Tribune philosophique (fin)
KADER FOUKA - Perpignan - France
…En terre luthérienne donc, pour y passer l’hiver, notre jeune Français de catholique confession, se trouve, nouvellement confronté à la diversité, des mœurs, notamment. Et encore une fois, il s’y trouve bousculer, approximativement, de la suivante façon : Quelles mœurs, suivrai-je ? Dois-je, en pays étranger, suivre celles d’autrui ? Mais alors, le jeune Descartes, devra-t-il, renoncer à sa propre éducation, comme à sa liberté, à ses convictions, tout comme à ses personnelles raisons ? Le majoritaire, restreindrait-il, dès lors, le minoritaire ?
Ensuite, notre jeune Descartes vit au mois de novembre 1619 une si belle nuit de songes. Et c’est en partie, dans tout ce contexte-là, que notre jeune philosophe, va s’entretenir, avec un père jésuite, J.B. Molitor. (G.R. Lewis, Le développement de la pensée de Descartes, chapitre V, Descartes et Charron, Vrin, p107).
Celui-ci, l’écoute si attentivement. Il le comprend. Il se décide même, de venir en aide à son « petit frère ». (G.R.Lewis, idem, p 107). Or, en vue de le rassurer, Molitor, lui offre, en décembre, le livre, si d’antan décrié : « De la sagesse », d’un Pierre Charron (1541-1603), comme cadeau du « nouvel an ». (Idem, p107). Ainsi, il réapparaît à notre jeune philosophe. Et plus particulièrement, son « livre second », du « chapitre VIII ».
Pierre Charron était un humaniste et homme d’esprit, esprit universel. Le Français y soutenait, bien entres autres que, « nous sommes circoncis, baptisés, juifs, mahométans, chrétiens avant que nous sachions que nous sommes hommes ». Et pour davantage le situer, de Montaigne, il fut son contemporain. Et aussi, son ami, et également, son lecteur si profond. Quand au De la sagesse, il paraissait en 1601, mais ne tarda point, d’être mis à l’index, dés l’année 1605. Fort rapidement, il fut retiré de la vente, et interdit d’être lu, et puis son auteur, critiqué, vivement.
Mais qu’est-ce que notre jeune chercheur, va-t-il retenir d’une pareille lecture, concernant la diversité des mœurs ? Si manifestement, il y retient la « règle des règles », à savoir, « d’obéir et aux lois et coutumes du pays où l’on est » (Pierre Charron, De la sagesse, livre second, chapitre 8, p497, édition Barbara de Négroni, chez Fayard).
C’est exactement en effet, ce que l’on y retrouvera chez Descartes, au cours de son fabuleux Discours, en se reportant aux maximes de sa morale par provision : « La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays », et en « retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance » (Idem, Discours, 3ème partie, p592)
Ceci étant parcouru, à présent, interrogeons-nous, juste quelque peu, sur : qu’est-ce qu’une coutume ? Est-elle, de l’ordre de l’universelle raison ? Doit-elle être, universellement admise ? Et, à l’égard de cet autre-là, sera-t-elle osbcurante ? Doit-elle aussi, s’ériger en critérium de vérité ?
Mais sans vouloir troubler un quelconque ordre, la première « maxime » d’un Descartes, autrement dit, « d’obéir aux lois et coutumes de mon pays », n’est-elle pas, à vrai dire, énoncer qu’à titre « provisoire » ? N’est-elle point valable que, durant l’espace-temps où notre philosophe Français opérera si courageusement, un « traitement de choc » pour parler ici comme un Henri Gouhier, c’est-à-dire, un « doute méthodique », à l’égard, notamment, de ses « préjugés » ?
Descartes, l’annonce lui-même, l’énonce, juste avant d’y exposer, d’ailleurs, ses mêmes maximes : « ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions pendant que la raison m’obligerait de l’être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes, dont je veux bien vous faire part. » (Idem, Discours de la méthode, 3ème partie, p591-592).
Mais alors, puisqu’il en est ainsi et non, non-ainsi, qu’en sera-t-il dés lors, de sa définitive morale ? C’est, pour en dire légèrement un peu plus, cet autre grand spécialiste Français du cartésianisme qu’était un Etienne Gilson (1884-1978), qui va nous l’expliciter si sûrement : « Ce qui est provisoire, c’est de régler sa conduite sur l’exemple des autres et la coutume ; ce qui est définitif, c’est de la régler sur sa propre raison » (Discours de la méthode, commentaire, idem, p.237)
Tout cela étant connu, mais quelle va-être l’attitude de René Descartes, par rapport à des positions d’extrême -droite ? A vrai dire, Descartes, y manifeste plutôt, toute son opposition, comme à l’instar de ce passage du Discours, où il se souvient derechef, de son illustre prédécesseur humaniste Français, Pierre Charron, au moment, plus complètement, de sa première maxime : « et me gouvernant, en toute autre chose, suivant les opinions les plus modérées, et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurai à vivre. » (Idem, Discours, 3ème partie, p592-593)
L’ami de Montaigne, y estimait effectivement que, la noble retenue d’éviter si scrupuleusement, pareille extrême, faisait, elle aussi partie de la « règle des règles ». Car, si Charron est d’accord sur l’observance des lois et des coutumes, du pays où nous sommes, en revanche, il ne manquera point d’ajouter, voire, d’ajuster, presque si affectivement « mais le tout d’un esprit et d’une façon noble et généreuse, non servile » ou « pédantesque » et « superstitieuse : ne s’offensant cependant ny condemnant legierement les autres loix et coustumes estrangeres, mais jugeant et examinant librement et sainement les unes et les autres » (De la sagesse, p497). Mais aussi, en évitant « soigneusement toute singularité et particularité extravagante », autrement dit, tout extrême, « escartée du commun et ordinaire », et toujours dans la même dictée « sainement examiner et juger les unes et les autres, n’obligeant son jugement et sa creance qu’à la raison » (idem, p497).
Dans tout cela, bien évidemment, l’humaniste Français, y confère sous le prisme d’une « raison universelle » (idem, p. 496). Et c’est précisément, parce que Charron, ne cesse de faire un tel usage, qu’il est si justement qualifié d’esprit universaliste.
Par voie de conséquence, en seulement quelques mots, Montaigne, et puis Pierre Charron, et Descartes a minima, réfléchissait bel-et-bien déjà, sur la problématique de l’autre, mais en s’installant sur le plan d’immanence, stricto sensu, de l’universel. D’ailleurs, comment une grande patrie, peut-elle y prétendre, en étant excluante d’une partie de l’humanité ?
Mais que l’on ne pense guère que, nos Français philosophes, ne furent pas confronté à pareille diversité. Point du tout. La découverte du nouveau monde, commençait à se faire, vers la fin du quinzième siècle. Or, les récits relatant leurs étrangetés, allé en se multipliant. Et c’est même dans ce contexte, précisément, que Montaigne, écrit sur les « cannibales », et puis sur la « coustume ».
Et à Montaigne, de prendre, évidemment parti. Lui, qui en écoute si délicatement, ceux d’un homme y ayant passé plus de dix ans. Et, après en avoir exposé quelques-uns, Montaigne, d’emblée se positionnent : « Ces exemples estrangers ne sont pas estranges ». (Essais, livre 1, chapitre XXIII, p 106-107, édit de la Pléiade).
Pour cela, il s’en explique tout d’abord, par le fait que nous sommes qu’habituer, qu’à ce que nous avons pour coutume de voir. En effet, « si nous considérons, ce que nous essayons ordinairement, combien l’accoustumance hebete nos sens. » (Idem). Et voilà, suivant Montaigne, une des erreurs qui affectent notre jugement vis-à-vis de l’étranger.
En somme, Montaigne, comme un Pierre Charron, sortaient si aisément d’eux-mêmes, et Descartes, avec eux. Nos philosophes Français, se déplacent avec tant d’aisance et d’excellence, ici ou bien là, pour changer d’espace, et pour se mettre, si volontairement, à la place de l’autre. Ils y renversent, si magnifiquement, leurs regards, et par là, leurs logiques et leurs percepts. Dans le « De Revolutionibus », Copernic, n’a-t-il point toucher à ses percepts sur le mouvement du soleil, pour plutôt, celui de la terre ? Or, part là, l’astronome et prêtre Polonais, n’ouvrait-il pas, grandement les portes de la science moderne ? Et puis Kant, dans le domaine épistémique, n’a-t-il point voulu, à son tour, inverser, lors de « La critique de la raison pure », la perceptio, comme dirait un Latin, du rapport entre le sujet et l’objet ? Bref, dans mon rapport avec cet autre-là, le problème ne vient-il pas aussi, du regard, que je pose, ou possède à son égard ?
Ainsi, nos philosophes Français, ici pris, éprouvaient si indéniablement de la déférence vis-à-vis de la différence.
« De Descartes, et de sa religion, en pays étranger »
René Descartes, comme le remarqua si superbement, je crois, un Sylvestre de Sacy, y passait, la plupart de sa vie à l’étranger. (Voir Descartes Ecrivains de toujours). Mais à l’instar de ses mœurs, le problème de sa religion, se posa presque mêmement : dois-je, en effet, suivre la religion du peuple avec qui j’aurai à vivre ? Mais alors, ceci n’impliquerait-il pas de rejeter la religion de mon enfance, ou bien, si vous préférez, de mon initial pays ?
Pour la réponse à ce dilemme, c’est encore Etienne Gilson, qui va nous l’apporter, durant son historique commentaire du commentaire historique, du si célèbre Discours, qu’il rédigea. Tout à fait, dans celui-là, l’éminent historien, y asserte au sujet de notre philosophe, autant sur le « loyalisme monarchique de Descartes », ainsi que sur son « loyalisme religieux », qu’il s’y « exprime fort bien dans la douce boutade par laquelle il se débarrassa du ministre protestant Revicus », à savoir que « j’ai la religion de mon roi », dans un premier temps, ou bien, en répondant aussi que « j’ai la religion de ma nourrice ». (Commentaire, Gilson, p235-236, Vrin).
« De la tolérance, derechef, d’un Pierre Charron »
Face à la problématique de notre « diversité », Pierre Charron, y partage quelques quatre conseils. Quant à nous, retenons-en, celui-ci : « En troisième lieu c’est le fait de legereté et presomption injurieuse, voire tesmoignage e foiblesse et insuffisance, de condamner ce qui n’est conforme à la loy et coutume de son païs. Cela vient de ne prendre pas le loisir, ou n’avoir pas la suffisance, de considerer les raisons et fondemens des autres. » (Idem, De la sagesse, p500).
Et puis, davantage, il s’épanche, dans un français, tout de même si proche du nôtre : « Finalement c’est l’office de l’esprit genereux et de l’homme sage (que je tasche de peindre », à la suite d’un Montaigne dès lors, « d’examiner toutes choses, considerer à part et puis comparer ensemble toutes les loix et coutumes de l’univers qui luy viennent en conoissance et les juger (..) de bonne foy et sans passion, au niveau de la vérité, de la raison et nature universelle, à qui nous sommes premierement obligez, sans le flater et tacher son jugement de fausseté » (Idem, De la sagesse, p500).
« De Descartes, et de la langue Arabe »
De ses prédécesseurs mathématiciens, Descartes, en possédait, une certaine connaissance, certaine. Des Grecs, notamment, il y évoque, en outre, Pappus d’Alexandrie, lors de ses Règles pour la direction de l’esprit (Descartes, Œuvres philosophiques, tome 1, p97, Ed. Alquié, Garnier). Il lit aussi, des mathématiciens contemporains, à l’instar de Viète (1540-1603). (Idem, Tome 1, p97, note 3)
Et puis à nouveau, lors de cette même Règle IV, et si magistrale au passage pour sa mathésis universalis, Descartes, le mathématicien, il y lie à présent, si justement d’ailleurs, l’Algèbre, à son Arabe étymologie. Scrutons-le, de ce fait, encore quelque peu. Car il y mentionne que « cette discipline que l’on appelle du nom étranger d’algèbre » (Idem, p97). En effet, Al Khwarizmi, intitulait un de ses si superbes ouvrages, « Aljabre », et d’où sortira dès lors, le nom même de cette discipline, dont Parle si bien notre mathématicien.
De plus, quelques-unes des équations de Descartes, ne sont-elles, d’ailleurs, si proche de celle du poète et en même temps astronome, philosophe et en même temps mathématicien, Omar el Khayam ?
Il y corrige aussi, un « homme des langues », sur l’origine du mot Dieu : « Mais il est ridicule de dire que les Romains ont tiré le nom de Dieu d’un mot hébreu et les Allemands d’un arabe » (Idem, tome 1, lettre de janvier, au père Mersenne, p239).
« Descartes et les diverses religions »
Cet aspect là étant aussi vu, muni en partie de sa métaphysique, Descartes, et sans orgueil aucun, se savait apte pour y défendre sa position sur l’existence divine. C’est qu’en 1630, nous le trouvons au cours de ses si doctes échanges épistoliers, en possession, de quelques démonstrations la touchant. Or, outre, celles-ci, qu’il désirait aussi « évidente que les démonstrations de Géométrie » (Idem, tome 1, lettre au père Mersenne, du 13 avril 1630, p259), Descartes, ne reste point, à cet égard non plus, que sur un tel plan. Il l’élargie. Il y convoque en effet, à cet endroit, également, le « consentement universel de tous les peuples » (Idem, lettre au père Mersenne, novembre 1630, p286).
Et in fine, sans rentrer dans son système, Descartes, est le philosophe qui sorti très tôt, d’un enseignement reçu, de façon passive, c’est-à-dire, sans critique d’esprit préalable. C’est qu’il voulait être libre. Il ne désirait percevoir, qu’à partir de sa propre raison. Il fut aussi, si élogieusement auto-critique, pour remettre en doute, si courageusement, ses préjugés, et ses idées, et au vrai, ses vérités. D’ailleurs, le terme de « préjugés », ne vient-il du latin « praejudicare », pour signifier « préjudice » ? Ne l’est-il pas, par exemple, pour le vrai ? De tout cela, en parle si fort bien, sa métaphysique, à l’instar du Discours de la méthode, ou bien, des Méditations Métaphysique, mais encore, des Principes de la philosophie.
Bien en outre, il fut le philosophe des nobles distinctions. Après Platon et Plotin, après Saint Augustin aussi et Ibn Sina, il y défendait la distinction entre l’âme et le corps. Et sa réforme de la Géométrie, de l’année 1637, Descartes, l’opère, notamment, en y distinguant bien savamment. Il ne dit point, « tous les mêmes ». Bien à contrario, à vrai dire. Car, tout juste après avoir « dé-couvert » le cogito, il érige avec assurance, que « je pouvais prendre, pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies ». (Idem, Discours, 4ème partie, p.604-605. Or, est-ce que Descartes, c’est la France ?
Alors souffrant sur son dernier lit, près de la reine à Stockholm, des médecins suédois voulurent l’en abréger, en lui administrant une saignée, comme il était coutume de le faire. Ce à quoi, Descartes, leur répondra : « Epargnez, messieurs, le sang Français ». Voilà, en outre, ce qui me produisait tant d’émotions chez Descartes.
Kader Fouka