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1. Céret
Sa tournée en Roussilon, en passant par Céret et Perpignan (gare et Sant Vicens) fut un véritable triomphe ! Je n'étais, à cette époque, qu'un ado aculturé et introverti : mon témoignage est surtout de seconde main, même si j'ai pu aller applaudir l'artiste dans mon quartier, Saint-Jean, face à la montre, peu molle et monumentale, du magasin Ducommun, le mal nommé en cette occasion et avec un personnage aussi hors-normes...
L'artiste de Port-Lligat fut d'abord reçu dans la capitale de Vallespir avec tous les égards : c'est par les plus grandes instances qu'il fut honoré : le maître ne qualifia pas Céret de la banale périphrase, devenue slogan touristique : "la capitale de la cerise" et encore moins de l'expression picturale, trop marquée à son goût par les séjours de Picasso: "La Mecque du Cubisme". Non ! Céret fut nommée, de façon musicale, on ne sait trop pour quelle raison ( peut-être à cause de la venue ancienne, ici, de Déodat de Séverac, ou d'un souvenir lointain du "chant des oiseaux" d'un Casals pourtant pradéen...) de "super-rossignolesque"...
Le Maître, accompagné de Gala et d'une belle escorte d'admirateurs et de curieux, apparut en son costume d'Amiral de la Méditerranée : costume étincelant, d'un blanc uni agrémenté de boutons dorés; et une canne à la manière de Victor Hugo conféraient encore plus de noblesse à ce portrait; seules, les bigatanes, rendaient le personnage plus modeste : le peintre tient beaucoup - malgré son long exil glorieux en Amérique et sa gloire intersidérale - à afficher son enracinement catalan ! Le couple, du haut de sa rutilante calèche, menait ce caravanserail pittoresque composé des musiciens de la fanfare locale, de la cobla costumée, des danseurs du "Foment de la sardane".
Des mules ornées de pompons rouges, harnachées de cuivres, aveuglants sous les reflets du soleil, et devenues ivres du bruit ininterrompu de leurs grelots obsédants, donnaient le la à la grande fête et ouvrait le bal de l'art à travers les rues ombragées de Céret, ville d'eaux et de platanes...
Dali, saluant et lançant de bons mots, en réponse aux nombreux vivats d'une foule émerveillée par ce carnaval déjanté de fin d'été, se plia avec patience à la longue traversée de la cité, parée de drapeaux, de flonflons, de banderoles, d'arcades de verdure et d'enfants déguisés en papillons...
Il fallut aller au pas, sous la chaleur et le poids des costumes, jusqu'au coeur de la festivité, place des Arcades, munie, pour la circonstance, d'un socle inattendu, où se dressait un monumental rhinocéros ! Là, les discours et les remerciements s'enchaînèrent, le maire, M. Sageloly, invitant le Maître à emprunter un souterrain inédit, situé sous les locaux du syndicat d'initiative : en effet, quelle belle initiative ! Dali a été confronté à un squelette énorme : ce tas d'os se métamorphosé vite pour donner naissance à une adorable petite fille, candide, à l'image de ses vêtements; ce passage de la mort à la vie devait symboliser la résurrection dalinesque !!!
Que d'émotions ! Pour les estomper et retrouver la verve des déclarations surréalistes, ponctuées de consonnes roulantes, il fallait bien un cocktail, que dis-je, un banquet, en plein coeur des arènes : le spectacle n'était pas voué aux toros, mais à la clobla sardaniste, que le public immense n'écoutait que d'une oreille, s'intéressant plutôt au repas pantagruélique offert à l'artiste et à son égérie !
Les meilleurs moments ont une fin, et Dali, tout à fait rassasié, quitta Céret, avec ses proches et une suite complice et bien organisée...