Création et information culturelle en Catalogne et... ailleurs.
"Anti-terrorist variety 2002" du Chinois Chen S.
L'installation venue du FRAC (1) occupe le couvent des Minimes, rue Rabelais, à Perpignan.
Le lieu devait être dévolu à un centre international de photojournalisme, c'est-à-dire aux photos de reporters qui, de par le monde, veulent montrer la "réalité" des conflits, des désastres, des pollutions, etc... Réalisme des images, crudité des photos, voilà ce que montre depuis trente ans "Visa pour l'image" dans la cité catalane.
De façon paradoxale, la machinerie de "Un monde invérifiable" veut montrer que l'information médiatique (journal télévisé, reportages sur les chaînes ou le net...) ne donne pas à voir la réalité, mais le "spectacle du monde": on s'installe devant l'étrange lucarne, à 20 heures, non pour apprendre, prendre conscience des malheurs de la Terre (but, en théorie, de "Visa pour l'image"), mais pour se distraire, visionner le film quotidien mondialisé, se laisser séduire de façon morbide par les "faits divers" que constituent les révolutions islamiques ou les accidents nucléaires au Japon...
Il s'agit là des productions d'une "société du spectacle", analysée et dénoncée depuis des décennies par les "Situationnistes". Le flux ininterrompu de l'information, le trop-plein de "nouvelles" et d'informations tue l'information : le téléspectateur est plongé dans la "distraction", au sens pascalien : il est détourné des vrais problèmes, chômage, crise organisée ou pas, avancée du racisme et du communautarisme...
L'installation du FRAC met l'accent sur les simulacres, étudiés en son temps par Jean Baudrillard. La réalité n'est pas le réel. Ce que nous voyons est-il authentique ou une illusion ? Derrière les masques que nous prenons pour vivre en société, au travail, dans la hiérarchie d'une entreprise, qui sommes-nous ? Socrate voulait déjà se "connaître", mais c'est une tâche immense...Par conséquent, pour connaître l'autre, notre ami, notre compagne ou notre supérieur, c'est encore plus difficile...Surtout quand certains endossent des vêtements ou bourquat pour mieux se cacher ou mieux nous observer...
Identité que l'on ne peut identifier, malgré les incessants contrôles d'identité de la police et des bureaucraties pour vérifier nos papiers, citoyens "normaux" ou basanés ou "sans-papiers".. !
Réalité irréelle, ou incomplète (déjà, l'artiste de Lascaux ne nous montre qu'une part du contexte où il vit : des bêtes, mais pas la femme ou sa compagne, pourquoi ? Machisme de l'homme préhistorique ?), réalité falsifiée souvent par les régimes dictatoriaux (personnages indésirables ôtés des photos officielles, sous Staline et consorts...)
Ces interrogations sur les illusions du réel et les manipulations de l'image, ce n'est pas nouveau : Walter Benjamin, avant les Situationnistes, qui l'ont pillé, ou Dali, s'intéressant aux illusions d'optique, à la stroboscopie (voir ses œuvres au musée de Figueres)...
Alors, l'exposition (ce n'est pas le mot qui convient : les mots, aussi, trahissent et ne disent pas le vrai ou le réel !) du couvent, lieu dévasté, fantomatique, pour un monde angoissé, qui se cherche, veut, selon le mot de Jordi Vidal, faire "entrer Perpignan dans la modernité"...
Enfin... Jordi vint (!) et 50 ans d'expositions "réalistes", à Perpignan - de peintres locaux, usant et abusant, de Bausil à Serge Fauchier, de la "représentation" réactionnaire ou du portrait conventionnel -, furent balayés ! Enfin, avec les trésors du Frac, l'avant-garde investit Perpignan, province attardée: la complémentarité nouvelle avec la Région fait venir un souffle nouveau : le conflit entre Bourquin et Alduy/Pujol serait éteint, le président de Région venant subventionner L'Archipel et ouvrir ses collections régionales...
Le public, très nombreux, hier mardi, fut lâché et livré à lui-même dans le labyrinthe des Minimes : on ne comprend pas tout de suite, ces "œuvres" contiennent une "thèse" (pas d'émotions, ou si peu: il faut comprendre et l'œuvre n'est pas "ouverte" car le visiteur ne peut prolonger l'objet montré); il fallait lire le fascicule offert à l'entrée, ou tenter de suivre Emmanuel Latreille, commentant pour un petit groupe d'intimes; il disait en fait ce qui était écrit sur les cartels. Il manquait un commissaire d'expo pour accompagner ces visiteurs désorientés ! Les discours officiels ne suffisent pas, loin de là...
Le dispositif est ambitieux, voire prétentieux : montrer les contradictions du présent, faire vivre une "image dialectique" qui met en cause les évidences du monde médiatique : or, tout est flou, duplice, incertain, à l'opposé des convictions mercantiles des imposteurs qui ont le pouvoir des images.
L'image et le mot ne sont pas à prendre "au pied de la lettre", on en est convaincu. Cependant la réalité existe bel et bien : celle des peuples massacrés, bombardés, celle de la mort atroce des individus piégés dans les tours du World Trade Center... Il s'agirait de rendre hommage à ces martyres au lieu de fabriquer l'illusion que tout est illusoire dans le circuit iconique et médiatique...
A ce propos, le jeu d'échecs de l'artiste chinois Chen Haoxiono, s'amusant des tours qui s'écartent pour éviter l'avion terroriste, nous met mal à l'aise, supprimant toute "morale" du dispositif proposé...
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(1)Fonds régional d'art contemporain - collection dans les réserves (le frac est un musée sans local) accessible en ligne sur le site www.fracir.org
Exposition du 10 octobre au 24 novembre 2012 : Œuvres du Frac LR : Mathieu K. Abonnenc, Tjeerd Alkema, Édouard Boyer, Maurizio Cattelan, Philippe Decrauzat, Simone Decker, Omer Fast, Pierre Huyghe, Rolf Julius, Jean-Pierre Khazem & Éric Duyckaerts, Ange Leccia, Hamid Maghraoui, Fiorenza Menini, Pipilotti Rist, Christian Robert-Tissot, Dario Robleto, Jean-Claude Ruggirello, Sarkis, Chen Shaoxiong, Taroop & Glabel, Grazia Toderi
Un monde invérifiable | Couvent des Minimes, Perpignan |