* Arcadie, catalanité, Méditerranée (exposition au musée de Céret - vernissage ce samedi 2 juillet 2016)
A partir de 1904, Perpignan quitte le corset qui l’enserre depuis des siècles.Sans entrave, elle réinvente un nouvel imaginaire (extraits)
Le méditerranéisme.
Renaissance culturelle et artistique. Dans les dernières années du XIXe siècle, Perpignan présente aux visiteurs l’aspect d’une « bourgade espagnole » avec ses rues étroites et ses murailles de style « majorquin ». Des airs ibériques qui séduisent les tenants d’un Art Romantique toujours enclin à s’émerveiller devant un passéisme pétri de cette « Espagne noire » chère à Théophile Gauthier.
Avec la destruction des remparts, un nouveau destin se dessine pour Perpignan. Des boulevards sont ouverts pour laisser place à une « ville moderne française ». Un nouvel élan porté par une bourgeoisie prospère permet une redéfinition profonde de l’ensemble de la vie perpignanaise. Une nouvelle génération d’artistes et d’écrivains s'organise pour revendiquer une nouvelle forme
Ces années sont celles de la lutte pour une décentralisation culturelle et la revendication d’un régionalisme artistique.
LA REvENdICAtIoN d’uN RéGIoNALIsmE ARtIstIquE
Albert Bausil et Louis Codet mettent en scène dans leurs romans la vie d’une ville de province tandis que des architectes comme Gustave Violet réagissent au modèle haussmannien en préconisant l’utilisation d’une architecture régionale. Dans les arts plastiques, des artistes comme Etienne Terrus ou Louis Bausil se forment dans le pleinairisme pour exprimer toute la force de la lumière méditerranéenne. Dans un même esprit, Aristide Maillol travaille à son chef-d’œuvre « Méditerranée » alors qu’Henry Muchart compose la Méditerranée, « Baigneuses au soleil ». La clarté devient le maître mot de toute génération et de toute création. L’« Espagne noire » cède le pas à cette nouvelle Arcadie catalane. Perpignan n’est pas en reste. La capitale du Roussillon devient cette « cité » où les débats démocratiques sont animés et alimentés par le polémiste Albert Bausil alors que les rugbymen de l’USAP, ces athlètes des temps modernes, signent leurs premiers succès sur les stades français.
Avec la destruction de ses remparts, Perpignan jette les bases de son identité moderne. Plutôt que de devenir « une ville moderne française » quelconque, elle opère une redéfinition urbaine, culturelle et artistique autour de sa catalanité pour affirmer son particularisme à travers un nouvel imaginaire tourné vers la Méditerranée.
■ Eric FORCADA
A Banyuls, l'itinéraire méditerranéen d'Aristide MAILLOL
(tableau : portrait de Maillol par Jozsef Rippl.Rosnay, 1899, MAM, Paris)
Le célèbre sculpteur catalan est né à Banyuls sur mer le 8 décembre 1861, au cœur d'un paysage superbe et sauvage: la Grèce, où il se rendit en 1910, en compagnie du poète Hofmannsthal, était là entre côte rocheuse et rocheuses Pyrénées. "C'est un pays admirable comme je n'en connais pas d'autre", disait ce voyageur de l'immobile. Quatrième enfant d'une famille modeste de pêcheurs et de viticulteurs, il est élevé par sa tante Lucie. Après le collège, à Perpignan, il se retrouve, à 18 ans, dans son petit village; il veut aller à l'Ecole des Beaux-arts de Paris: avec l'accord de Lucie, il part et vit avec 20F mensuels et une maigre subvention du Conseil général des Pyrénées-Orientales, de 1884 à 1892. Admis le 17 mars 1885, il a pour maître Cabanel, auquel il rendra hommage toute sa vie. Il apprend ensuite la tapisserie au musée de Cluny; il expose son travail et est remarqué par Gauguin. Maillol monte alors un atelier à Banyuls, aidé par les sœurs Angélique et Clotilde Narcis; il épouse celle-ci le 7 juillet 1896 et dira d'elle, son modèle pour la Méditerranée, entre autres :
« "Un jour, j'ai soulevé sa chemise et j'ai trouvé du marbre. » Sans argent, le couple a la chance de rencontrer le mécène Georges-Daniel de Monfreid (le père d'Henri le navigateur), qui lui fait connaître Renoir, Degas, Maurice Denis, Terrus et Matisse (voir l’itinéraire culturel et pédestre de Collioure); encouragé par ces nouveaux amis, Maillol se consacre alors à la sculpture. Il sera reconnu lors du Salon d'Automne de 1905 (célèbre pour le scandale déclenché par les "Fauves": Matisse, Derain…), où il expose la Méditerranée.
Il va être désormais aidé par le Comte Harry Kessler, qui va lui ouvrir le marché allemand, mais, la guerre de 1914 approche. "Maillol, enterrez vos statues, c'est la guerre", lui télégraphie son ami Kessler, et le sculpteur va être soupçonné d'espionnage, de collaboration, de trahison (son fils unique, Lucien, est arrêté à la Libération, en 1945), mais ces rumeurs n'ont jamais été étayées... Maillol quitte, en 1939, son atelier parisien de Marly le roi, où il avait créé le papier Montval (papier à dessiner, racheté et aujourd'hui diffusé par Canson) ; il se retire à Banyuls, dans la vallée de la Roume. La "métairie" est devenue aujourd'hui un musée, gérée par Dina Vierny, son dernier modèle et légataire universel, qui continue de faire connaître l’œuvre de Maillol, en particulier grâce à la fondation qu’elle a créée à Paris, rue de Grenelle.
Le 15 septembre 1944, alors qu'il se rend à Vernet les Bains, dans la voiture de son ami le docteur Nicolau, de Perpignan, pour rendre visite à Dufy, malade, un pneu éclate et c'est l'accident. Le sculpteur meurt douze jours plus tard d'une crise d'urémie. Il est enterré dans le jardin de la "métairie", ceint de cyprès, sur la route des mas, sous la Pensée, appelée plus communément la Méditerranée.
Itinéraire Maillol à Banyuls: En partant de l'aquarium du laboratoire Arago, créé en 1882 par Henri de Lacaze-Duthiers, professeur à la Sorbonne, près du port, continuez la promenade de l'avenue du Fontaulé (front de mer), le long de belles résidences qui ont appartenu à des notables: villa Camille (Famille Ducup de St-Paul), villa Thérèse (les Bardou-Job), réalisées par Petersen, l'architecte danois réputé, ou le Miramar (du banquier Suquet). Voici La jeune fille allongée, sculpture de Maillol, 1921: placée parallèlement à la mer, elle a le regard tourné vers la population. Un peu plus loin, derrière la mairie, voir, place Dina Vierny, l'émouvant Monument aux morts: Plus tard, on plaça à cet endroit, face au Laboratoire Arago, une épreuve en bronze, l'original ayant été transféré derrière l'hôtel de ville, afin de le protéger des vents. Dans le patio de l'Hôtel de Ville, se dresse l'Esquisse pour l'Harmonie.
Pour venir à Banyuls:, terroir de Maillol, mais aussi du Banyuls: autoroute A9, sortie à Perpignan ou au Boulou, ou RN114 par Elne, Argelès, Port-Vendres.
Le musée Maillol: avant la mairie, prenez à droite, l'avenue Général de Gaulle, route des mas, puis, à 3km, tournez à gauche et suivez les panneaux (parking – musée ouvert toute l'année, sauf jours fériés, de 10h à 12h et de 14h à 17h (de 16h à 19h du 2 mai plus au 30 septembre)- entrée: 3 euros (réductions pour groupes et enfants)- visite gratuite du jardin- tél./Fax: 0468885711. - Personne ressource, le conservateur Jean-Marie Berta, parent éloigné de Maillol. Ce coin retiré et reposant, peuplé des pensées et méditations de l'artiste était, pour le sculpteur, le plus beau paysage du monde (et pour quelques autres, aussi…) Remarquable ensemble de terres cuites et de statuettes en bronze; peintures exécutées dans cet atelier, restauré par Dina Vierny et la municipalité de Banyuls; sculptures de grandeur humaine: des torses, surtout. Un moment inoubliable de vos vacances et, tout simplement, de votre vie…
La maison rose : continuez la promenade du front de mer, en direction du Cap d'Osna. Quartier haut perché, où les petites maisons de pêcheurs sont serrées comme des sardines. Ruelles pavées, escaliers durs pour les pieds, mais beaux pour les vues qu'ils procurent, échappées sur la mer et les collines fleuries. Pour voir, depuis la rue (car elle ne se visite pas) la maison familiale et premier atelier de Maillol, c'est simple: prenez la rue…Maillol, qui rencontre une longue consœur perpendiculaire. Voici le figuier et le petit jardin peuplé d'acanthes de la "maison rose". La partie gauche, restaurée, possède un décor catalan rustique, de la cuisine aux faïences enluminées jusqu'au séjour tapissée d'antiques bois travaillés.
Le Musée océanographique, ou « l'extraordinaire diversité de la vie maritime méditerranéenne »: voir les quarante bassins du plus ancien aquarium public de Méditerranée (ouvert toute l'année, même les jours fériés, de 9h à 12h et de 14h à 18h30, jusqu'à 20 h l'été- tél. 0468887339 - fax: 0468881699 ). Eglise de La Rectorie: XI° siècle, av. du Puig del Mas. Nombreuses caves (Mas Berta, route des mas- L'Etoile - Tambour - Souterraine - Du Traginer, et circuit du vignoble. Voir le cellier des Templiers, après le camping, route des crêtes, vers la tour de Madeloc: 0468883159. Bon restaurant et terrasse avec vue: Le Catalan, route de Cerbère (0468880280). Camping municipal: 0468883213 - Gîte d'étapes: 0468822575 . Institut de thalassothérapie, av. de la Côte vermeille: 0468983666, restaurant panoramique.
Autre quartier pittoresque, le plus ancien de Banyuls: le Puig del Mas. Les habitants sont descendus habiter vers le front de mer au XVII° siècle, sur le plat appelé autrefois Banyuls-del-Maresme; aujourd'hui, avec le tourisme, les maisons ont dépassé la ligne de la voie ferrée et se dirigent vers La Salette ,petite église qui domine la ville. L’ endroit sauvage et offre très belle vue: on s'y rend à pied, à vélo, en voiture…Office de Tourisme: av. de la République (près de la plage centrale, le Voramar): 04.68.88.31.58 - otbanyuls@banyuls-sur-mer.com - Mairie: du lundi 8h au vendredi 17h: 04.68.88.00.62.
Itinéraire Maillol à Perpignan et dans le département. Dans le patio de la mairie, la Méditerranée, offerte par l'artiste à la ville en 1909; à deux pas, place de La Loge, la Vénus au Collier (1918-28, offerte à la ville par Lucien, le fils d'Aristide). Au musée Rigaud, rue de l'Ange (ouvert tous les jours, de 12h à 19h, sauf le mardi), trois bronzes: le buste d'Etienne Terrus, de 1895, un exemplaire du Monument à Debussy, de 1930, cédé par Dina Vierny, et Eve à la pomme, de 1889; trois terres cuites, une huile sur toile inspirée par le mouvement "nabi" et suggérant la Femme à l'ombrelle devant la mer du Musée d'Orsay: Profil de jeune fille et de nombreux dessins (exercices, croquis) et lithographies, tirées de l'illustration de "L'art d'aimer" d'Ovide (1935). Allez ensuite à Elne: Monument aux morts de 1922 et, près de la Cathédrale, un autre Buste d'Etienne Terrus (sauvé pendant l'occupation, car la loi du 11 octobre 1941 permettait de déboulonner de leur socle statues et monuments!), et une Pomone vêtue (1925). Autres œuvres : à Saint-Cyprien, près de la plage centrale, La Baigneuse drapée (1964) ; à Port-Vendres: le Monument aux Morts de 1923 ; à Céret, la Femme en deuil, ce personnage, femme du peuple, toute simple, assise, la tête posée sur la main, reprenant la position de Méditerranée est terminé en 1922 : de nombreux dessins préparatoires sont conservés au musée d'art moderne. (Mamoc de Céret).
Citation: l'écrivain allemand Rilke, qui rencontra souvent Maillol, écrivit sur les statues de plein air vues dans le jardin de Marly; il décrit ainsi un buste placé à l'air libre: "Cette simple tête dans la verdure, éclairée par intermittence, s'offrait aux rayons caressants de l'astre. Telle une étoile à la pointe d'un cadran solaire, son visage accueillait l'ombre qui suivait la lumière et s'épanouissait à nouveau dans un rayon généreusement clair. Jamais je n'ai vu une sculpture s'imprégner autant de l'atmosphère, elle communiait avec la saison, les arbres, les fleurs et les buissons.", écrivait Rilke dans sa lettre de juin 1911)
J.Pierre BONNEL (extrait de "30 balades culturelles en Catalogne" (NPL- 22 euros - 15 euros chez l'auteur : 06 31 69 09 32)