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28 août 2021 6 28 /08 /août /2021 08:30
Cercas, le romancier qui dénonce l'indépendantisme catalan - TERRA ALTA, polar, Cercas : pour une littérature populaire

 

Le romancier Javier Cercas embrase la Catalogne

par

Sandrine Morel

Madrid, correspondante

« Un pays, un livre » (13/24). Dans « Independencia », l’écrivain à succès, installé dans la région, s’en prend à la tentative de sécession qui a divisé la Catalogne en 2017, sur fond de corruption morale des élites politiques et économiques. Un roman diversement apprécié.

Publié le 16 août 2021 à 00h01 - 

FRED PEAULT

Après son roman policier Terra Alta (Actes Sud, 320 pages, 22,50 euros), l’écrivain Javier Cercas a sorti en Espagne, en mars, le deuxième épisode des aventures de l’inspecteur catalan Melchor Marin. Dans Independencia (« indépendance », éd. Tusquets), dont l’action se déroule aux alentours de 2025, le policier, ancien délinquant et fils d’une prostituée, est cette fois chargé de résoudre un cas de chantage contre la nouvelle maire de Barcelone, une populiste au discours xénophobe, victime de « sextorsion ». Pour les besoins de son enquête, il plonge dans un univers sordide, où les rejetons de la haute bourgeoisie catalane vivent au-dessus des lois, enveloppés dans un halo d’impunité, mêlant affaires et politique, et commettant les pires crimes.

Derrière une intrigue policière bien menée, Javier Cercas dessine un tableau désabusé de la corruption morale des élites politiques et économiques. Cela pourrait se passer n’importe où, mais le choix du titre, un brin provocateur, ne laisse pas de doute sur la volonté de l’auteur de mettre à nu « le terreau sur lequel a poussé le processus indépendantiste », reconnaît-il au Monde. Le « carburant » de ce roman comme du précédent est le « climat prébelliqueux » de l’automne 2017 en Catalogne, marqué par une tentative de sécession qui a divisé la société et bouleversé la vie de cet auteur de 59 ans, catalan d’adoption depuis ses 4 ans. Si trois pages à peine sont consacrées à cet épisode, elles sont suffisantes pour démythifier la liturgie nationaliste. En 2025, plus personne ne parle d’un indépendantisme, qu’un personnage décrit comme une vaste manipulation des « masses » catalanes, montée par les élites pour« faire pression sur Madrid », durant la crise économique.

« Tentative d’intimidation »

Le roman ne pouvait que provoquer la controverse en Catalogne. Cercas s’y attendait, lui qui définit, souvent et publiquement, ce mouvement comme « une manifestation de national-populisme réactionnaire et insolidaire ». Cependant, il ne s’attendait pas au« montage » dont il a été victime. Alors qu’il était invité sur la chaîne publique catalane TV3, très favorable à l’indépendance, un compte Twitter anonyme a publié un fragment d’une intervention de 2019 sorti de son contexte pour l’accuser d’être favorable à une intervention militaire en Catalogne. Le compte a rapidement disparu, le temps que la vidéo soit reprise par plusieurs personnalités, dont l’avocat de l’ancien président du gouvernement catalan Carles Puigdemont.

 

Pris à partie par des élus séparatistes, comparé aux criminels de guerre serbes par des journalistes indépendantistes et traité de« fasciste » par une foule de haters, il a été victime de ce que le quotidien El Pais a qualifié dans un éditorial de « tentative d’intimidation ». Javier Cercas, lui, a réagi en assurant qu’il ne pensait « ni partir de Catalogne ni se taire ». Le troisième tome des aventures de Melchor Marín est déjà écrit. La date de sortie en France d’Independencia, qui, avec 75 000 exemplaires vendus, en est à sa cinquième réédition, n’a pas encore été dévoilée.

Retrouvez tous les épisodes de la série « Un pays, un livre » ici.

Sandrine Morel(Madrid, correspondante)

TERRA ALTA

 

Javier Cercas : pour une littérature populaire

 

Réécouter Javier Cercas : pour une littérature populaire

ÉCOUTER (28 MIN)

 

À retrouver dans l'émission

LA GRANDE TABLE D'ÉTÉ par Olivia Gesbert

 

Dans son dernier ouvrage "Terra Alta" (Actes Sud), l'écrivain espagnol Javier Cercas retourne à la fiction. Ce polar nous transporte dans la Catalogne d'après les attentats d'août 2017, dans un pays qui porte encore les traces de la guerre d'Espagne, pour élucider un double meurtre glaçant.

 

Les grands écrivains, Cervantès, Shakespeare, les grands poètes, Hugo, Byron, étaient tous populaires. Byron était aussi populaire que McCartney. La meilleure possibilité, c’est que la littérature redevienne ce qu’elle a été: populaire, importante pour tout le monde. C’est pour cela que j’aime l’humilité du genre du polar. (Javier Cercas)

Ecrivain, journaliste, et professeur de littérature espagnole, Javier Cercas a rencontré le succès avec son troisième livre, Les Soldats de Salamine, (Actes Sud, 2002) qui retrace avec précision le parcours de rescapés de la guerre civile espagnole. En 2009, son cinquième livre Anatomie d'un instant (Actes Sud, 2010), revient sur le coup d’état du 23 février 1981, qui marque la naissance de la démocratie espagnole, chroniqué minutieusement.

Borges disait que tous les romans sont des polars, et tous mes romans précédents étaient des polars, avec une énigme et quelqu’un qui essaye de la déchiffrer. (Javier Cercas)

 

Dans Terra Alta (Actes Sud, 2021), et après plusieurs livres flirtant avec le documentaire, Cercas s'en retourne à la fiction et interroge encore une fois l'identité espagnole, en particulier catalane, au lendemain des attentats islamistes de 2017 et du référendum indépendantiste de la même année. Le héros de ce roman, et de la trilogie à laquelle il appartient, le policier Melchor Marin, est un lecteur invétéré des Misérables, de Victor Hugo, et n'a d'yeux que pour le policier, Javert, qui pour lui incarne la vertu secrète et vraie. 

Je ne pense pas qu’il y ait de genres majeurs ou mineures, seulement une manière bonne ou mauvaise de les utiliser. Et au final, il y a de la bonne et de la mauvaise littérature. Cette superstition de notre époque qui dit que la bonne littérature est la littérature secrète, des catacombes, est fausse. (Javier Cercas)

L'écrivain ne doit pas juger, il doit comprendre. En ce sens, je suis absolument flaubertien. (Javier Cercas)

Javier Cercas est aussi l'un des cinq commissaires de l'exposition Henri Cartier-Bresson. Le Grand Jeu, à la BNF du 19 mai au 22 août. Le maître du polar nous offre son regard sur l'héritage du père de la photographie moderne, louant l'imminence de la révélation qui n'arrive pourtant jamais dans ses photographies.

 

On m’a proposé d’être commissaire de cette exposition par hasard: cela a été pour moi une énorme découverte. Je connaissais, bien sûr, Cartier-Bresson, mais j’ai découvert énormément de parallèle avec ce que je fais: il raconte la réalité et en même temps fait de l’art. C’est en théorie contradictoire, mais c’est aussi ce que je souhaite faire dans mes livres. (Javier Cercas)

 

- - -« Terra Alta » : Javier Cercas en auteur de polars

Histoire d’un livre. Avec ce premier d’une série de romans policiers, l’écrivain délaisserait-il son sujet, l’histoire tragique de l’Espagne au XXe siècle ? Bien au contraire.

Par Ariane Singer(Collaboratrice du « Monde des livres ») 

Publié le 22 mai 2021 à 08h00 

 

Dans la région de Terra Alta, province de Tarragone, en Catalogne. ALAMY STOCK PHOTO

« Terra Alta », de Javier Cercas, traduit de l’espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, Actes Sud, 308 p., 22,50 €, numérique 17 €.

Voilà un registre où les lecteurs de Javier Cercas ne l’attendaient pas : le roman policier. Mais vingt ans après la parution des Soldats de Salamine(Actes Sud, comme tous ses livres, 2002), somptueux roman-enquête sur la guerre civile espagnole que sont venus compléter Anatomie d’un instant(2009), L’Imposteur (2014) et Le Monarque des ombres (2017), tous consacrés à l’histoire tragique de l’Espagne du XXe siècle, c’est pourtant bien ce genre qu’aborde l’écrivain, avec Terra Alta, premier volume d’une série qui devrait en comprendre « quatre ou cinq », tous centrés sur le personnage de l’agent Melchor Marin. « Après Le Monarque des ombres, le premier livre – très difficile – que j’aie jamais voulu écrire, car il parlait du passé franquiste d’une partie de ma famille, j’ai eu la certitude que j’avais clos le cycle narratif de l’autofiction. Si je le poursuivais, je courais le risque de me répéter ou de m’imiter. J’ai senti l’urgence de me réinventer », explique l’écrivain au « Monde des livres », de Barcelone, alors que le deuxième épisode, Independencia,vient de paraître dans son pays. Ce changement lui a réussi : le livre a obtenu, en 2019, le prix Planeta, la plus prestigieuse – et la plus dotée – des récompenses littéraires en Espagne.

« Une vraie terre de western »

Melchor Marin est un enquêteur, originaire de la banlieue de Barcelone ; ancien délinquant, entré dans les forces de l’ordre, la police autonome de Catalogne, au terme d’un séjour en prison, il s’est installé dans la région isolée de Terra Alta, au sud de la Généralité, après avoir abattu quatre terroristes lors des attentats islamistes de Barcelone et de Cambrils en août 2017. Javier Cercas a eu l’idée de ce personnage après avoir participé à une rencontre autour du Monarque des ombres dans un petit village de Terra Alta ; là même où le grand-oncle phalangiste qu’il y décrit est mort en 1938, des suites de ses blessures lors de la bataille de l’Ebre.

 

Ebloui par cette région désertique, isolée et pauvre, « une vraie terre de western », le romancier se rend compte, le lendemain, que sa voiture a fait l’objet d’une tentative de vol. Un événement bizarre dans un endroit où, selon ses interlocuteurs, « il ne se passe jamais rien ». Ayant déposé plainte au commissariat local, Cercas discute avec un des hommes de la police scientifique, lequel lui explique s’être établi sur place après avoir rencontré sa femme. Il lui parle de Terra Alta : seul le silence l’avait perturbé à son arrivée, l’empêchant de trouver le sommeil. Cela inspire Cercas. « Je me suis demandé ce qui se passerait si un type, tellement citadin qu’il n’arrive pas à dormir, trouvait dans Terra Alta, où il est arrivé totalement par hasard, sa vraie “patrie”, au sens sentimental où l’entend Sancho Panza à la fin de Don Quichotte. » Il fait naître son protagoniste, entre joie et douleur, d’une prostituée qui finira assassinée. Habitué jusqu’ici au « je » narratif, Cercas s’étonne lui-même en adoptant la troisième personne. C’est sur un ton froid qu’il croque ce jeune homme dur et taiseux, empli de souffrances et de fureur.

Lire aussi ce portrait littéraire (2018) : Ombres et lumières de Javier Cercas

Le romancier s’était lancé dans une fiction pure, rompant avec ses précédents écrits, quand l’« automne catalan » de 2017 le surprend dans son travail. Stupéfait par le coup de force indépendantiste qui aboutit à la tenue du référendum d’autodétermination, jugé illégal par le Tribunal constitutionnel, il pose son stylo pendant trois mois, le temps d’expliquer aux médias internationaux ce que traverse son pays. Le choc qu’il éprouve lors des troubles catalans et « l’atmosphère d’avant-guerre » qu’il perçoit alors s’invitent avec fracas dans le roman. Evoquant la situation politique en toile de fond, celui-ci approfondit deux thématiques, inédites dans l’œuvre de Cercas : la justice et la vengeance, lesquelles animeront Melchor d’un bout à l’autre du livre. La forme « roman policier » surgit alors.

 

Méthodes d’enquête et parler policier

Pour expliquer la conversion de Melchor de bandit en justicier, comme pour souligner ses ambiguïtés, Cercas convoque Les Misérables, de Victor Hugo (1862), que son héros a découvert en prison, s’identifiant tour à tour à Jean Valjean et à Javert. « C’est un livre théâtral et excessif, comme le dit la femme de Melchor. Ce n’est pas le meilleur roman qui soit, mais on ne peut pas s’empêcher de continuer à le lire » , signale l’auteur.

Encore fallait-il que la forme polar soit crédible. N’étant pas un grand lecteur du genre, même s’il apprécie beaucoup les livres de Don Winslow, le romancier est allé dans plusieurs commissariats, notamment en Terra Alta, se former aux méthodes d’enquête, mais aussi s’imprégner du parler policier. Dans ce « territoire inconnu », il confie avoir dû batailler plus que d’ordinaire, notamment dans l’effort de construction que lui a demandé l’histoire, avec des allers-retours entre présent et passé auxquels il n’était pas habitué. Pour autant, il estime ne pas s’être démarqué de sa façon de travailler, partageant avec Jorge Luis Borges l’idée, développée dans son essaiLe Point aveugle (2016), que tout roman est forcément policier. C’est le cas de chacun de ses livres, fait-il remarquer, lesquels posent une énigme et la déchiffrent.

« J’ai adoré le côté humble et populaire du roman policier », confie-t-il. Tant et si bien qu’arrivé au point final de Terra Alta, et ayant eu la certitude de n’avoir pas tout dit, il a eu envie de poursuivre. Il vient d’achever le troisième volet de ce nouveau cycle, qu’il conçoit comme un seul et très long roman. Aussi ample et addictif que Les Misérables ?

Critique

 

Terra Alta, calme trompeur

Dans la région tranquille de Terra Alta, province de Tarragone, dans le sud de la Catalogne, un crime épouvantable a eu lieu. Le fondateur et propriétaire des Cartonneries Adell et sa femme, deux nonagénaires, ont été torturés et assassinés dans leur maison et leurs cadavres retrouvés aux côtés du corps de leur domestique roumaine. Qui pouvait en vouloir autant à ces notables et premiers employeurs de la région, de fervents catholiques ralliés à l’Opus Dei ? Le policier Melchor Marin est chargé de l’enquête.

Javier Cercas fait ici une entrée réussie dans le genre du polar grâce au portrait sensible et contrasté qu’il dresse de ce jeune homme blessé, un ancien détenu trouvant sa raison d’être dans le fait de rendre justice aux opprimés. Quitte à se placer lui-même dans l’illégalité.

Très habile à décrire les jalousies et les rivalités à l’œuvre dans une contrée reculée où tout le monde se connaît, le romancier renoue surtout ici, au moment où on l’attend le moins, avec les thèmes qui l’obsèdent : les stigmates de la guerre civile espagnole (1936-1939) et la façon dont le passé du pays nourrit toujours le présent, à l’insu même des jeunes générations. Le dénouement, surprenant, dans une ultime pirouette, confirme le talent de Cercas à faire resurgir les fantômes des tragédies trop vite étouffées.

Lire un extrait sur le site des éditions Actes Sud.

Ariane Singer(Collaboratrice du « Monde des livres »)

 

Terra Alta

 

 

Sur des terres catalanes qui portent encore les stigmates de la bataille de l’Èbre, Terra Alta est secouée par un affreux fait divers : on a retrouvé, sans vie et déchiquetés, les corps des époux Adell, riches nonagénaires qui emploient la plupart des habitants du coin. La petite commune abrite sans le savoir un policier qui s’est montré héroïque lors des attentats islamistes de Barcelone et Cambrils, et c’est lui, Melchor, qui va diriger l’enquête. Laquelle promet d’être ardue, sans traces d’effraction, sans indices probants. Or l’énigme première – qui est l’assassin ? – va se doubler d’une question plus profonde : qui est le policier ?
Car avant d’être un mari et père comblé, coulant des jours heureux dans cette paisible bourgade, le policier converti en justicier obsessionnel fut un ancien repris de justice, élevé par une prostituée dans les bas-fonds de Barcelone. Alors qu’il se pensait perdu par la rage et par la haine du monde, la lecture fortuite des Misérables de Victor Hugo est venue exorciser ses démons et bouleverser son destin. Il aurait pu être Jean Valjean… s’il ne s’était changé en Javert.
À Terra Alta, plus qu’ailleurs, bien des secrets plongent leurs racines dans la guerre. Et, pour résoudre l’affaire qui lui est confiée, Melchor doit avoir conscience que l’amour de la justice absolue peut s’avérer la plus absolue des injustices. Il va lui être donné de partager le dilemme de Jean Valjean : “Rester dans le paradis et y devenir démon ! Rentrer dans l’enfer et y devenir ange !”

[Actes Sud] Littérature

Lettres hispaniques

Mai, 2021
14.50 x 24.00 cm
320 pages

Aleksandar GRUJICIC

Karine LOUESDON

 

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  • professeur de lettres, écrivain, j'ai publié plusieurs livres dans la région Languedoc-Roussillon, sur la Catalogne, Matisse, Machado, Walter Benjamin (éditions Balzac, Cap Béar, Presses littéraires, Presses du Languedoc...
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