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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 09:58
Il y a cinquante ans, parmi le peuple portugais...
Il y a cinquante ans, parmi le peuple portugais...

Portugal des oeillets :

Il y a cinquante ans, parmi le peuple portugais...

 

25 avril, hommage à la Révolution 

des Oeillets (PORTUGAL)

 

50 ème anniversaire du renversement de la dictature  (25.4.1974)

 

Voyage au Portugal des œillets

 

Le dimanche vingt juillet 74, au Portugal, la fouille de la voiture, à la frontière du nord-est, fut rapide. Traversée de la province Tras-os-Montes, rocailleuse, étouffante. Paysage rural : blé, vignes. 

Dès les premières maisons, on est frappé par la prolifération des sigles politiques, témoins des dernières élections pour l’assemblée constituante. Ce sont des éléments pour l’identification de la décadence révolutionnaire. On aveugle les murs avec des affiches, pour masquer l’horizon et prendre en charge le regard du peuple. Sur les façades des maisons les plus branlantes, sur les panneaux de signalisation, sur le bitume, partout, les lettres, les slogans.

On a beaucoup parlé de l’arriération des campagnes. Bien sûr, ici,  le tableau est pauvre : masures,  femmes en noir portant des masses énormes en équilibre sur la tête, hommes burinés par le soleil, teint basané rehaussé par une éclatante chemise blanche, enfants sales en haillons. Cependant, il y a une forte chaleur dans ces visages. Les gosses saluent, lèvent leurs bras en signe d’amitié, de la façon la plus spontanée. 

 

Les paysans travaillent durement dans les champs. La révolution ne semble pas les avoir touchés. La simple caresse de la rumeur. La révolution, c’est l’affaire de la ville, là-bas, si loin qu’on n’y est jamais allés. Oui, une affaire de capitale. Nous, on reste ici. Et la terre est toujours aussi basse. Le sera-t-elle moins, après l’insurrection. ? Si, au moins, nous en étions propriétaires, nous qui la travaillons..? 

 

Au café d’un hameau, le tenancier engage très vite la conversation, content sans doute de livrer ses pensées à un étranger : « Ici,les discours révolutionnaires ont peu de prise. La parole est peu de chose devant le labeur et la pauvreté. Les polémiques entre les partis nous paraissent bien inutiles. Le problème concret, c’est la réforme agraire, la possession des terres, le revenu des paysans, la décence des salaires. Les mots… Les militaires, même s’ils se disent révolutionnaires et proches du peuple, sont toujours des manieurs de fusils; mais ce sont des manieurs d’outils que le pays exige ! Mais enfin… Ils disent qu’ils veulent s’intéresser au développement des campagnes…On va bien voir… »

J’aurais bien voulu aussi parler des manieurs de goupillons, mais une croix, sur sur mur du café, m’en dissuada…

 

« La liberté, oui, c’est important. On parle de la liberté d’expression, mais elle passe après les yeux terreux d’un enfant sale. Elle est un luxe tant que les gens sont pauvres, que l’économie est malsaine. Aussi longtemps que certains ne mangent pas à leur faim, ou travaillent comme des serfs… »

Face au spectacle rural, l’électoralisme prôné par plusieurs partis politiques incitent à la suspicion. Que signifie une force électorale après cinquante ans de fascisme, de néant humain et culturel, pour ces paysans qui ne savent même pas ce que signifient les lettres inscrites sur les murs..? Quand, dans les sociétés « libérales », « démocratiques », le pouvoir du peuple se résume à voter tous les cinq ou sept ans, on peut prendre conscience de l’impuissance d’une élection dans un Portugal qui naît tout juste à la démocratie.

 

Dans ce café du Portugal « profond », nous étions à ce moment-là plusieurs à parler et je suis incapable de dire qui, au juste, est l’auteur de ces propos.

 

 

Voilà Bragança, première ville rencontrée. Dimanche, centre urbain calme. Des groupes d’hommes discutent sur la place centrale. Dans les cafés, des jeunes, des couples; des tracts sur le comptoir : un parti invite la population à un débat. Ce qui frappe, c’est la tranquillité et la gravité de tous les visages. Dehors, la formidable force du soleil, et partout, ce qui motive les yeux, ce sont des mouvements d’affiches multicolores. Toutes disent : « Liberté, démocratie et pouvoir populaire. »

 

Plus loin, à Villa Real, des contacts, encore, ont lieu; un jeune Portugais parle : « La situation est dramatique! Les militaires? Ils sont surtout forts pour parler. » Un militant socialiste me conduit à une chambre d’hôtel et ses poings se crispent pour me confier ses espoirs. La ville, la nuit : une sorte de fête dans les rues où les foules ne se lassent pas de monter et de descendre le long des trottoirs en parlant fort. Comme sur les ramblas de Barcelone, un grand soir d’illusion lyrique…

 

Le lendemain matin, en descendant vers Porto, devant ma voiture, dans une camionnette, plusieurs personnes. Un dialogue silencieux s’échange entre nous : des gestes, quelques poings fermés se lèvent et un jeune homme brandit la carte du parti communiste. Les sourires et les saluts avec la main sont fraternels. 

Des doigts en forme de V écrivent le mot « Victoire » dans l’air.

On crie des « ViVe la réVolution! » RêVe éVeillé…

A Porto, c’est un autre décor, un théâtre insolite. Les plages sont noires et les gens se baignent en dépit de la brume et de l’humidité. Pas de soleil, mais des dizaines d’enfants qui jouent au milieu des rues tourmentées. Les taudis glauques alternent avec les villas coquettes. Il fallait bien marquer le coup et visiter les célèbres chais. Je ne peux résister au tourisme quand il fait la promotion du vin. Le guide est une jeune fille de vingt-quatre ans environ, alerte, sympathique et parlant un excellent français. Les rapports étroits entre le vin et la politique aidant -et peut-être aussi l’ivresse, au seul fumet- une discussion idéologique s’instaure. Maria-Lucia est socialiste, pas une militante enragée, mais ferme sur ses idées, sincère et confiante en l’action de son parti. Moi : « Il me semble que le PS portugais ne se situe pas clairement « à gauche… »

 

Elle : « Au contraire, le PS est plus près des travailleurs qu’on ne le croit. La majorité des Portugais sont socialistes, alors que le PC est peu important numériquement !

 

-Soarès ne vise-t-il pas surtout la présidence? Ses « coups de gueule » montre qu’il a bien sûr un fort impact auprès de la population, mais n’y a-t-il pas chez lui un culte de la personnalité qui peut conduire, après quelque sentier buissonnier, au « trône »..?

 

-Mario Soarès président? », son sourire satisfait me répond que cette éventualité n’est pas pour lui déplaire…

 

Un Portugais m’accoste sur le quai. Il parle un français très correct : en effet, il se rend souvent en France car il est chauffeur de poids-lourds. Il me demande si je me trouve bien au Portugal: « Voyez, c’est bien ici. Ce n’est pas le pays affreux que décrivent certains journaux français. Mais que voulez-vous, les journalistes mentent : ils font leur métier ! » Avec lui, c’est encore la politique qui est le sujet principal. Lui aussi est socialiste. Socialo depuis le biberon! Pourtant il ne se rend pas aux réunions publiques, les « comicios »: « Je n’ai pas besoin d’écouter ces bêtises ! Je suis socialiste depuis ma naissance : on n’a pas à me dicter ce que je dois faire! »

 

Puis il me montre lentement le vieux Porto. Linges aux fenêtres, ruelles sales : pauvreté et beauté mêlées. « Ici, le parti aménage de vieilles maisons. Dans ce quartier, on a relogé des misérables qui vivaient dans des baraquements à la ceinture extrême de la ville. C’est bien. Puis, les résidences secondaires qui dorment neuf ou dix mois sur douze, elles servent à présent à abriter des familles d’ouvriers, et ça, c’est mieux ! Mais il reste des tas de choses à faire ! On ne va pas s’ennuyer… »

 

Moi non plus, je ne m’ennuie pas car mon interlocuteur est intarissable, et avec l’apéritif du pays, la discussion se poursuit très longtemps dans le soir aux teintes mauves…

  

Jonchée de mots. Sédiments pour une résolution. Rêve d’évolution…

Ce pourrait être le port de Lisbonne, un jour de révolution. C’est rare, comme une éclipse totale de lune. Y être et ne pas faire qu’exister !

 

Est-il possible de raconter ce jour-là comme un simple jour ? Vais-je encore me laisser aller à la contemplation passive ?

 

Sur le quai marchent les touristes. Sur l’eau tiède flottent des étoffes rouges. 1975. Temps.Arrêté.Le couperet de la révolution hache les émotions d’avril, mai, juin, juillet, août, en bréviaire de la rupture…

 

J’avais comploté d’écrire sur le Rossio des pages compactes d’impressions, de souvenirs, les phrases d’un itinéraire, qui se voulait voyage et se retrouve chemin de rencontres. Inscrire tout ce langage de rétine, ces instants toniques…

 

Or il est plus lâche de regarder couler le fleuve à larges flots blancs, au pied de ce mur, sous le pont du vingt-cinq avril, à la sortie bruyante d’un égoût, dessiné par l’onctuosité des remous. Oui, non loin de ce pont-mur jadis baptisé Salazar !

 

Les mouettes, en piquant du nez, pour arracher à la voracité du courant quelques déchets, inventent des cibles éphémères. Et le pseudo-poète ose suggérer que les révolutions, elles aussi, tournent en rond !

 

Je voyais le soleil qui jouait sur les plumes et les casques des archaïques gardes nationaux et faisait scintiller, au raz de l’eau noire et chavirée les barques alourdies de tonneaux de porto, sorties d’un horizon d’acier et de fumées…

 

Sur le quai, il  y avait…Il était une fois un café, des couples, des enfants piochant dans des cornets de cacahouètes. Et des chapeaux et des cigares. Des taxis et des rues qui se jettent à l’océan. Enfin, tout ce qu’il faut pour faire une ville européenne. Une cité qui s’ouvre, bras ouverts et poing fermé au vieux continent, longtemps indifférent. Une cité qui monte vite par les escaliers de ses antiques quartiers de marins.

 

Les murs, autrefois si proprets, disent désormais l’union du paysan,de l’ouvrier et du soldat. 

Et c’est comme si j’étais venu dans ce pays attachant simplement pour écrire cette phrase…

Jean-Pierre BONNEL

 

cf. Villes et Villégiatures 

 

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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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