(photo Jean-Pierre Bonnel)
La poésie : un combat de chaque jour contre les discriminations…
«Je ne pense peut-être pas comme vous; néanmoins je ferai tout ce qu’il est en mon pouvoir pour que vous puissiez vous exprimer…»
Voltaire
La liberté
L’exclu
Le tour d’écrou
Le fou
L’étoile jaune
A un anti-fumeurs
Le nain
Sept poèmes de Jean Iglesis
La liberté
On m'a baptisé
Sans me demander mon avis.
On m'a mis à l'école
Sans me demander mon avis.
On m'a appris à utiliser l'argent
Sans me demander mon avis.
On m'a obligé à servir l'armée
Sans me demander mon avis.
On m'a obligé à travailler
Sans me demander mon avis.
Alors aujourd'hui, je souris
Quand on vient enfin me demander mon avis
Sur la liberté.
L’exclu
Comme je n’avais plus de famille
On m’a oublié de la C.A.F.
Comme je n’avais plus de travail
On m’a oublié de la Sécu
Comme je n’avais plus de toit
On m’a oublié de l’Office d’H.L.M.
Et comme je n’avais plus aucune dignité
On a oublié de m’aimer.
Le tour d’écrou
Si tu fais un nouvel effort,
Nous arriverons à bon port.
Il nous faut construire demain
Du labeur même de tes mains.
Si tu fais un nouvel effort,
Crois-nous, tu n’auras pas eu tort
De chercher au fond de ta poche
La clé d’un avenir si proche.
Si tu fais un nouvel effort,
Ton nom luira en lettres d’or
Au monument des pas-grand-chose
Tombés pour quelque juste cause,
Mais dont on est sûr qu’ils sont morts
D’avoir fait un dernier effort.
Le fou
Il disait
Que la haine survient toujours après l'amour
Et que ces sentiments changent selon les jours
Et que l'on croit aimer ce qu'on ne peut avoir
Et qu'on a mal au cœur quand on est seul le soir.
Mais nous, on savait bien qu'il ne pouvait penser
Et on disait partout qu'il était insensé.
Il chantait
Que la vie est emplie d'innombrables mensonges,
Que la vie ne pourrait après tout qu'être un songe,
Que les hommes ne pensent qu'à se déchirer,
Qu'il n'y a rien de bon enfin à en tirer.
Mais nous, on savait bien qu'il chantait des sornettes
Et hurlions sur les toits qu'il était malhonnête.
Il rêvait
A des mondes emplis de sincère amitié,
A des matins plus purs que des rêves d'enfant,
A des hommes loyaux et riches de pitié,
A des îles peuplées de mondes innocents.
Mais nous, on savait bien qu'il rêvait au néant
Et on allait partout en le calomniant.
Et, un jour,
Il a dit que le mal ne venait que de l'homme,
Que les chemins ne mènent pas toujours à Rome.
Alors on eut envie de l'entendre se taire ;
On le fit interner dans un lointain asile
Car nous, on savait bien qu'il dérangeait la ville
Et il est maintenant heureux dessous la terre.
L’étoile jaune
Elle dit la haine et la peur,
La shoah d’un peuple qui meurt
Et que le destin abandonne.
Elle le dit mieux que personne,
L’étoile jaune.
Elle sait la honte et la faim,
La souffrance de jours sans pain,
La gravité du glas qui sonne.
Elle le sait mieux que personne,
L’étoile jaune.
Elle a des reflets au matin
Qui raniment les cœurs éteints
Et ressuscitent les automnes.
Elle revit mieux que personne,
L’étoile jaune.
Elle se souvient des ghettos,
De la folie des longs couteaux,
Des libertés qu’on emprisonne
Et s’en souvient mieux que personne,
L’étoile jaune.
Et face au ciel qui ne luit plus,
Elle brille pour les exclus,
Au mépris du canon qui tonne.
Elle brille mieux que personne,
L’étoile jaune.
A un anti-fumeurs
A ton arrestation
Les flics t'ont passé tabac.
Avant ton exécution
On t'a offert
La dernière cigarette du condamné.
Après que tu as eu cassé ta pipe
On a inscrit
Sur ta tombe
"Tu n'es que cendres. "
Alors je me dis
Que tu dois fulminer,
Toi qui, durant toute ta vie,
Avais ardemment lutté
Contre le tabagisme.
Le nain
Au square
Quand la petite vieille
Emmitouflée dans sa robe noire
A crié aux pigeons :
"Petits !... Petits !... "
Le nain
Qui se promenait
Sans penser à mal
S'est retourné
Et l'a regardée
D'une étrange façon.
Au cinéma
Quand la vendeuse de billets
Emprisonnée dans sa cage de verre
S'est exclamée :
"J'entends des voix !... "
Le nain
Qui demandait un balcon
Sans penser à mal
S'est reculé pour être vu
Et a payé sa place
D'une étrange façon.
Sur la route
Quand le conducteur du trente tonnes
Ereinté par le trajet
A hurlé :
"Je fonce !... "
Le nain
Qui empruntait le passage protégé
Sans penser à mal
A voulu échapper au monstre mécanique
Mais s'est fait écraser
D'une étrange façon.
Et au cimetière
Quand le fossoyeur
Etonné par la dimension du cercueil
S'est écrié :
"Tout le monde devrait être de cette taille !... "
Le nain
Qui visitait le paradis
Sans penser à mal
A levé la tête
Et s'est mis à sourire
A la façon d'un homme heureux.
Jean Iglesis