Ambition revue à la baisse : faute d’avoir été élu président du Rassemblement national, Louis Aliot tente de faire entrer le parti d’extrême droite au conseil départemental des Pyrénées-Orientales. Le maire de Perpignan est candidat à la cantonale partielle de Perpignan-Canohès, ce dimanche. Il pourra difficilement y faire moins bonne figure que dans son humiliante défaite face à Jordan Bardella pour la succession de Marine Le Pen. Le 5 novembre, seuls 4 000 adhérents du RN sur 26 000, c’est-à-dire 15 %, ont porté leurs voix sur Aliot, figure historique du mouvement, à la tête de la plus grande ville RN de France.
Après une période d’absentéisme, notamment au conseil communautairequ’il vice-préside, Aliot revient donc à la ville qui l’a désigné le 28 juin 2020. Elu sur la promesse d’un retour de l’efficacité politique à Perpignan, contre l’ancienne équipe au pouvoir depuis trente ans qui a laissé le centre-ville se paupériser dans des proportions effarantes, Aliot n’a, au tiers de son mandat, pas encore fait mieux. «On hérite de beaucoup de choses, justifie un proche…
© Libération, par Tristan Berteloot
publié le 26 novembre 2022 à 7h48
- Fédération du PCF 66 (2 déc. 2022)
Enquête du journal Libération. Clientélisme, népotisme, conflits d’intérêts. À Perpignan, Louis Aliot donne priorité à ses potes
Deux ans après son élection, le maire de la plus grande ville RN de France, candidat à la cantonale partielle de ce dimanche dans les Pyrénées-Orientales, n’a pas tout à fait rompu avec les travers qu’il reprochait à son prédécesseur, Jean-Marc Pujol.
Ambition revue à la baisse : faute d’avoir été élu président du Rassemblement national, Louis Aliot tente de faire entrer le parti d’extrême droite au conseil départemental des Pyrénées-Orientales. Le maire de Perpignan est candidat à la cantonale partielle de Perpignan-Canohès, ce dimanche. Il pourra difficilement y faire moins bonne figure que dans son humiliante défaite face à Jordan Bardella pour la succession de Marine Le Pen. Le 5 novembre, seuls 4.000 adhérents du RN sur 26 000, c’est-à-dire 15 %, ont porté leurs voix sur Aliot, figure historique du mouvement, à la tête de la plus grande ville RN de France.
Après une période d’absentéisme, notamment au conseil communautaire qu’il vice-préside, Aliot revient donc à la ville qui l’a désigné le 28 juin 2020. Elu sur la promesse d’un retour de l’efficacité politique à Perpignan, contre l’ancienne équipe au pouvoir depuis trente ans qui a laissé le centre-ville se paupériser dans des proportions effarantes, Aliot n’a, au tiers de son mandat, pas encore fait mieux. « On hérite de beaucoup de choses, justifie un proche. Le bilan est à regarder par rapport à la continuité du système précédent. C’est une municipalité qui n’avait pas connu d’alternance depuis l’après-guerre, c’est singulier. »
Gardes du corps
Aliot se démarque sur un point : il a fait exploser la masse salariale de la ville. Elle s’établit désormais à 101 millions d’euros par an, contre 91 à la fin du mandat du précédent maire, le LR Jean-Marc Pujol. Situation problématique si l’on se réfère à un audit commandé par Aliot lui-même en 2021, et qui jugeait ce montant dangereux s’il était atteint en… 2025. Cela n’est pas du seul fait de «l’augmentation des effectifs», notamment de la police municipale, comme le dit la mairie. Il y a aussi eu une nette hausse des dix plus hautes rémunérations de la ville, peut-on lire dans un document public : la différence entre le total de 2019 et celui de 2021 atteint les 100.000 euros, passant de 844 400 à 942 200 brut par an. Louis Aliot, lui, s’est augmenté de 17 % dès son arrivée.
Il y a aussi cela : dans une ville portée sur le clientélisme, Aliot a, comme ses prédécesseurs, choyé quelques personnes qui comptent à Perpignan ou leurs proches. Selon des documents transmis à Libération, les contrats à durée déterminée de membres des différentes communautés ou de leurs amis se comptent par dizaines. « Pour encadrer la population, il faut bien quelques connexions et des entrées dans certains milieux », assume l’entourage du maire. Exemple : l’embauche d’Alain Gimenez, figure connue du quartier gitan Saint-Jacques, dans le centre-ville. Surnommé « Lino » ou « Nounours », Gimenez aura bossé un an à la mairie, d’octobre 2020 à septembre 2021, enchaînant cinq contrats au poste de « coordinateur propreté-médiation ». Pendant les municipales, il avait d’abord fait campagne pour le LREM Romain Grau, avant de virer pro-Aliot, avec qui il est désormais en froid. « Les gens que vous recrutez, au début ils sont pour vous, mais c’est une politique à court terme, critique l’ancien maire, Jean-Marc Pujol, qui ne s’était pas gêné non plus pour embaucher Nounours. Il suffit après de leur refuser quelque chose et c’est fini. »
Autre dépense en personnel : après son élection, Aliot s’est payé des gardes du corps. Pour justifier cela, il a dit faire l’objet de menaces, et assuré que la décision avait été prise en concertation avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. La seconde partie au moins est fausse. Aliot a bien écrit au ministre, le 8 septembre 2020, pour lui annoncer avoir « décidé dans l’urgence de faire appel au service de trois personnels contractuels » pour assurer sa sécurité. Il demandait alors à Beauvau de « pérenniser ce dispositif ». Sauf qu’un mois plus tard, le ministère lui répondait par la négative. Dans un courrier du 16 octobre, consulté par Libération, il lui est signifié qu’« aucun risque n’apparaît avoir été identifié localement par les services de police ». Les gardes du corps seront toutefois gardés à ce poste près de deux ans.
Bombe factice
Dans la liste des contrats de la mairie, on trouve encore celui de l’ex-conseiller municipal FN Mohamed Bellebou, affecté au service « proximité ». Ce fils de harki de 67 ans, qui a adhéré au Front en 1997, est de longue date au service d’Aliot. Son CV impressionne. En 2010, il a été condamné à de la prison ferme pour avoir séquestré dans son bureau le sénateur ariégeois Jean-Pierre Bel, en le menaçant de faire exploser une bombe factice. En septembre 2020, une information judiciaire était ouverte contre lui, après une enquête du parquet financier, révélée par Mediapart, sur des soupçons d’emplois fictifs quand il était attaché de Louis Aliot au Parlement européen, de 2014 à 2016, et employé d’un imprimeur ami du FN, Imprimatur. « Il connaît très bien Perpignan, balaye l’entourage du maire. On arrive avec des gens qu’on connaît, cela me paraît logique. »
Dans le même état d’esprit, l’édile a nommé comme directeur de cabinet Frédéric Bort, 45 ans, qui a rempli les mêmes fonctions auprès de l’ancien président socialiste du Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, jusqu’à la mort de celui-ci en 2010. Bort s’est rapproché du RN au moment des dernières régionales. « Le système Aliot est venu supplanter le système Alduy-Pujol, il ne s’est rien passé d’autre », raille un notable de la ville.
La mairie n’a rien à envier à l’ancienne municipalité : l’un des élus, Rémi Génis, est à la fois adjoint du maire et gérant d’une société publicitaire, Publissud, qui a bossé pour Louis Aliot pendant sa campagne de 2020. Fait singulier, avec sa double casquette, Génis est entré en bras de fer avec la municipalité, en contestant devant le tribunal administratif une décision défavorable à sa société. La mairie refusait de retirer plusieurs panneaux publicitaires d’entreprises concurrentes, dénoncés comme illégaux par Génis. La ville a dû prendre un avocat pour se défendre… Mais Génis rejette tout conflit d’intérêts : « C’était réglementaire et, certes dans l’intérêt de ma société, mais si j’avais un conflit d’intérêts, je me passerais bien de toutes ces procédures. Il y a des endroits où ça se règle entre copains avec le maire. Là, c’est l’inverse. »
Autre personnage de la galaxie Aliot : l’adjoint au maire de la ville, Xavier Baudry. Très proche de l’édile, cet ancien policier âgé de 46 ans est passé par le mouvement d’extrême droite Renouveau étudiant. L’homme cumule les fonctions d’adjoint du quartier Ouest de Perpignan et de conseiller communautaire à l’agglo (indemnité totale : 34.000 euros brut par an), de conseiller régional d’Occitanie (16 650 euros), et d’assistant parlementaire local, à temps partiel, de la députée RN Sophie Blanc (indemnité non communiquée). L’intéressé assure s’investir à fond dans chacun de ces postes : « Le but des cumuls, ce n’est pas de toucher des indemnités, mais de travailler pour l’intérêt collectif, affirme-t-il. Je serais dans le privé, j’aurais des revenus beaucoup plus élevés. Je bosse “H24” sur mes mandats ».
Sophie Blanc, elle, a quitté le conseil municipal après les législatives de 2022, en raison de la règle sur le non-cumul. Mais elle n’est pas partie de Perpignan les mains vides : elle a pris comme assistante parlementaire, en plus de Xavier Baudry, la jeune Carla Fabre, 20 ans, étudiante en droit, 1.500 abonnés sur TikTok, et fille aînée de Véronique Lopez, la femme de Louis Aliot. Son collègue Xavier Baudry rejette toute idée de népotisme : « Pour bien communiquer, on a besoin de jeunes qui ont du talent sur les réseaux sociaux. »
« Forte approbation »
L’équipe municipale est un panier de crabes dans lequel l’ambiance est délétère et où certains ont des démêlés avec la justice. Le directeur général des services, Philippe Mocellin, a porté plainte contre un agent pour des propos diffamatoires et homophobes tenus à son encontre sur les réseaux sociaux. L’agent va être jugé en janvier, confirme le parquet à Libération. Une élue, Christine RouzaudDanis, fait l’objet d’une plainte pour harcèlement moral d’un fonctionnaire. Considérant ces accusations comme « mensongères et infondées », elle a demandé la protection fonctionnelle en mars, pour faire supporter ses frais d’avocats par la ville.
Jacques Palacin, adjoint à la proximité, est accusé d’agression sexuelle par une fonctionnaire territoriale. Selon une source proche du dossier, elle a raconté que cet ancien du PS et du Grand Orient de France, lui a glissé la main entre les cuisses lors d’un déplacement en voiture au premier trimestre 2022. La femme n’a pas porté plainte. Et Palacin nie en bloc : « Ce sont des ragots de merde, des manœuvres pour dézinguer un adjoint. Je suis droit dans mes bottes. » Louis Aliot, qui n’a pas répondu à nos questions, a quand même saisi le procureur de Perpignan, en accord avec l’article 40 du code de procédure pénale, qui l’oblige à signaler tout délit présumé commis par l’un de ses agents. Mais il a gardé Palacin en poste. L’enquête est toujours en cours.
Voilà pour les coulisses. Pour la scène, Aliot communique beaucoup, et pas seulement dans les médias nationaux dont il est un invité régulier. Le budget de la ville a, dans ce domaine, explosé. C’est aussi la faute de son prédécesseur qui, par souci d’économies, avait peu investi en la matière. La méthode Aliot est différente. Selon des documents consultés par Libé, au cours de la première année du mandat, la ville a dépensé près de 830.000 euros en autopromotion : spots publicitaires, affiches, publireportages… « Une somme tout à fait raisonnable, pour une ville de 120.000 habitants », rétorque la mairie.
Exemple : en septembre 2021, Aliot a sorti le carnet de chèque pour se payer une « vaste » étude d’opinion. Facturée 26.000 euros, elle a été mise à la une du « Perpignan ma ville » du mois suivant, le magazine de la commune. Dans ce numéro intitulé « Opération transparence », un résumé de l’étude critique la municipalité précédente et son « système frelaté », mais n’oublie pas de féliciter la nouvelle. « Après un an de mandat, peut-on lire, Louis Aliot, bénéficiant de sa stature nationale, n’en suscite pas moins une très forte approbation. » Encore : « les mots qui incarnent le mieux » le maire de Perpignan sont « rassurant, franchise, courage, charisme »… Le magazine assure n’avoir « omis aucun des termes »prononcés par le « panel représentatif de la population perpignanaise », recueillis par un « institut 100 % indépendant ».
L’étude a en fait été pondue par Christophe Gervasi, « sondeur et politologue » de 56 ans, pas vraiment inconnu au RN. Après une carrière de prestataire d’instituts, il a surtout travaillé les dernières années pour Marine Le Pen. Pendant la campagne présidentielle de 2017, il a effectué pour la candidate quatre études d’opinion, pour un montant de 190.000 euros au total. Pour celle de 2022, la commande a été moitié moindre. Contacté par Libé, Gervasi assure que son rapport de 95 pages ne souffre d’aucun accroc déontologique. Si son panel « qualitatif » a été critiqué par des élus d’opposition, parce qu’il se résume à des réunions de deux heures et demie avec trois groupes de sept personnes rencontrées à l’hôtel Ibis de la gare de Perpignan, Gervasi affirme que tout a été fait dans les règles, « avec un profilage méthodique fourni par des agences marketing », jure-t-il, sans plus de détails. L’enquête lui a été commandée par la mairie sans appel d’offres, ce qu’autorise la loi quand le marché coûte moins de 40.000 euros. Pour la forme, il y a quand même eu « sollicitation » de deux autres instituts – dont OpinionWay. Tous deux ont poliment décliné, selon des mails qu’a pu consulter Libération.
Autre passage de l’étude de Gervasi : Aliot est décrit comme un maire qui « n’a pas fait comme les autres, prendre les copains des copains du neveu de machin… » Il a pourtant nommé à la tête de son service communication sa femme. Malgré le fort soupçon de conflit d’intérêts que peut provoquer ce genre d’embauche, celle-ci s’est faite « dans les règles », affirme Frédéric Guillaumon, adjoint d’Aliot. Ce dernier est aussi à la tête de la régie du Palais des congrès de la ville, d’où Véronique Lopez est en « disponibilité » depuis le 25 novembre 2020, grâce à un arrêté signé par lui.
Directrice adjointe en charge de la communication externe, Véronique Lopez a d’abord été chapeautée par Arnaud Folch, un proche de Louis Aliot, passé par les hebdos d’extrême droite Minute et Valeurs actuelles. Mais Folch est parti et n’a jamais été remplacé.
La ville de Perpignan doit à Véronique Lopez son nouveau surnom : « la rayonnante ». Ancienne commerciale en médicaments, elle est aussi artiste peintre, sous le nom de Vebeca. Quelques-unes de ses toiles abstraites décorent les murs de la mairie et de la permanence de Sandrine Dogor-Such, la députée RN de la 3e circo des Pyrénées-Orientales, qui se situe dans les ex-locaux de campagne d’Aliot, au premier étage d’un ancien hôtel particulier adjacent à la mairie. Loué à l’époque des municipales 1.500 euros par mois, il appartient à une SCI détenue par une autre élue municipale, Florence Moly, qui elle non plus n’a pas intérêt à ce qu’Aliot quitte la mairie.
- L’Agglorieuse, par Made in Perpignan :
♦ La parole à la mairie de Louis Aliot ?
C’est via un tweet fort sobre, que le maire d’extrême droite Louis Aliot a partagé la nouvelle : « Un nouveau média dans le 66 ». Nous avons questionné Tristan Cuche à propos de cette mise en lumière par le premier magistrat de la ville de Perpignan. « On ne roule pour personne et c’est ce qui fait notre succès ».
Le rédacteur en chef de l’Agglorieuse rassure en déclarant qu’il n’épargnera pas Monsieur Aliot : « On est dans le contre-pouvoir, il y a des médias qui vont à la gamelle pour récupérer des subventions publiques (…). Nous à Toulouse on est contre le maire de Toulouse. (…) Et dans le Tarn on est un peu contre tout le monde. Ce n’est pas une philosophie, c’est parce que la presse doit être un contre-pouvoir ».
Épiceries de nuit, Place Cassanyes, Police municipale, équipements de la ville… Depuis son lancement, le 9 février, les sujets sur Perpignan reprennent les thèmes de prédilection de Louis Aliot. Ce dernier mettant en lumière le nouveau journal par ses partages sur les réseaux sociaux. Le porte-parole de la candidate Rassemblement National n’oublie pas de faire précéder ses partages de la mention « Journal d’informations », L’Agglorieuse disposant d’un agrément national presse. Un distinguo fait avec les publications des blogs locaux.