Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
La peinture
Le piano noir est seul dans la cour d'honneur. On vient de l'accorder sur la scène. Parmi les chaises rouges et les remparts ocre, il attend la nuit. Et dix doigts de velours, qui feront chanter les vignes dans leur amphithéâtre.
L'après-midi est consacré à la peinture et aux expositions sur l'artisanat catalan, la voile latine, la vendange "a burro de coll", le chêne alzina. Dans un proverbe, le souvenir de Ludovic Massé : "Vendanges par temps sec et tu cueilleras du vin pur."
Entre le drapeau rouge et or, et le linceul du roi Sanche, le Château est un dédale qui, pourtant, s'ouvre mille fois sur les paysages de Collioure : perspectives sur les anses bleues, sur les façades roses, les pins, les bateaux, les hauteurs du vin... Les tours disent leur histoire. Les douves attendent la jeunesse de la nui qui danse, et les oubliettes feraient des caves parfaites...
Mais il faut aller à l'essentiel. La peinture. Les salles déroulent des deux Catalognes : Balbino Giner, Camille Descossy, Joan Ponç, Modest Cuixart...Dali est célébré par San Martin Felez, qui s'inspire de Velázquez. Montserrat Caballé est mythifiée grâce à Montserrat Torres. Et beaucoup de visages non élucidés... Je retiendrai les formes anonymes qui s'immobilisent dans la glaise des couleurs : femme au miroir de Garcia-Fons, la servante Rosina de dos, ou la secrète personne, la non-personne, l'abstraction en jaune et bleu de Grau-Garriga...
Plus haut, Michel Brigand peint des natures mortes au doux pastel et des nus endormis, ou lascifs, suggérant un Balthus moins pervers... Et mille fenêtres avec ou sans personnage : volets mi-clos, jalousies, peinture voyeuse. Le cadre est une ouverture vers la virtualité de l'invention totale... Mais les plus beaux tableaux ne sont-ils pas ceux que contiennent les fenêtres et les baies vitrées du Château : la mer et les places, la mer et les vignobles, le va et vient du monde, le mouvement de la vie...
Le quotidien est peinture et fiction !
Eté
Encore un été, le bel été des Méditerranées. La terrasse au soleil, le toit dans le ciel. Peindre les briques bleues, les façades diaprées, les galets rouges, en essayant de ravaler les paliers de la parole.
Demeurer dans les vignes altières, près des châteaux voyeurs, qui en ont tant vu, durant la longue histoire des frontières. SE blottir entre les sarments, écouter leur récit sur notre patiente généalogie...
Sur une fine ligne de crête, je vois quelques cyprès discrets, à l'ombre verticale du fort gris et massif, comme harponné, cette nuit, par la demi-lune...
La vague des maisons monte, irrésistible rumeur de fête, vers les collines dont les verts espaliers tentent toujours de repousser des Babels de béton...
Tuile après tuile, l'homme patient et noir de soleil, échafaude un idéal à court terme : à peine sait-il s'inventer sa coquille d'égoïste escargot.
Les tuiles partout, et la mer à trouver, à hauteur de nos bouches, à hauteur de nos rêves...
La pluie
Elle a crépité toute la nuit ente Massane et Oli, mettant à sac les collines, à feu leurs jambes de sarments. Eaux verticales qui occupèrent l'entier silence de l'obscurité des criques, des sentiers, des douves, de la placette...
Les éclairs fauves de l'étrange été illuminent le ciel de poulpe. Ciel d'un noir banyuls tellement que les sarments d'Ambeille ont sonné un feu de fin du monde, de décadence géographique, comme une nostalgie de colline Matisse...
Il pleuvait des cordes, des filins, des milliers d'amarres, à ensommeiller pour toujours toutes les barques sang et muscat !
La pluie a mouillé village et château. L'église est devenue encore plus marine : étrange spectacle de deux eaux se mêlant. L'insolente qui pique et vous mordille le dos. L'autre, épaisse, massive, profonde, dont les longues strates horizontales se moquent bien du monde d'en haut... La pluie a tapé sur les ardoises, jusqu'au soleil théorique. Puis, au matin, plus rien. L'homme s'est encore une fois levé. Le vent a séché la pierre, la tuile, la feuille laquée du laurier. La tramontane s'est levée : pour une fois, on elle est la bienvenue.
Le soleil paracheva la création...
L'aube
A l'aube, le soleil est rouge sur les tuiles canal du faubourg. L'incendie, sur la me étonnée, est si fort que toute la côte, contemplée des fières vignes du Rimbaud et de Consolation, semble criblée de feux...
Là-bas, le cap d'Agde repose dans ses sables. Il semble épargné, mais Canet est en flammes. Les longues baies de Capestang répercutent le soleil, et c'est un peu l'impudique fleur rose des miroirs d'Odeillo.