières, cest une revendication désespérée, totale. 


Cest une aventure personnelle, mais si ce nétait que ça, par pudeur, je nen parlerais pas, je ne chanterais pas pour le dire. Des millions dhommes vivent la même aventure. Le poème de Cernuda, « Un español habla de su tierra », ça peut être aussi bien un chilien, un argentin, un afghan... Lexil est une maladie secrétée par lhistoire et la raison dEtat. Lexil, cest une prison ».

 

Entretien avec Paco Ibañez - Carcassonne, juillet 1980, publié dans le livre « Vous avez la mémoire courte » - Editions du Chiendent - 1981 

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N
Un texte bouleversant que je ne connaissais pas ; merci de l'avoir retranscrit pour les lecteurs de ton blog. Amicalement
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Q
URGENT A J-P. B. LE RDV POUR DEMAIN AU CATALOGNE A 16 H 30 NE TIENT PLUS. RDV MEDICAL A 17 H. NE PEUT-On LE REPORTER A JEUDI OU VENDREDI MEME LIEU, MEME HEURE. DESOLE (JE N'AI PAS TON "PHONE".<br /> CORDIALEMENT J. QUERALT.
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