Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
Jordi Vidal (à gauche) avec Josep Maria Martin (nov. 2009)
L'ange de l'Histoire, film de J. Vidal
Un événement, hier soir, au Centre d'art contemporain, dans la petite salle de cinéma, bien remplie par un public motivé, qui resta jusqu'au bout de l'heure quarante destinée à mieux connaître W.Benjamin. Le spectateur aurait pu être submergé par ce flot de photos d'archives et de films d'époque, orchestré par la voix de J. Vidal, lisant les textes majeurs de l'auteur d'Enfance berlinoise.
Flots d'images, flux de musique répétitive et obsédante saturant le cerveau et l'attention du regardeur, mais montrant bien le contexte du XIXème siècle, avec l'essor du capitalisme triomphant (urbanisme parisien d'Haussman et répression de la Commune, passages parisiens comme autant de temples de la marchandise...)
Or le public demeura, stoïque, et il eut raison ! En effet, ce long-métrage, non de fiction, mais plutôt documentaire, qui laisse cependant au cinéaste la liberté de créer, de choisir les mots, de monter les images, de trouver un rythme, de donner une vision personnelle d'une oeuvre littéraire et philosophique, ...Oeuvre filmique offrant une perspective optimiste de l'avenir pourtant noir, en ne donnant pas à voir, par exemple, des images de violence.
Le film s'organise autour des grands thèmes benjaminiens et de l'oeuvre centrale "Thèses sur l'Histoire, Paris, capitale..." Le nom, l'influence du surréalisme et du "Paysan de Paris", la citation, la flânerie, la poésie de Baudelaire, la condition du pauvre (photos d'Atget), l'influence de Fourier et de Blanqui, la critique de la social-démocratie, l'objet d'usage, l'omniprésence du marché avec la naissance des grands magasins (bien décrite par Zola)...
Le spectateur-flâneur aurait voulu trouver l'accalmie pour réfléchir, mais le cinéma nous emporte et ne revient pas en arrière, ne se retourne pas, lui, sur le passé de ses séquences précédentes...
WB, lui, pourtant, ne voulait que regarder, tel l'ange de l'Histoire de Paul Klee, le passé : le futur n'est gros que de tempêtes et de catastrophes. Le passé n'est pas fuite, il peut être leçon d'Histoire, surtout il nous montre que l'histoire des hommes est celle des guerres, des malheurs des peuples, de tous ces anonymes qui ont construit les beautés et les monuments du monde et sont morts pour la gloire de quelques puissants.
Ce passé est présent dans le présent qui, à chaque instant, est promesse messianique, possibilité de révolution. En effet, partagé entre pensée juive et marxisme hétérodoxe, WB. croit en la perspective de changement radical, à la fin de la bourgeoisie et à la mort du capitalisme. La pire cata, en effet, pour lui (et pour nous) serait que tout continue comme avant ! Que rien, donc, ne change !
Jordi Vidal nous transmet ce message essentiel et cet espoir de transformation radicale : s'il est en charge de la culture à Perpignan, ce n'est pas pour discourir, inaugurer un festival ou pisser sur les chrysanthèmes...C'est pour changer la cité catalane, noyautée par la crise, la pauvreté et la pensée haineuse de certains professionnel de la séduction politicienne !
D'ailleurs, en reprenant le terme de "fantasmagorie" dans son film, au fil des extraits choisis, J.Vidal montre bien la démonstration de cet intellectuel inclassable : la pensée libérale veut séduire et attire le peuple par la mode, les objets inutiles, les lumières de la ville, les corps prostitués, l'écume éphémère du présent...
De ce film dense et remarquable, on ressort sonné : ce que l'on vient de revivre, ce XIXème siècle de l'argent et du colonialisme des têtes et des corps, on le retrouve au présent, quand on sort dans la rue : chômage, pauvreté, austérité, peur d'un futur sans avenir, avancée des chemises brunes... Rien n'a changé et c'est même la régression. La cata est là, puisque que le passé est, à nos pieds, dans le présent.
J'ai cependant regretté que le contexte de 1933 (montée du nazisme, WB quitte Berlin) et de 1940 (le pétainisme, la France envahie : WB quitte Paris, puis veut quitter la France, par l'Espagne et meurt à Portbou) ne soit pas montré...
Surtout que l'un des sources de l'oeuvre, le judaïsme, ne soit pas développé, avec la prédestination du nom de la naissance, avec la figure de l'ange...
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Jordi Vidal, né à Toulouse en1950, a été professeur à l'École supérieure d'art (HEART, à Perpignan), directeur de la culture à la mairie de Perpignan depuis septembre 2012, fils et petit-fils d'anarcho-syndicalistes espagnols.
Il vient vivre à Perpignan en 2001 après avoir grandi à Paris.
Jordi Vidal a travaillé dans l’édition, la télévision pour enfants. Il a été conférencier et a donné des cours à l’Ecole des Beaux arts de Perpignan avant d’en devenir le directeur. Jordi Vidal envisage d’organiser à Perpignan, en 2013, une biennale d’art contemporain de portée internationale.
Au nom des Lumières, dont il se réclame, il dénonce les stéréotypes et les effets politiques de l'idéologie postmoderne, « un monde où l'expérimentation et la raison n'ont plus cours ; un monde où les conquêtes de la science seront ravalées au rang du récit et du mythe ».
Œuvres:
À paraître prochainement
Exposition