Zemmour : le désamour - Confusion des valeurs gauche/droite, suite
Zemmour, c'est la chute dans les sondages, avant le grand dégonflage...Désamour : les électeurs de droite extrême reviennent au bercail, dans le giron de Marine...
Ce qui fait le bonheur de Macron : Le Pen est la plus aisée à vaincre...Quant à la Pécresse, aux idées proches du marcronisme, elle va se voir offert le poste de première ministre par le président: de quoi adoucir ses ardeurs...
* Zemmour, l'historien, le journalisme, voire l'écrivain, avait été consacré dans ces rôles par les plus belles plumes de la gauche.
La plupart des intellos de G. ont débattu avec lui sur CNews : les clercs, toujours prêts à trahir (relire Julien Benda, 1927, alertant sur le glissement réactionnaire est nationaliste des intellectuels d'avant-guerre) flirtent avec l'extrême-droite : c'est la confusion, le renversement des valeurs. L'électorat est déboussolé et s'abstient, d'où les maigres sondages pour les 9 candidats de G. ou d'extrême.-G...
Marcel Gauchet, pilier de Gallimard (revue le Débat défunte) publia dans Marianne un article "Du bon usage d'Eric Zemmour": "Il remet les Français dans le cours de leur histoire; il parle de ce dont il faut parler et dont les autres ne parlent pas."
D'accord, Z. est un symptôme, de nos manques, erreurs, fautes...comme le RN, mais tout de même, pas la peine de louer le raciste, le pétainiste... Comme ses petits copains, Calmbadélis ou Mélenchon, celui-ci voulant un débat pour en profiter... Comme Onfray qui fait le spectacle avec Z. a palais des Congrès de Paris...etrc...(voir le dossier du monde, du 2 décembre 2021).
Allez, je reprends le Corcuff ou "comment l'extrême-droite gagne la bataille ds idées"...(Textuel, 2020, 700 pages, 21 euros)
JPB
De Renan à Zemmour : les imposteurs de la République
Face à la percée d'Éric Zemmour dans les turbulences médiatiques des prémices de campagne présidentielle, comment expliquer le succès d’un idéologue faussement cultivé, qui entend réactiver la pensée de Charles Maurras, et qui ne recule devant aucun mensonge pour réhabiliter Pétain ? Soulignons ici une dimension idéologique sous-estimée, qui tient à la large adhésion dont bénéficie une conception de la nation associée au nom d’Ernest Renan.
La percée de l’ex-journaliste Éric Zemmour dans les turbulences médiatiques des prémices de campagne présidentielle a pris de court nombre d’observateurs de la vie politique française. Comment expliquer le succès d’un idéologue faussement cultivé [1], qui entend réactiver la pensée et la politique de Charles Maurras, et qui ne recule devant aucun mensonge pour réhabiliter Pétain, dont le nom est pourtant le symbole de l’avilissement de la France et de la soumission à l’occupant nazi [2] ?
Si l’analyse doit évidemment être multifactorielle [3], on voudrait cependant souligner ici une dimension idéologique sous-estimée, qui tient à la large adhésion dont bénéficie, depuis plusieurs décennies, une conception de la nation associée au nom d’Ernest Renan.
Une défaite de la lecture
Cette adhésion a eu divers relais, qui ont été étudiés [4]. Un de ses moments essentiels fut La Défaite de la pensée d’Alain Finkielkraut, paru en 1987, qui présentait Renan comme le modèle d’un républicanisme aux accents universalistes.
Dans ce livre, Alain Finkielkraut menait une polémique, largement justifiée à l’époque, contre la notion même d’«identité culturelle», qu’il liait à celle d’un «enracinement de l’esprit». Soulignant que «l’identité culturelle» avait pour ennemis «l’individualisme et le cosmopolitisme», il dénonçait en elle «la peur du mélange» et la perte de «l’idée d’un monde commun à tous les hommes». Il récusait à la fois le «relativisme», qui nie l’universel, et «l’assimilationnisme», qui veut séparer les nouveaux arrivants de leur religion ou de leur «communauté ethnique» : «En aucun cas», écrivait-il, «la dissolution de toute conscience collective» ne devait être «le prix à payer pour l’intégration».
Sa position n’allait pas sans quelques injustices : il dressait une opposition imaginaire entre Goethe et Herder, dont les trajectoires furent parallèles. Il imputait hâtivement à Herder — qui resta jusqu’à la fin de sa vie hostile à l’État-nation et partisan d’un dialogue des cultures et d’une mise en partage des œuvres de chacune d’elles par une politique de traduction généralisée — la première formulation de l’idéal d’une identité close et d’un nationalisme qui naturalise les différences culturelles et fonde ainsi un racisme non biologique.
Cet Herder travesti a eu depuis sa revanche, puisqu’Alain Finkielkraut semble s’être désormais rangé du côté de la défense «herderienne» de l’identité culturelle qu’il dénonçait avec vigueur dans La Défaite de la pensée. Cette grinçante ironie de l’histoire a peut-être sa source dans la revendication de l’héritage de Renan par lequel Alain Finkielkraut pensait défendre l’universalisme.
Cette revendication ne reposait pas sur rien. C’est bien par un universalisme que Renan semble d’abord se signaler dans les lettres qu’il écrit en 1870 et 1871 à David Strauss pour protester contre l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne. Strauss (dont l’œuvre avait grandement inspiré Renan pour sa Vie de Jésus) soutenait que l’Allemagne avait le droit d’annexer l’Alsace et la Moselle parce que celles-ci étaient des régions habitées par des populations qui, ethniquement, historiquement et culturellement, étaient germaniques. Dans ses lettres à Strauss, d’abord publiées dans le Journal des Débats puis reprises en 1871 dans le volume intitulé La Réforme intellectuelle et morale, Renan objecte qu’une telle définition de la nationalité finira par conduire à des «guerres d’extermination». Les accents de Renan ont quelque chose de prémonitoire :
«Notre politique, c’est la politique des nations ; la vôtre, c’est la politique des races. Nous croyons que la nôtre vaut mieux. La division trop accusée de l’humanité en races, outre qu’elle repose sur une erreur scientifique, très peu de pays possédant une race vraiment pure, ne peut mener qu’à des guerres d’extermination, à des guerres “zoologiques”, permettez-moi de le dire, analogues à celles que les diverses espèces de rongeurs ou de carnassiers se livrent pour la vie. Ce serait la fin de ce mélange fécond, composé d’éléments nombreux et tous nécessaires, qui s’appelle l’humanité. Vous avez levé dans le monde le drapeau de la politique ethnographique et archéologique en place de la politique libérale ; cette politique vous sera fatale.»
Le «libéralisme» de Renan s’exprimait dans le vœu d’une «fédération européenne» — vœu répété en 1882 dans la célèbre conférence Qu’est-ce qu’une nation ? : «Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera.» Ce vœu restait cependant lointain, puisque la conférence de 1882 ajoutait aussitôt : «Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons. À l’heure présente, l’existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté.»
Alain Finkielkraut interprétait trop vite les lettres à Strauss comme une franche rupture de Renan avec le «mythe aryen» dont il avait été l’un des grands représentants dans les années 1850 et 1860, lorsqu’il ne cessait d’affirmer la radicale infériorité morale et culturelle des «races sémitiques» par rapport à la «race indo-européenne», seule «race philosophique», seule capable des hautes productions intellectuelles, morales et artistiques dont, à en croire Renan, les «Sémites» étaient incapables. La leçon inaugurale de Renan au Collège de France, en 1862, se concluait par un double appel à «la destruction de la chose sémitique par excellence» — l’islam (dont Renan réclamait qu’il fût rayé de la carte du monde par les moyens militaires) — et à la rupture avec les origines juives du christianisme, dont Renan souhaitait qu’il devînt une religion dont l’esprit fût purement aryen :
«L’islam est la plus complète négation de l’Europe ; l’islam est le fanatisme, comme l’Espagne du temps de Philippe II et l’Italie du temps de Pie V l’ont à peine connu ; l’islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile ; c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : Dieu est Dieu.
L’avenir, Messieurs, est donc à l’Europe et à l’Europe seule. L’Europe conquerra le monde et y répandra sa religion, qui est le droit, la liberté, le respect des hommes, cette croyance qu’il y a quelque chose de divin au sein de l’humanité. Dans tous les ordres, le progrès pour les peuples indo-européens consistera à s’éloigner de plus en plus de l’esprit sémitique. Notre religion deviendra de moins en moins juive.»
Un universalisme ethnique
Certes, les lettres à Strauss condamnaient la «politique des races» et la conférenceQu’est-ce qu’une nation ? répète que «l’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion» : la «chose sémitique» dont Renan souhaitait la destruction était d’abord un esprit. C’est pourquoi la conférence Qu’est-ce qu’une nation ? vibre de ces lignes aux accents universalistes :
«N’abandonnons pas ce principe fondamental, que l’homme est un être raisonnable et moral, avant d’être parqué dans telle ou telle langue, avant d’être un membre de telle ou telle race, un adhérent de telle ou telle culture. Avant la culture française, la culture allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine.»
Mais cet «universalisme» n’en restait pas moins la propriété des «races indo-européennes», plus «humaines» que les autres. Ce que Renan nommait «le droit, la liberté, le respect des hommes» ne cessait pas de se définir par opposition à l’infériorité de la «chose sémitique» que Renan identifiait au judaïsme et à l’islam. Le racisme était si peu abandonné que, dans le volume même qui contient les lettres à Strauss, l’essai qui donne son titre à l’ouvrage, La Réforme intellectuelle et morale de la France, contenait un éloge de la conquête coloniale en vertu des nécessités de la race — éloge dans lequel il est difficile de ne pas percevoir une première version des idées qui, au XXe siècle, justifieront la conquête de l’Europe par l’Allemagne au motif de la supériorité de la «race des seigneurs» :
«La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre. Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure, qui s’y établit pour le gouverner, n’a rien de choquant. L’Angleterre pratique ce genre de colonisation dans l’Inde, au grand avantage de l’Inde, de l’humanité en général, et à son propre avantage. La conquête germanique du Ve et du VIe siècle est devenue en Europe la base de toute conservation et de toute légitimité. Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours chez nous un noble déclassé, sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état. Regere imperio populos, voilà notre vocation. Versez cette dévorante activité sur des pays qui, comme la Chine, appellent la conquête étrangère. Des aventuriers qui troublent la société européenne faites un ver sacrum, un essaim comme ceux des Francs, des Lombards, des Normands ; chacun sera dans son rôle. La nature a fait une race d’ouvriers, c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice, en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; – une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre ; soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; – une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Réduisez cette noble race à travailler dans l’ergastule comme des nègres et des Chinois, elle se révolte. Tout révolté est chez nous, plus ou moins, un soldat qui a manqué sa vocation, un être fait pour la vie héroïque, et que vous appliquez à une besogne contraire à sa race, mauvais ouvrier, trop bon soldat. Or la vie qui révolte nos travailleurs rendrait heureux un Chinois, un fellah, êtres qui ne sont nullement militaires. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien. Les économistes se trompent en considérant le travail comme l’origine de la propriété. L’origine de la propriété, c’est la conquête et la garantie donnée par le conquérant aux fruits du travail autour de lui.»
Le « suicide français » selon Renan : un diagnostic salué par Maurras
à suivre...