Jardin et poésie
tout un programme
Il faut cultiver son jardin
Cette sentence - dans l'acception que lui ont donnée Leibnitz et plus tard Voltaire, il y a plus de trois siècles prend une certaine résonance dans une société où le bitume et l'espace urbain ont graduellement remplacé les vertes prairies et les champs régulièrement moissonnés.
Néanmoins, le jardin est devenu peu à peu un lieu privilégié, intime, où lindividu se ressource.
Si lon parle de retrouver ses racines, on sait qu'en le for intérieur de tout un chacun, frémit et survit un jardin secret, un espace privé, inviolé dont l'entrée est interdite aux autres.
Verlaine, dans un poème fameux n'a-t-il pas « poussé la porte étroite qui chancelle » ? Ronsard n'a-t-il pas prié Hélène dans un sonnet mémorable de « cueillir dès aujourdhui les roses de la vie » ? Corneille n'a-t-il pas lancé à l'endroit de Marquise « le temps saura faner vos roses comme il a ridé mon front ? ».
Malherbe n'a-t-il pas écrit à Monsieur Du Périer à la mort de sa fille « Car elle était du monde où les plus belles choses ont le pire destin. Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace dun matin...»
Bref les fleurs ont peu à peu gagné en force jusqu'à obtenir un langage
la pensée c'est le souvenir
la rose la femme aimée
On comprend aisément que dans notre civilisation judéo-chrétienne, les fleurs ont acquis une force de symbole indéniable qui reste attachée à l'homme et à la femme dans ce qu'ils ont de plus viscéral.
La pensée antique, fondée sur les espaces a tout naturellement légué aux citadins et aux rurbains le jardin comme lieu privilégié, représentatif de ce que l'on peut être ou de ce que l'on souhaite devenir.
Un souci d'ordre, d'esthétique, visuelle, sensorielle, intuitive vient régénérer un monde de progrès dans lequel le jardin est plus que jamais un lieu de vie, de préservation de soi et de liberté.
Il convient d'honorer tous les jardiniers qui patiemment, humblement et sûrement nous communiquent une image de leur sérénité, de leur éclat et de la beauté de ce qui est intrinsèquement fragile : une fleur, un pétale de rose
mais quelle leçon face à l'Eternité.
« Or des vergers fleuris se figeaient en arrière Les pétales tombés des cerisiers de mai Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée Ses pétales flétris sont comme ses paupières » Guillaume Apollinaire (Poème « Mai »)
Toute une leçon pour conclure que plus que jamais dans un univers en mouvement perpétuel et en bouleversement
cultiver son jardin constitue une évidente et impérieuse nécessité
Jean Iglesis