La fenêtre est un motif d'attente; ce moment d'évasion, d'expectative est pause dans le récit, accoudement sur le rebord de la fenêtre, sur la margelle de l'ouverture de l'espace intime sur le monde collectif.
Arrêt de la narration, moment de description, d'explication, de monologue intérieur. Le personnage attendu et l'événement espéré surviendront plus tard...La fenêtre autorise la réflexion, le recul, le flux de la conscience... Il peut dresser un bilan, faire une analyse de soi-même ou de la situation. C'est un moment privilégié permettant une vue intérieure : fuite ou dépaysement dans le décor, le paysage, la ville, la campagne...
La fenêtre est l'occasion d'offrir au lecteur un spectacle; c'est un tableau à contempler, et le héros, avec le lecteur, est placé dans la posture du spectateur?. La fenêtre donne naissance à une séance de pose : le héros prend la pose, le lecteur se cale dans son fauteuil : le narrateur peut alors travailler, dans le calme, le silence, à sa table. Le modèle n'est pas un homme ou une femme, mais la nature ou la ville. La fenêtre a deux rôles contradictoires : l'ouverture et la fermeture !Cependant, dans la fiction, romanesque ou picturale, elle est ouverture sur une perspective inconnue, regard vers un abîme inexploré...
La fenêtre constitue un morceau de bravoure et surtout un morceau de la réalité : un extrait du monde; elle est l'intercesseur entre l'homme, ses secrets, et le monde, l'extériorité. Elle permet le spectacle du monde.
* Les fenêtres de Matisse, autant de tableaux dans le tableau. Mises en abyme. "La sieste" : la mer vue du Faubourg. Mur de l'atelier aux cinq fenêtres. La porte-fenêtre ouverte, noire de 1914. (Voir "Moi, Matisse à Collioure", Balzac éditeur, 2005).
Zola a opéré un renversement : c'est l'oeuvre d'art qui est une fenêtre ouverte sur l'acte créatif; il est une mise en scène, composée de vérité, de réalisme et d'illusion, de trompe-l'oeil. La toile est un miroir; l'encadrement de la fenêtre offre la matérialité du cadre d'un tableau qui introduit à un paysage et suggère une vie plus lointaine.
La fenêtre est encore une incitation à la rêverie; ainsi Emma Bovary, après l'invitation au château, à Tostes : le bal fini, l'héroïne ouvre la fenêtre et s'accoude, le temps de la rêverie peut commencer. Dans "Une vie", la fenêtre est aussi sortie de la réalité, compensation dans la vie monotone de Jeanne; cependant les perspectives de la pauvre femme sont mince, loin des utopies romanesques de l'épouse du pharmacien...La servante, grâce à sa modeste ouverture, se remémore des souvenirs d'enfance; sa vue est rétrospective plus que prospective; le bonheur dans l'avenir lui est interdit !
* Fenêtres avec perspective vers les montagnes, dans le tableau de Ghirlandaio (Florence, 1490, portrait du vieillard atteint de rhinophyma, ou acné rosacée) et dans la toile de B.Luini (1485-1532) : "Salomé".