Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
Jacquie Martin-Horwitz (photo jean-pierre bonnel)
... Les matériaux récupérés ici sont nés du hasard, ou de la chance : bois, liège, marbre des Pyrénées ou blanc de Cararre, albâtre blanc des Charentes, marbre dit "fleur de pêche" de Brignoles, onyx d’Algérie, stéatite du Kenya ou du Zimbabwe, gypse de Maurienne, calcaire de Carenac …ou , encore, serpentine de Cose, marbre noir de Belgique, granit de Perros Guirec… Pierres rares, ou pierres des chemins creux, des carrières désaffectées…calcaire marbrier, pierre volcanique de Volvic, grès de Fontainebleau, la liste est infinie, les variétés insoupçonnables…
L'objet deviendra peut-être oeuvre d'art, la pierre travaillée est mise en forme, se découvre une enveloppe nouvelle, pour un destin de décoration ou de méditation...
En ce moment, Jacquie travaille des écorces, des ceps de vigne, des morceaux d’acajou, de chêne, de wengué, de cyprès ou de fructier, des bois flottés ou des ceps de vigne, des morceaux de liège ou des écorces de peupliers... Bois trouvés, bois offerts, compagnons de balades, pièces rejetés, abandonnées par les éléments, une nature en déshérence rapatriée sous le toit de l’atelier…
Les outils reposent sur la longue table : massettes, pointes, rifloirs ciseaux, gravelets (ciseaux à dents), gouges, aux pointes en acier ou en tungstène...Pour rendre la pierre lisse, il s'agit de travailler avec des râpes et du papier de verre, es éponges spéciales aux différents grains; pour finir et rendre l'aspect brillant et lisse, Jacquie utilise des papiers à eaux et des pâte à polir pour imperméabiliser. Le bois se finit avec la cire et cette fameuse pâte à polir, espèce de potion magique !
"Bois ou pierre, ce n'est pas plus dur : il faut écouter la pierre et la respecter !"
J. Martin me raconte l'anecdote de ce gamin, demandant à Picasso : "Comment tu savais que le cheval était dans la pierre..?"
Apparaissent plus tard, après les heures de labeur, des figures anthropomorphiques, des visages... Et des abstractions. Celles-ci sont plus près du matériau, du brut, du minéral, de la forme première. Mais ce n'est pas sûr : il est peut-être plus difficile de montrer le non-figuration et de l'imposer !
Les formes se trouvaient dans la matière. L'artiste les a fait surgir. Faire émerger la mémoire de la terre, cette éternité contenue dans les fossiles, par exemple...
"La pierre a un destin. Je suis aux limites de la pierre, je garde le volume d'origine.", explique Jacquie, face au marbre rouge des Pyrénées qui a donné naissance à un profil de cheval. Dans la pierre, j'installe quelque chose." Il est difficile d'expliquer l'oeuvre, le projet, surtout quand l'absence de perspective est au début du geste...
Avec une serpentine, elle a touché la matière au minimum; elle a gardé la grande partie centrale de pierre brute. Il s'agit de dire le maximum de choses dans le minimum de mots. L'objet sculpté ne doit pas être bavard, il doit surtout suggérer !
Jacquie n'a pas de formation spéciale en sculptures; elle fut un temps enseignante, prof de français dans des classes d'adaptation, pour adolescents immigrés. Puis elle prit une année sabbatique et travailla dans la section d'arts graphiques à Vincennes (Université Paris VIII); pendant une année, elle travaille dans un atelier de gravure avec Zwi Milshtein; dans diverses municipalités, elle découvre la peinture, s'initie à l'encre de Chine.
Enfin, dans un atelier de modelage, on lui dit qu'elle pourrait travailler la pierre; un copain lui apprend qu'il a trouvé un atelier pour la taille de pierre.
Avant, cela ne lui disait rien...
Elle apprend donc sur place pendant plus de dix ans, à Belleville, avec une élève formée par René Coutelle, président de la maison des artistes; cet homme intransigeant a formé des générations de sculpteurs...
A présent Jacquie a vingt ans de sculpture au creux des mains, dans les muscles du dos, des mains...
"Quand les sculptures sont abstraites, on est trop proche du corps humain et des trois dimensions, proche, surtout, des formes féminines..." L’artiste veut dire qu’elle a le sentiment que les gens ont peur de voir leur corps, qu’ils sont gênés en présence de certaines oeuvres abstraites…Alors que l’abstraction en peinture est moins gênante : devant des fesses, des seins, une forme concrète, le public s’y retrouve, il connaît… Il lui semble que l’approche des formes non-figuratives interpelle trop…
L'artiste est guidée, déterminée par la forme de la pierre. Elle ne veut pas aller au-delà de la pierre d'origine, de la forme imposée par le hasard qui lui a proposé la rencontre avec la matière...
Elle me montre ce qu'il est advenu d'un cube de bois : elle a réussi à donner vie à une tête :
"Quand le dessin est déjà dans la pierre, ou dans le bois, on ne va pas vers la facilité, on va vers l'urgence !"
J’aime bien quand Jacquie m’énonce quelques belles formules, comme : Il faut écouter la pierre…Il n’y a pas de pierre noble… Etre aux pieds de la pierre, leçon d’humilité… Les sculptures ne parlent pas, mais elles ne sont pas sourdes… »
La "sculpteur", comme elle se nomme -je préfère sculptrice"- va repartir à Paris. Ceux qui ont goûté à la capitale, à ses arts, galeries, galeries, événements, rencontres insolites…ne peuvent s'en passer ! Là, autre lieu, autre atelier, d'autres pierres et bois à travailler, à métamorphoser…
Puis, dans le rituel des allers et venues, ce sera de nouveau Collioure, le haut quartier, l'atelier sur l'horizon d'une mer qui, elle, demeure là, entre les proches récifs et un pourtour invisible et bien lointain…
Jean-Pierre Bonnel - juin 2014 -